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Agribashing

Un rapport de force qui, progressivement, se rééquilibre


TNC le 17/02/2020 à 14:42
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Si on ne peut plus ignorer, depuis quelques années, le phénomène d’agribashing, ou dénigrement systématique de l’agriculture, notamment conventionnelle, le combat n’est pas perdu pour les agriculteurs qui ont fait évoluer leurs pratiques et le font de plus en plus savoir. Dans son nouvel ouvrage « Malaise à la ferme », le politologue Eddy Fougier revient sur l’émergence et le développement de ce phénomène, et sur les moyens de le contrer.

Depuis 2016 et l’émission Cash Investigation sur les pesticides, l’expression « agribashing » se répand, constate le politologue Eddy Fougier, spécialiste des mouvements de contestation. Invité le 14 février par le think tank Agridées pour présenter son nouvel ouvrage grand public sur le sujet, « Malaise à la ferme », l’auteur voit derrière ce phénomène récent de dénigrement systématique et d’acharnement médiatique l’expression d’une « mutation que l’on n’a pas vu venir », aggravée par une certaine vulnérabilité des agriculteurs.

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Car contrairement aux multinationales, les agriculteurs isolés sur leur exploitation constituent une cible plus facile. Quand on est responsable politique, « on interdit plus facilement le glyphosate que les moteurs thermiques », commente Eddy Fougier. Et cette tendance est d’autant plus forte que le monde agricole a tardé à communiquer sur l’évolution des pratiques. « Le monde agricole était plutôt enclin à penser que ne rien dire était la meilleure façon de rester tranquille », ajoute l’auteur, qui constate que l’argumentaire des agriculteurs repose trop souvent sur « un langage d’ingénieur agronome », incompréhensible pour le grand public.  

Cependant, même si les Français ont dans leur représentation de l’agriculture un décalage d’au moins une décennie de retard avec ce qui se pratique actuellement, les citoyens consommateurs s’intéressent de plus en plus au monde agricole, même s’ils se posent des questions sur les pratiques. L’exemple de la marque « C’est qui le patron ? » est à cet égard très éclairant, puisqu’il illustre la prise en compte par les consommateurs de l’importance d’accorder un juste revenu aux producteurs, préoccupation qui n’existait pas il y a quelques années.  

Une prise de conscience des pouvoirs publics

Ainsi, malgré un lynchage avéré, notamment de la part de l’audiovisuel public, des pratiques agricoles conventionnelles depuis quelques années, « le rapport de force a changé », estime Eddy Fougier. Car si le « bashing » n’est pas réservé aux seuls acteurs du monde agricole, le ressentiment des agriculteurs semble en revanche trouver davantage d’écho favorable auprès des responsables politiques et du grand public que celui d’autres secteurs d’activité. « Des géants de l’agroalimentaire qui se plaignent de ne plus pouvoir mettre des additifs alimentaires comme avant, cela ne passe pas auprès du public et des journalistes. Par contre, la plainte des agriculteurs est passée », souligne le politologue.

Le contexte a en effet rendu légitime les revendications des agriculteurs, avec « une première percée en décembre 2018 », avec un discours qui faisait écho à celui des gilets jaunes évoquant le mépris des élites et des médias, analyse Eddy Fougier, une visibilité renforcée ensuite par la dénonciation des intrusions dans les exploitations agricoles, le succès surprise du film « Au nom de la terre », et récemment les témoignages sur le suicide des agriculteurs. « Dans ce contexte, des acteurs vont sentir l’air du temps, Didier Guillaume a fait de la lutte contre l’agribashing un fer de lance de son mandat », ajoute l’auteur. La mise en place de la cellule Déméter, en décembre, témoigne de cette bataille en partie gagnée par les agriculteurs.

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La parole des agriculteurs est audible

Cependant, la partie n’est pas gagnée. Le monde agricole, comme les autres acteurs économiques, vont continuer à devoir tenir compte de nouvelles parties prenantes qui veulent avoir leur mot à dire, et cette tendance va s’aggraver avec le changement climatique et le renouvellement générationnel.

Face à ces évolutions, quels que soient les arguments mis en avant, la parole institutionnelle est devenue totalement inaudible. En revanche, celle des agriculteurs qui défendent leur métier sur les réseaux sociaux ou directement auprès des consommateurs a un impact. « La plupart des gens ont surtout des interrogations, par exemple de jeunes parents qui se posent des questions sur la consommation alimentaire », explique Eddy Fougier, qui poursuit : « la question est quelle structure est susceptible d’informer aux mieux ces personnes ? Sur les pratiques agricoles, qui de mieux que les agriculteurs ? ». « Ce qui passe aujourd’hui, c’est un discours de « pair à pair », où les individus se disent « il parle comme moi » », précise le politologue.

Un discours qui est tout aussi susceptible d’être repris par les médias qui, au final, sont friands d’intervenants qui utilisent un discours plus adapté aux codes médiatiques contemporains. D’autres pistes sont également à développer pour favoriser le rapprochement entre agriculteurs et consommateurs : le fact-checking, la mise en lumière d’initiatives locales réussies, et tout simplement le rapport direct entre les deux parties, insiste Eddy Fougier.

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