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Pâturage, vêlages groupés et monotraite

F. Charles (22) : « Doubler le revenu en travaillant deux fois moins »


TNC le 15/11/2019 à 06:03
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Fabrice Charles, éleveur laitier des Côtes d'Armor témoigne : « En 10 ans, on est quand même passé d'un système intensif à toute autre chose ! On divise notre temps de travail par 2, voire par 3 selon la période » (©TNC)

Dans les Côtes d'Armor, chez Christelle et Fabrice Charles, les vaches passent 10 mois de l'année dehors. Les 2 mois restants, elles sont en bâtiment mais surtout toutes taries, grâce au système de vêlages groupés. Le reste de l'année, c'est la monotraite qui rythme les journées et la période de reproduction qui est la plus intense. Aucun regret pour ces éleveurs qui ne dépassent pas les 3000 l/vache mais qui ont pourtant multiplié leur revenu par deux en 10 ans.

N.B. : La photo des vaches est une image d’illustration, il ne s’agit pas du troupeau de Fabrice Charles.

Installé en 1998 sur l’exploitation familiale puis rejoint en 2005 par son épouse Christelle, Fabrice Charles élève des vaches laitières au sud de Saint-Brieuc (Côtes d’Armor). Dans un système très conventionnel (70 VL en ration type maïs/soja, 45 ha de SAU dont 20 ha de maïs fourrage, 10 ha de céréales et 15 ha d’herbe), le couple s’est pris la crise du lait de 2009 de plein fouet, comme beaucoup d’éleveurs. « À 24 centimes le litre, on se posait la question d’arrêter », se souvient Fabrice.

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Par amour du métier, le couple d’éleveur a tout de même choisi de prendre un autre chemin : « On a commencé à s’intéresser aux systèmes herbagers mais c’était l’inconnu pour nous, on n’avait clairement pas appris ça à l’école ! On a donc fait venir le Cedapa pour diagnostiquer notre ferme et étudier les possibilités. » 10 ans après cette remise en question, l’exploitation a bien changé. C’est désormais une ferme 100 % pâturage, en monotraite et avec des vêlages groupés que le couple fait tourner d’une main de maitre. Fabrice est d’ailleurs devenu administrateur au Cedapa.

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Miser sur l’herbe pour diminuer les charges

Fabrice insiste : « On voulait un système herbager mais pâturant. Il existe des systèmes herbagers qui nécessitent une certaine mécanisation mais ça n’est pas ce que nous voulions. » Les éleveurs ont commencé par supprimer la surface en céréales pour la remplacer par des pâtures puis c’est le maïs qui a été progressivement réduit.

L’élevage est finalement passé en 100 % herbe en 2015 avec 53 ha de SAU dont 30 ha de prairies pour les vaches et 23 ha pour les génisses un peu plus loin. Aujourd’hui, les vaches passent jusqu’à 10 mois de l’année dehors, les 2 mois restants étant consacrés au repos des pâtures.

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Holstein, Jersiais, Normand, Montbéliard : croiser pour faire durer

« Une fois qu’on avait appris à bien gérer le pâturage, on s’est dit que faire du lait à l’herbe c’était quand même pas mal mais qu’on pouvait peut-être aller plus loin en groupant les vêlages sur le printemps, lorsqu’il y a de l’herbe à profusion, ce qui nous permettait aussi de fermer la salle de traite deux mois l’hiver », explique Fabrice. En revanche, la fertilité moyenne du troupeau de Prim’holstein posait problème.

Premier croisement testé : la Jersiaise. « La Jersiaise permet de casser le gabarit de la Holstein qui a tout de même des gros besoins d’entretien, pas tout à fait compatibles avec notre système. En revanche, si le premier croisement est bon, les suivants ne le sont pas forcément. Pour garder cet effet hétérosis, on a ramené une autre race pour faire du croisement 3 voire 4 voies avec la Normande et/ou la Montbéliarde. »

Bien connue pour combler la perte de lait par les matières utiles, la Jersiaise est en effet fortement utilisée en système herbager. Quant à la Normande et la Montbéliarde, elles ramènent du muscle aux animaux. Et les résultats sont là : « On a largement gagné en fertilité mais aussi en longévité des bêtes », affirme l’éleveur satisfait. En système plus « intensif », Hubert Dion (Oise) partage le même avis en témoignant : « Le Procross nous apporte des animaux plus rustiques mais tout aussi productifs ».

« On insémine en sexées à partir du 1er mai et pendant un mois et demi puis c’est le taureau qui rattrape celles qui n’ont pas pris. On vend d’ailleurs des vaches lorsqu’on en a trop de pleines et on garde tout de même les meilleures qui n’ont pas pris sur la période en se disant qu’elle reprendront sûrement l’année prochaine », confient les éleveurs très attachés à leur troupeau.

Le début n’a quand même pas été de tout repos : « Même en s’appliquant, on avait encore des vêlages qui arrivaient au mois d’août ou septembre et c’était trop tard pour nous, vis à vis de la productivité de l’herbe. » C’est alors en assistant à une formation sur la monotraite que Fabrice entend des spécialistes affirmer que le fait de traire qu’une fois par jour améliore la fertilité des vaches. Habitués à chambouler ses habitudes, le couple s’est donc lancé dans un nouveau test : la monotraite…

Tester la monotraite c’est l’adopter !

« Au départ, on a mis en place la monotraite durant 4 mois pour grouper les vêlages puis on repartait en double traite. Mais on a finalement pris goût au système et on l’a définitivement adopté. » Si les études menées sur le terrain parlent d’une perte de lait de 30 % et d’un taux cellulaire à la hausse en monotraite, les éleveurs restent convaincus. Fabrice reconnaît tout de même : « On parvient à être sous la barre des 400 000 cellules en moyenne mais elles augmentent toujours en fin de lactation, vers le mois d’octobre. C’est forcément dû à notre système en monotraite et vêlages groupés. On le sait, les 3 derniers mois de traite, des pénalités sur le prix du lait peuvent tomber. »

Les vêlages démarrent au 15 février. Après deux mois à l’étable, les deux premières vaches qui ont vêlé (et seulement si elles ont vêlé) retournent en pâture et les éleveurs remettent la salle de traite en route – même pour deux vaches seulement les premiers jours ! « On trait en 2×4, ce qui nous oblige à y passer 3 h pour le troupeau entier, mais ça n’est qu’une fois par jour et 10 mois sur 12 », confie Christelle soulagée.

Pour ce qui est des veaux, les mâles sont vendus à 15 jours. Les éleveurs conservent 10 femelles pour le renouvellement et revendent les autres. « Les veaux sont élevés avec 2 repas/j de lait et du foin à volonté pendant 3 mois puis ils partent en pâture, toujours nourris au lait dans des seaux à tétines mais plus qu’une seule fois par jour. Le pâturage est conduit en fil avant et arrière pour leur offrir de l’herbe fraîche tous les jours, comme les vaches. » Les génisses d’1 à 2 ans, elles, sont également conduites au fil mais il n’est déplacé que tous les 3 à 4 jours du fait de l’éloignement des parcelles.

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« Le pas n’est pas facile à faire mais il vaut le coup ! »

« Pendant toute cette phase de changement, la production par vache chutait mais le revenu ne se dégradait pas, notamment parce que les charges fondaient largement », confie le couple. D’ailleurs, le bio s’est imposé à eux de façon naturelle : « C’était la suite logique. On a lancé la conversion en 2012 et avons fait la demande pour changer de laiterie. On est resté 1 an et demi sur liste d’attente chez Biolait qui a commencé à nous collecter en 2015. » La nouvelle avait d’ailleurs été publié par Ouest France.

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La ferme dispose d’une référence laitière de 340 000 litres mais n’en produit actuellement que 180 000. « On est passé en référence conjoncturelle de 155 000 litres : on a le droit de la dépasser sans problème mais elle pourra nous être imposée en cas de conjoncture difficile. Dans ce cas, ce qu’on produira en plus sera payé au prix du marché qui sera trouvé, qu’il soit bio ou conventionnel. » Leur lait est actuellement payé 470 €/1000 litres en moyenne sur l’année.

Fabrice Charles reconnaît : « En 10 ans, on est quand même passé d’un système intensif à toute autre chose ! On a divisé notre temps de travail par 2, voire par 3 lorsque la salle de traite est fermée l’hiver. Finalement, on fonctionne par tranches de travail : les vêlages en est une, la reproduction en est une autre, mais après c’est assez « cool ». »

Charge de travail divisée par deux mais résultat économique multiplié par deux ! « Ça vaut le coup ! » L’éleveur aimerait d’ailleurs mettre le pied à l’étrier à d’autres collègues : « Je sais que le pas n’est pas facile à faire. On se pose plein de questions. L’herbe n’est pas facile à gérer mais ça s’apprend et il faut être entouré, c’est très important. »