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Agriculteurs et salariés handicapés, employeurs

Handicap en agriculture : se mobiliser tous pour l’inclusion !


TNC le 19/04/2024 à 07:19
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Les « ingrédients » à réunir : des agriculteurs et salariés « acteurs » malgré leur handicap, des employeurs « sensibilisés et impliqués », des professionnels qui accompagnent. (© Beast, Adobe Stock)

Nouvelle série de témoignages d’agriculteurs et d’ouvriers agricoles en situation de handicap, mais aussi d’exploitants employant des salariés handicapés. Si chaque cas est particulier, tous illustrent la même envie et implication pour favoriser l’inclusion dans le milieu agricole.

« Je ne me sens pas plus handicapé que n’importe qui. » Amputé de sa jambe gauche depuis son accident de voiture en 2004 et équipé d’une prothèse, Bertrand a mis son handicap « au fond de la poche avec un mouchoir dessus », comme il dit dans une vidéo sur la chaîne Youtube du groupe Lorca. « Je n’y pense pas tous les jours, je n’y pense même jamais », reprend cet agriculteur à Lesse (Moselle), même si cela implique de « faire de deuil » de certaines choses pour « continuer à vivre ». Pourtant, son premier geste du matin est d’enfiler sa prothèse. « Une fois qu’elle est mise, c’est parti ! », lance-t-il.

Je n’y pense pas tous les jours, je n’y pense même jamais.

Des journées de travail similaires

7 h 30 : il prend sa voiture pour un tour des pâtures, voir si tout va bien, contrôler l’eau, amener de l’aliment, etc. S’ensuit une journée de travail classique d’agriculteur et éleveur… jusqu’au soir, et même 20 h assez régulièrement comme beaucoup de ses collègues. « Bien sûr, il y a des tâches que je ne peux plus effectuer, telles que les vêlages, reconnaît-il, mais pour le reste, j’essaie d’être autonome. » Seul, ce serait plus compliqué, il le sait. « Mon frère et mon père sont là pour m’épauler », au quotidien et en cas de difficulté, « c’est important ».

Je ne me suis pas posé la question, je suis resté agriculteur.

À l’hôpital toutefois, on lui avait conseillé de se reconvertir hors de l’agriculture. « J’ai eu du mal à encaisser », mais après avoir « digéré » ces propos, « je suis rapidement remonté sur le tracteur et j’ai réussi à réaliser les travaux d’avant ». Il ne se « pose pas de question », il restera agriculteur malgré le handicap. Quelle « émotion » d’être à nouveau au volant d’engins agricoles ! « C’est bon pour le moral, dans des moments pas évidents », souligne le producteur.

Mêmes objectifs et inquiétudes

Tout petit déjà, il accompagnait ses grands-parents et parents à la ferme avant de s’installer, en 2008, sur celle d’un oncle. L’année d’après, son frère reprend l’exploitation d’un autre oncle. Depuis, ils travaillent ensemble, avec leur père qui a pris sa retraite il y a deux ans, mais les aident encore. Le Gaec des cèdres s’étend sur 540 ha – 400 ha de céréales et maïs et 140 ha d’herbe – et élève 130 Charolaises. Une structure qui « a évolué en 15 ans, s’est agrandie et fonctionne bien » : voilà ce dont Bertrand est le plus fier, à l’image de nombreux exploitants.

Faire évoluer la ferme, transmettre, résister à la conjoncture.

De même que de « travailler en famille, voir ses enfants donner un coup de main », et ainsi « leur transmettre la valeur du travail », voire peut-être plus tard la ferme, même s’ils choisiront le métier qu’ils voudront. Concernant les évolutions du secteur : il s’est orienté vers la vente directe il y a quatre-cinq ans, puis la méthanisation. À l’instar, également, d’autres producteurs.

Ses inquiétudes sont, de la même manière, similaires à celles de ses collègues non porteurs de handicap : la conjoncture difficile et incertaine, la volatilité des prix… Son projet à horizon dix ans : « être toujours agriculteur. » La seule différence qu’il pourrait ressentir est dans le regard des autres. « Ce sont eux qu’il faudrait questionner à ce sujet. Moi, cela ne m’intéresse pas plus que ça », conclut-il.

Embaucher un salarié en situation de handicap

Autre témoignage sur Youtube, différent, parce que celui d’agriculteurs employeurs d’un salarié en situation de handicap. Noémi travaille à mi-temps avec son père Bruno depuis 2007, quand Nicolas rejoint la société en 2015. À l’installation de Xavier, suite au départ en retraite de Bruno, les deux nouveaux associés en profitent pour « officialiser » son statut et créer un vrai « poste », et ainsi le « pérenniser ».

Vidéo publiée, il y a quelques mois, sur la chaîne Youtube de la chambre d’agriculture de Bretagne. Elle a été réalisée dans le cadre du projet Orga’nic, en partenariat avec les chambres d’agriculture de Bretagne, Normandie, Pays de Loire, Hauts-de-France et Nouvelle-Aquitaine (Deux-Sèvres et Haute-Vienne).

« Un réel intérêt et gain de temps pour la ferme »

Les horaires et les tâches sont « cadrés », pour que « ce soit plus facile pour Noémi de s’adapter à l’absence de son père ». Le salarié prépare la salle de traite, trait en binôme, nettoie et paille les logettes. « Cela correspond à ce qu’il peut faire en autonomie. On peut le laisser en début d’après-midi, et se consacrer aux champs. Un réel gain de temps et intérêt pour nous », font remarquer Xavier et Nicolas.

Le seul aménagement sur la ferme face au handicap : un système de désinfection et de trempage automatique des griffes. « Moins de perte de temps, de gestes répétitifs et de risques d’oublis pour Noémi : cela le sécurise », expliquent les éleveurs qui bénéficient, eux aussi, de cet équipement. Le troupeau compte en effet une centaine de vaches laitières, sur 120 ha, avec vente directe. L’investissement est malgré tout conséquent.

C’est pourquoi ils sollicitent une subvention pour cette adaptation de l’exploitation agricole au handicap. Au fil des discussions avec la MSA et Cap Emploi 61, il a semblé judicieux aux producteurs que leur salarié soit accompagné pour l’utilisation de ce matériel et, plus largement, pour s’habituer à la nouvelle organisation et à ses nouveaux partenaires. Aujourd’hui, ce dernier leur donne entière satisfaction.

Employé et employeur impliqués

Dans l’observatoire « agriculture : emploi et handicap » de l’Agefiph (Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), paru en février 2024, c’est un ouvrier agricole qui témoigne sur son handicap. Ramiro Carvalho est employé au sein de l’entreprise Edea depuis 1992. Victime d’un accident du travail en 2019, et en arrêt un peu plus d’un an, il a « très peur de perdre » sa main dominante et son boulot.

J’ai eu peur de perdre mon emploi, mais je l’ai gardé.

Grâce à l’accompagnement de « la médecine du travail, Cap Emploi et mon employeur surtout, j’ai conservé mon emploi », met-il en avant. Pour une reprise en douceur, ce dernier allège d’abord les missions de Ramiro avec, en parallèle, l’appui d’un apprenti. Avant que celles-ci et le poste de travail soient aménagés pour que le handicap ne s’accentue pas. Employé et employeur sont parties prenantes.

Cap Emploi fait intervenir un ergonome de l’Agefiph et accompagne l’entreprise auprès de l’association, afin que soit accordée la reconnaissance de la lourdeur du handicap pour compenser la baisse de productivité. La RLH est une aide précieuse, insiste Ramiro qui espère finir sa carrière à Edea. « Un employeur sensibilisé au handicap et impliqué, un salarié acteur, un médecin du travail associé : tous les ingrédients, pour un maintien dans l’emploi réussi, étaient réunis », résume Cap Emploi.