Accéder au contenu principal
Dans les territoires ruraux

Les déserts médicaux concernent aussi les vétérinaires


AFP le 19/04/2024 à 09:57
c5dd24e6-2-les-deserts-medicaux-concernent-aussi-les-veterinaires

Quand il a commencé, le vétérinaire de François Blache, éleveur, était à 15 minutes. Maintenant, il est à 1 heure de routes de montagne ! (© Adobe Stock)

« Être véto dans les campagnes, c'est du service public ». Face au manque criant de vétérinaires en zone rurale où, pourtant, leur rôle est crucial pour le suivi sanitaire du bétail, le défi est d'attirer les jeunes diplômés.

François Blache, éleveur à Marcols-les-Eaux, un village retiré d’Ardèche, a vu la situation se dégrader en 30 ans. « Quand j’ai débuté, le vétérinaire était à Saint-Pierreville, à 15 minutes », raconte-t-il à l’AFP dans son étable, avec ses vaches Salers et ses brebis. Aujourd’hui, son vétérinaire se trouve à près d’une heure de route de montagne. Bottes désinfectées aux pieds, seringue à la main, ce dernier saute par dessus la barrière bloquant une génisse pour une prise de sang.

Installé à Privas, le chef-lieu, Romain Deloncle, 39 ans, se consacre aux deux tiers aux animaux de compagnie, un tiers à ceux des fermes. Le suivi du bétail est plus physique et bien moins rentable, le coût des soins ne pouvant excéder la valeur de l’animal. Et un temps de transport non comptabilisé : « on ne va pas facturer le coût d’un bac+7 », surtout à des paysans qui gagnent peu, explique le vétérinaire.

Pourtant, « c’est valorisant d’aller dans des exploitations aider des gens à faire leur travail correctement et protéger la population contre d’éventuelles épizooties », poursuit-il, vantant aussi la « relation de confiance » avec les éleveurs. Mais il pense décrocher avant la retraite à taux plein.

Césariennes en pleine nuit

La pénurie de vétérinaires en zone rurale touche toute la France, avec des territoires « écarlates », comme l’Ardèche ou l’Yonne, constate Matthieu Mourou, de l’Ordre national des vétérinaires. Les causes : le nombre insuffisant de vétérinaires, une nouvelle génération avec « des besoins et des façons de travailler différents », moins de jeunes qui se tournent vers « la rurale », détaille-t-il. En 2023, seuls 15,2 % des vétérinaires se consacraient à cette activité.

« Dans ma promo, on était une quarantaine sur 160 à choisir la rurale », témoigne Marina Abbadie, 26 ans, diplômée l’an dernier de l’école vétérinaire de Toulouse. La jeune femme, originaire des Pyrénées-Atlantiques où elle a grandi à la campagne, « ne (se) voyait pas faire autre chose ». Mais « c’est vrai qu’il y a des contraintes et d’abord les gardes : un week-end sur deux, plus deux à trois nuits chaque semaine. Ça revient vite, quand on est réveillé pour une césarienne en pleine nuit et qu’il faut ré-attaquer le matin… »

Agenouillée derrière une vache malade prête à vêler, Marina Abbadie enfonce son bras ganté jusqu’à l’épaule, dans la bête affalée dans la paille, afin de vérifier l’état du veau. « On essaie de faire notre boulot correctement mais, parfois, on n’a pas le temps (…) Hier, j’ai fait 500 km dans la journée », confie-t-elle.

Décidée à se spécialiser en obstétrique, elle est venue en terre d’élevage dans l’Yonne, qu’elle ne connaissait pas. En octobre dernier, la jeune vétérinaire signait un contrat d’embauche dans un cabinet de Cussy-les-Forges. « Il manque une douzaine de vétérinaires dans le département, sur une soixantaine », évalue Marc Arbona, vice-président de l’ordre des vétérinaires de Bourgogne-Franche-Comté.

Indispensables

Pour attirer les jeunes, le département de l’Yonne subventionne depuis mars 2023 les stagiaires : 300 euros par mois pour le logement, autant pour les frais de déplacement. « Ça peut aider », croit Marina Abbadie, installée trop tôt pour bénéficier des aides. « Il faut surtout que le territoire devienne attractif », allusion aux campagnes dépeuplées, souvent vidées des commerces et services.

Le manque de vétérinaires ruraux peut être grave, selon elle. « Parfois, on arrive sur une exploitation qui n’a pas vu de véto depuis longtemps. Pour les bêtes, c’est souvent trop tard ». « Pas de véto, pas d’élevage », complète l’éleveur ardéchois qui y voit une mission de « service public ». « On est obligé d’avoir un vétérinaire conseil » responsable du suivi sanitaire de l’élevage, explique-t-il.

Face à la situation, il a « appris à être autonome », à « se débrouiller par téléphone », voire à descendre lui-même une bête à la clinique de Privas. « Je ne vais pas voir Romain pour une mammite (inflammation d’une mamelle) ou un agnelage qui ne se passe pas bien », raconte-t-il. Et il a choisi d’élever des vaches Salers, race rustique n’ayant « quasiment aucun souci au vêlage ».