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Ile de La Réunion

La Sicalait, une coopérative pas comme les autres


TNC le 01/05/2024 à 05:01
ManuelaSicalait

La Sicalait est l'unique coopérative laitière de l'île. (© Emmanuelle Bordon)

Sur l’île de La Réunion, la Sicalait, l’unique coopérative laitière présente, collecte le lait, accompagne les éleveurs techniquement, produit des fourrages, élève les génisses, installe et répare les machines à traire… Dans cette situation insulaire, la coopérative devient un « couteau suisse » autour duquel s’organise la vie des élevages.

Comment concevoir et faire vivre une filière laitière de 50 élevages ? C’est le casse-tête auquel fait quotidiennement face la Sicalait, la coopérative laitière – la seule et unique – de La Réunion. Sur cette toute petite île à 10 000 km de la métropole, vouloir créer une filière laitière est une chose, faire fonctionner les élevages au jour le jour en est une autre. Pas de concessionnaire machine à traire sur l’île. Pas plus de fournisseur pour les indispensables (produits d’hygiène de traite, petit matériel…). Et une organisation qui, faute de pouvoir faire des économies d’échelle, doit trouver un fonctionnement différent de celui de ses grandes sœurs hexagonales.

« Ce caractère insulaire oblige la Sicalait à avoir un taux de service très élevé, explique Pierre Ulrich, directeur du pôle laitier de la coopérative. Elle prend donc en charge non seulement la collecte du lait, mais aussi l’installation et l’entretien des machines à traire. Elle a par ailleurs développé un réseau de magasins dans lesquels tous ses adhérents peuvent trouver les intrants et le matériel dont ils ont besoin ».

« Et il n’est pas question de gérer les stocks en flux tendu, précise-t-il. Le matériel arrive par bateaux, avec toutes les avaries qu’il peut y avoir : retard, piratage des bateaux, erreur de chargement… Nous devons en permanence anticiper ces phénomènes ».

Originalité supplémentaire, la Sicalait produit une partie des fourrages consommés par les vaches laitières de l’île. Enfin, une de ses tâches fondamentales consiste à prendre en charge l’élevage des génisses.

500 génisses par an

« La délégation de l’élevage des génisses est un choix des éleveurs, précise Pierre Ulrich. Ils peuvent ainsi se concentrer sur les vaches. » Les producteurs vendent leurs veaux à la Sicalait entre 10 jours et six semaines après leur naissance.

Les mâles sont élevés à part, dans l’objectif de produire du veau rosé six mois plus tard. Les femelles restent à la nurserie pendant la phase lactée. « La nursery, c’est une « machine à laver », explique son responsable, Emmanuel Deurveilher. Les veaux de presque tous les élevages de l’île y sont rassemblés. Nous gérons donc l’aspect sanitaire de ce regroupement. » Les génisses sont vaccinées contre les maladies respiratoires et l’entérotoxémie. Elles sont aussi écornées et habituées au cornadis.

Après sevrage, elles rejoignent la ferme de la Sicalait, où elles grandissent d’abord en stabulation, puis au pâturage, avec un complément d’enrubannage. Elles sont pesées tous les trois mois, inséminées dès qu’elles atteignent 15 mois et 350 kg et échographiées 35 et 180 jours après. Les éleveurs les rachètent à 7 mois de gestation. 700 génisses se trouvent en permanence sur le site.

La ferme de la Sicalait dispose d’une SAU exceptionnelle : 135 ha. Elle produit plus de fourrages qu’il n’en faut pour les génisses ; une partie est donc vendue. Le fumier produit est composté et épandu ou vendu composté aux adhérents. Les sols sont également fertilisés avec des boues de laiteries, qui sont riches en azote.

A la nursery, Emmanuel Emmanuel Deurveilher est entouré de son équipe pour soigner les veaux durant la phase lactée. (© Emmanuelle Bordon)

Un modèle d’interprofession unique

La Sicalait encourage actuellement la professionnalisation des élevages et veut les aider à progresser techniquement. Pour ce faire, elle a débloqué cinq millions d’euros. « 100 000 € par ferme, qu’il faut voir comme une enveloppe de réserve, destinée à aider le financement d’améliorations au niveau des équipements, développe Pierre Ulrich. Par exemple, un bâtiment neuf, un projet de robotisation, de détecteur de chaleurs, etc. ». L’enveloppe finance 70 % des projets. Et s’il reste du budget, un autre projet peut être envisagé.

Avec seulement 50 adhérents et un niveau de services exceptionnel, la Sicalait est inévitablement déficitaire. Elle est heureusement soutenue par l’Aribev (Association Réunionnaise Interprofessionnelle du Bétail, de la Viande et du Lait), l’interprofession animale de La Réunion. Modèle unique en Europe, celle-ci réunit toutes les filières de production animale de l’île (lait, viande bovine, porc, volaille), depuis les producteurs via les coopératives (dont la Sicalait), jusqu’aux metteurs en marché. « Tous les acteurs cotisent, précise Pierre Ulrich, y compris les transformateurs ». Cette organisation permet également d’apporter une compensation aux élevages qui doivent réformer la totalité de leur troupeau dans le cadre du plan leucose.

Egalim avant Egalim

Pour garantir un revenu correct aux éleveurs insulaires et aider la production locale à concurrencer le lait en poudre importé, la filière affiche une volonté de garantir un revenu minimal aux éleveurs.

« Pour ce faire, explique Pierre Ulrich, nous avons défini une « ferme de référence », qui est plus ou moins une ferme moyenne réunionnaise : 45 vaches, un niveau d’étable à 7000 litres, 15 ha de SAU et un revenu minimal par ETP de 29 000 €. Celle-ci sert d’étalon. En calculant régulièrement les coûts et les produits de cette exploitation moyenne, nous pouvons voir si le revenu de référence est atteint ou non. S’il ne l’est pas, nous changeons un paramètre ». Dans cette logique, les transformateurs acceptent d’acheter le lait plus cher si besoin. « Finalement, nous avons fait Egalim avant Egalim », résume Pierre Ulrich. « Enfin, la Sicalait adhère à la démarche de qualité Agri Confiance, qui garantit à ses adhérents un traitement équitable. Cela nous permet d’être crédibles vis-à-vis des financements européens ».

« Ce qui est impressionnant, conclut Pierre Ulrich, c’est que malgré des conditions insulaires particulières, la production se fait quand même et on continue à installer des jeunes éleveurs. Courant 2024, nous allons accompagner la création de deux nouveaux troupeaux. C’est un signal très fort qui dit que la filière est dynamique. »