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Dossier : Installation

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Se former, s'associer, prendre le temps

Les conseils d'Émeline Bentz, jeune agricultrice, pour bien s'installer


TNC le 15/06/2022 à 09:Jun
Woman worker portrait in the modern farm

Blue collar woman working in the farm

Entre l'envie de se reconvertir en agriculture et son installation effective, six ans se sont écoulés. Mais pour Émeline Bentz, « ce n'est pas du temps de perdu ! » Au contraire, elle a pu se former sur le terrain, échanger avec d'autres agriculteurs, se faire accompagner, trouver un associé, puis apprendre à travailler avec lui tout en construisant le Gaec, anticiper les financements... Autant d'étapes sur lesquelles elle partage son expérience et livre quelques recommandations.

« Même avec mon diplôme d’ingénieur agronome de l’Ensat de Toulouse, je n’étais pas suffisamment armée pour devenir agricultrice, reconnaît Émeline Bentz, 35 ans, aujourd’hui co-gérante du Gaec « Ferme La Porte » en Gironde. Je n’avais aucune connaissance pratique alors j’ai préféré, avant de m’installer, rencontrer des producteurs et productrices, et surtout faire des stages dans des exploitations. » La jeune femme suit notamment la formation « De l’idée au projet » proposée par l’Adear (Associations pour le développement de l’emploi agricole) du département. 

« J’ai pu étayer mon envie de reconversion professionnelle en agriculture en prenant pleinement conscience des réalités du métier », confie-t-elle. Un moyen aussi, pour la future installée, de mieux identifier « toutes les étapes par lesquelles passer » et, en particulier, comment se former au mieux pour reprendre une ferme. Ayant déjà la capacité professionnelle pour bénéficier de la DJA (dotation jeune agriculteur), Émeline s’oriente plutôt vers un certificat de spécialisation de six mois dans le domaine qui l’intéresse, plutôt que vers un BPREA, plus généraliste.

« Se confronter aux réalités du terrain »

Grâce à la rupture conventionnelle conclue avec son ancien employeur, elle peut toucher les indemnités chômage et les aides de la Région. « Cela permet de se former sereinement », fait-elle valoir. Car lorsqu’on se reconvertit, ne plus percevoir de salaire peut poser des difficultés financières. En particulier avec une famille à charge, une situation plus fréquente quand les installations sont tardives. Au-delà de l’image plus concrète de la profession que sa première formation lui a avait donnée, « c’est sa complexité » que la future agricultrice découvre : « les connaissances pointues qu’il faut acquérir en biologie végétale, comptabilité, gestion, commercialisation, communication ainsi que sur les aspects sociaux, fiscaux, juridiques, réglementaires ».

Se frotter aux aléas, sans en avoir la responsabilité.

« Nous avons balayé tout ce qui nous attendait une fois installés, mais je ne me sentais pas encore prête à sauter le pas », se souvient Émeline. Alors, « pour se confronter à la réalité du terrain », elle travaille pendant 18 mois en tant qu’ouvrière agricole. « J’ai appris les gestes techniques et mis ma résistance physique et nerveuse à l’épreuve sur une campagne entière. Le statut d’ouvrier permet de se frotter aux aléas qui peuvent survenir, sans en avoir la responsabilité. » Avec cette expérience, la jeune femme s’estime parée : elle peut se lancer… mais pas seule. 

« Partager travail, charge mentale, responsabilités »

« J’ai d’abord cherché un collectif avec diverses productions mais le projet n’a pas abouti à cause de problématiques liées au foncier et à l’eau », explique-t-elle. Finalement, Émeline choisit de s’associer en Gaec avec une personne installée depuis 2017. Un jeune producteur en recherche d’associé, qui « s’était rendu compte qu’il ne pourrait pas tenir le rythme en individuel et voulait retrouver une vie en dehors de l’exploitation ». « Il souhaitait aussi partager la charge mentale et les responsabilités », ajoute la jeune exploitante.

Elle effectue, via l’Adear, deux mois de stage paysan créatif au sein de la ferme pour « découvrir son fonctionnement », mais également « apprendre à connaître son futur associé et à travailler avec lui ». S’ensuit une phase de salariat agricole et un an de stage de parrainage, toujours sans rémunération autre que les indemnités chômage. Un temps précieux cependant pour construire progressivement le Gaec avec l’appui d’une juriste, parce que « cela demande beaucoup de rigueur », et constituer les dossiers d’installation agricole, le futur associé ayant le statut de cotisant solidaire.

« Anticiper le financement »

« Nous avons reçu chacun 22 000 € de DJA. Attention à ne pas demander les aides trop vite car après, on a neuf mois pour s’installer et disposer des moyens de production », prévient Émeline, associée officiellement dans le Gaec depuis le 1er janvier 2022.  Entre l’idée de devenir agricultrice et l’installation, presque six ans se sont écoulés. « Ce n’est  pas du temps de perdu mais du temps nécessaire », met-elle en avant. Elle le répète : c’est un métier complexe. « En plus, je n’avais pas beaucoup de marge de sécurité financière, j’avais donc besoin d’être rassurée. D’autant qu’au départ, je n’avais pas tant que ça l’esprit entrepreneurial, je n’étais pas sûre de pouvoir dégager des revenus, valoriser mon travail. Mon associé avait déjà quatre ans d’expérience et des circuits de commercialisation bien développés. »

Ces six mois ont aussi permis « d’anticiper le financement de l’installation ». « Pour le parc matériel, je devais apporter 40 000 € en numéraire, détaille la jeune agricultrice qui, « ne pouvant emprunter en nom propre », a eu recours à un prêt familial. » Elle a, de plus, sollicité un financement participatif sur plateforme régionale « J’adopte un projet ». Une aide de 13 000 € « très appréciable ». « Certes, toutes ces démarches financières prennent du temps, mais c’est vraiment un plus ! », souligne-t-elle. Avant de résumer : « Le plus important pour réussir son installation agricole : bien se connaître soi-même, suivre toutes les étapes, se former, échanger avec d’autres producteurs et se faire accompagner. »

« Prendre le temps de la réflexion »

Dans ce domaine, de plus en plus de structures existent : les chambres d’agriculture, les réseaux Civam et Inpact, Terre de liens… et d’autres, moins connues, comme Fermes en Vie ou Back to earth, s’adressant plus aux les néoruraux et aux reconversions professionnelles, cite Émeline, qui insiste : « Se mettre dans des réseaux d’agriculteurs aide en cas de  coup de mou. » Ses autres conseils : « Pensez également au logement dès l’achat du foncier car trouver à proximité de la ferme n’est pas si facile. » Et pour ceux qui sont en circuits courts comme elle, la jeune productrice recommande « de ne pas dire « oui » à toutes les demandes et de veiller à la rentabilité des trajets ».

Ce n’est jamais du temps perdu !

« Surtout, prenez le temps de réfléchir pour ne pas vous lancer à l’aveugle, parce qu’une fois installés, les premières années du moins, on n’a plus vraiment le temps de se poser », répète la jeune femme avant de conclure : « Il faut de la détermination mais s’installer en agriculture, c’est possible même pour une femme d’1m50 et 50 kg ! À condition d’être lucide et de ne pas se disperser dans plein de diversifications. Mieux vaut bien dimensionner d’abord un seul atelier et diversifier ensuite. Enfin, ménagez-vous des moments de repos car c’est un métier physique, et penser à vous détente pour vous changer les idées. »

Source : témoignage issu de la table ronde « La botte à outils de l’installation », organisée par les OPA de Nouvelle-Aquitaine lors de Quinzaine régionale de l’agriculture. Pour en savoir plus sur cette opération, lire l’article : la « botte » à outils pour s’installer en agriculture

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