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Dossier : Mobilisation des agriculteurs

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Manifestation

Dans les Yvelines, les agriculteurs bloquent entre « passion » et « mouron »


AFP le 30/01/2024 à 16:Jan
Traffic jam, tractors and cars.

(©Getty Images)

Marion voudrait que ses enfants « soient heureux », Guy a peur de « griller les plombs » : dans leur campement de fortune du barrage de la gare-péage de Buchelay (Yvelines), les agriculteurs disent une passion qu'ils ont peur de voir disparaître avec eux. (Article mis à jour à 18h09)

Beaucoup voient dans le siège symbolique de Paris – ils sont encore à plus de 50 km de la capitale – la dernière des guerres d’un monde qui n’a plus de voix. Ils veulent « faire pression sur le gouvernement » et surtout obtenir une « reconnaissance ».

Près de la cinquantaine de tracteurs qui bloquent depuis lundi l’autoroute A13 reliant la Normandie à Paris, le « ras-le-bol général » se décline autour des braseros et des sacs de couchage.

« Le blocage est là pour faire pression au niveau de l’Etat, qui doit affirmer sa position : est-ce qu’il souhaite accompagner son agriculture française, ou est-ce qu’il veut laisser les portes ouvertes à la production étrangère qui ne répond pas aux normes ? », résume Stéphanie Guicheux, agricultrice de 34 ans à Sylvain-les-Moulins (Eure) et membre des Jeunes Agriculteurs (JA).

A 70 ans, Jean-Daniel Béguin, céréalier yvelinois jamais vraiment retraité, continue à aider son fils sur l’exploitation familiale. Il peste contre « la paperasse, la sur-administration ». Et aimerait avoir « un petit droit à l’erreur » face à la machine bureaucratique, passer plus de temps dans les champs, remettre en culture des terres en jachère.

Pour Guy Désile, agriculteur de 58 ans venu au matin avec sa fille Coralie, toute jeune cultivatrice de 25 ans, l’une des clefs réside dans la « simplification ». Mobilisé syndicalement à la FNSEA depuis de longues années, ce cultivateur de blé et de colza à Mesnils-sur-Iton (Eure) désespère de voir les dettes s’accumuler de génération en génération.

« Je n’ai jamais été aussi endetté que depuis que mes enfants sont paysans, je suis caution », détaille-t-il. « Si moi je grille les plombs, ils n’y arrivent plus. Si on savait où on allait, ce ne serait pas grave, mais aujourd’hui ce n’est pas le cas ». Sa fille Coralie assure avoir « un million d’euros de dettes » pour un revenu mensuel d’environ 1 000 euros.

Elle a dû arrêter d’être chauffeuse routière « pour pouvoir recevoir (ses) aides ». Et pour les percevoir, remplir d’interminables et complexes formulaires : « pour ça, il faut payer un comptable, parce qu’on n’est pas capable de remplir le dossier nous-mêmes », soupire-t-elle.

« Saupoudrage »

Bien au chaud dans son écharpe couleur brique, l’agricultrice n’envisagerait pourtant pour rien au monde d’abandonner sa « passion ». « Entre une semaine à la mer et bosser dans mon tracteur, je bosse dans mon tracteur », sourit-elle à pleines dents.

« Moi aussi j’aimerais bien que mes enfants reprennent la ferme, mais j’aimerais aussi qu’ils soient heureux », lance Marion Roulleau, 41 ans, assise à côté d’eux sur une botte de foin.  L’agricultrice se fait « du mouron, comme les parents et les grands-parents avant nous » et attend du gouvernement « clarté » et « confiance ». Par exemple sur « les produits phytosanitaires, parce qu’on les paye un bras et on ne fait pas n’importe quoi avec ».

Beaucoup sont las de passer pour des « empoisonneurs » et réclament des alternatives aux produits phytosanitaires. « Pas d’interdiction sans solution », martèle la FNSEA.

 

Marion s’est levée pour aller donner un coup de main aux camarades qui se relaient pour faire des cafés ou préparer le déjeuner de la petite troupe. Tous redoutent des effets d’annonce non suivis de réelles mesures. Sur le barrage, après la déclaration de politique générale du Premier ministre, Gabriel Attal, personne n’a réellement l’impression d’avoir été entendu, parmi la petite dizaine d’agriculteurs qui l’ont écouté jusqu’au bout, sous un barnum.

« Aucun choc, aucune annonce marquante », critique Christophe, paysan de 52 ans qui cultive du lin en Normandie. Les agriculteurs attendent plus… sur le prix du carburant, sur la garantie d’un revenu pour les paysans ou un coup d’arrêt à la concurrence déloyale, face à la viande sud-américaine qui pourrait inonder le marché européen à la faveur d’un accord de libre-échange ou au poulet et au sucre d’Ukraine, libérés des barrières douanières par solidarité après l’invasion russe.

« Simplifier les normes, c’est bien, mais lesquelles ? », s’interroge Gilles, 52 ans, producteur de lin et céréales dans le sud de l’Eure, en référence à « l’empilement des normes » évoqué par le Premier ministre. Quoi qu’il arrive, entre céréaliers, éleveurs et autres, « tout le monde sera solidaire de l’agriculture de l’autre », assure-t-il, en référence à la mobilisation. « C’est ce qui fait que ça peut tenir longtemps ». Peu avant 18h00, des tracteurs redémarrent : il s’agit d’avancer, un peu plus près de Paris.

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