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Hors de nos frontières

Malgré le Brexit, l'Irlande reste ambitieuse pour sa filière laitière


TNC le 20/06/2018 à 06:Jun
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Le 14 juin, lors de l’assemblée générale d’Eilyps, Catherine Lascurettes, chargée du secteur laitier à l’Irish farmers’association, le principal syndicat irlandais, n’a pas caché les ambitions de la filière laitière irlandaise d’aller à la conquête des marchés internationaux. Un développement soumis aux aléas du Brexit et du départ de l’Union européenne de son principal client.

Quand on est éleveur laitier, les coûts de production en Irlande font rêver. « Notre climat permet une pousse de l’herbe quasiment toute l’année, explique Catherine Lascurettes aux adhérents d’Eilyps. Toute la production a été organisée pour valoriser cet or vert. Les vêlages sont très groupés en fin d’hiver pour que le pic de lactation coïncide avec la pousse printanière ».

Mais, en contrepartie, la production est très marquée par la saisonnalité. « Le volume collecté varie de 1 à 7 selon les saisons, ne cache pas la responsable de l’Irish Farmers’ association. Toute la transformation s’est organisée en fonction de ces variations ». Ce qui est possible grâce à une organisation plus flexible du travail et à une industrie de la transformation entièrement sous statut coopératif. « Agriculteurs et transformateurs rament dans la même direction, assure Catherine Lascurettes. C’est alors plus simple de partager les objectifs et la valeur ajoutée ».

D’ailleurs, c’est à l’échelle de la filière que cette organisation autour de la saisonnalité a été raisonnée. « Quand la transformation laitière s’est développée, ce fonctionnement coopératif a permis à tous les partenaires de s’accorder sur le fait que le coût du lissage de la production était bien supérieur à celui de dimensionner les installations de transformation pour le pic de production », retrace la spécialiste de la filière. Cette organisation permet aujourd’hui à la filière laitière de valoriser 7,6 milliards de litres et à ses 18 000 éleveurs d’en vivre.

« En 2017, le revenu par exploitation laitière (NDLR : avec en moyenne 1,9 actif par exploitation) est de 86 115 €, avec un niveau moyen d’endettement à 100 000 € », dévoile Catherine Lascurettes. Certes la fiscalité est plus avantageuse en Irlande, mais il y a de quoi en laisser plus d’un songeur sur la valeur ajoutée dégagée.

Sans industrie lourde, l’Irlande mise sur une agriculture dynamique. Lorsqu’en 2008, la crise des subprimes a mis à mal l’économie mondiale, le Celtic Tiger a redécouvert l’intérêt de ce secteur agricole, qui réussissait à développer ses exportations, sans investissements extérieurs. Pour le renforcer, le gouvernement a lancé le plan « food harvest 2020 » qui avait l’ambition, entre autres, d’augmenter la production laitière de 50 % entre 2007 et 2020. « Car le secteur laitier a été identifié comme celui avec la rentabilité la plus crédible, explique Catherine Lascurettes. Cela peut sembler ambitieux mais on est sur le bon chemin pour arriver à cet objectif de croissance ».

Autant dire que la fin des quotas a été appréciée sur l’île d’Emeraude. Les Irlandais, alors en pleine phase d’investissements, avaient subi l’arrivée des quotas comme un couperet. Leur fin a été une respiration retrouvée. « Sur 2015, la production a augmenté de 13 %, chiffre Catherine Lascurettes On a retrouvé le niveau de cheptel d’avant 1983. Les animaux sont là, prêts à produire ». La majeure partie de ce lait ira assouvir l’augmentation de la demande mondiale.

« Seulement 10 % du lait irlandais va à la grande distribution. Le reste est en modèle « business to business », avec des produits transformés à haute valeur ajouté, comme des produits de nutrition infantile, des fromages ingrédients, des produits exportables ».

Mais sur cette filière dynamique, planent deux nuages sombres : le départ du Royaume-Uni de l’Europe et la réforme de la Pac. « Nous avons une énorme peur du Brexit, ne cache pas Catherine Lascurettes. 41 % de nos exportations agroalimentaires partent vers le Royaume-Uni. C’est un marché proche et rémunérateur ».

La sortie du Royaume-Uni de l’Europe, ça veut dire plus de taxes, des complexités douanières, des risques d’accord avec d’autres pays hors UE. « On essaie de s’y préparer en nous redirigeant vers d’autres marchés, en diversifiant nos débouchés et nos produits », souligne-t-elle, avant de reconnaître que les volte-faces incessantes du Royaume-Uni compliquent encore plus la situation. « Le gouvernement britannique n’a pas anticipé les conséquences économiques du Brexit. »

Du coup, leurs positions changent tout le temps. « Nous subirons en plein les conséquences du Brexit mais nous n’avons aucun droit de veto sur les négociations entre Londres et Bruxelles. On se sent comme des enfants pris dans un divorce difficile. ». Aux conséquences économiques, s’ajoute une crainte politique sur la stabilité de l’Irlande.

« Le Brexit a ravivé les tensions entre la république d’Irlande et l’Irlande du Nord. Des tensions qui ne sont jamais bonnes pour l’économie d’un pays », déplore Catherine Lascurettes.

Autre nuage, commun à tous les pays de l’Europe, celui des renégociations de la Pac. « Avec là aussi, une conséquence du Brexit, souligne la représentante des éleveurs irlandais. Notre première crainte porte sur le niveau de budget de l’Europe, sans la contribution britannique, et sur la part qui sera alloué à l’agriculture ».

L’Irlande y va donc de son lobbying. « Nous plaidons pour que le budget de la Pac ne soit pas rogné. Les économies repartent, chaque pays doit pouvoir augmenter sa contribution au fonctionnement communautaire ». Elle estime d’autant plus nécessaire de préserver le budget agricole que « l’inflation a érodé les paiements directs perçus par les agriculteurs ».

Quant aux orientations de la future Pac, Catherine Lascurettes reconnait que la première analyse montre des propositions « très complexes, très divisives entre modèles agricoles, entre productions ». Elle s’interroge aussi sur les contraintes des nouvelles demandes sociétales et environnementales. Les ambitions affichées de leur gouvernement de développer ses filières agricoles devraient rassurer les producteurs irlandais ? « Non, nous aussi craignons des distorsions. Pour nos filières exportatrices, un retour au protectionnisme est un danger ».

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