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Reportage

À la ferme St Paul (27), l’or blanc existe encore et il est produit à l’herbe


TNC le 28/09/2018 à 05:53
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Aurélien Dubos et son père Thierry exploitent 111 ha dont 104 d'herbe pour leurs 90 vaches laitières. Adeptes du pâturage tournant dynamique, les éleveurs ont découpé leur parcellaire en 70 paddocks d'un demi hectare chacun pour y faire tourner le troupeau toutes les 12 heures. Une gestion de l'herbe qui leur permet d'atteindre les 6 000 litres/vache tout en réduisant considérablement leurs charges opérationnelles.

C’est au cœur de la campagne normande, à Lyons-la-Forêt (27) qu’Aurélien et Thierry Dubos élèvent leur troupeau de vaches laitières sur une centaine d’hectares d’herbe dont 80 % en prairies permanentes. Installé depuis le mois de juin avec son père, Aurélien raconte : « Nous avons toujours fait de l’herbe mais elle n’a jamais été aussi bien valorisée qu’aujourd’hui. » Thierry enchaîne : « Un jour, j’ai vu passer une publication sur Facebook sur le pâturage tournant dynamique (PTD, ndlr). Nous faisions déjà tourner les vaches tous les trois jours sur différentes parcelles mais là il était question de raccourcir la durée de présence en augmentant le chargement. Aurélien était contre mais nous avons tout de même commencé par découper les paddocks des génisses en deux et on s’est aperçus que ça fonctionnait bien. »

70 paddocks pour une rotation de 12 heures

Entre ce premier pas en 2016 et aujourd’hui, les éleveurs ont bien progressé. « Moi qui n’étais pas convaincu, j’ai réalisé ma première formation avec Pâturesens au cours de l’hiver 2016-2017 », explique Aurélien. Les éleveurs ont alors entièrement repensé leur système. Auparavant, les 111 ha de SAU étaient divisés en une vingtaine d’ha de culture de vente, une autre vingtaine en maïs et le reste en prairies. Aujourd’hui, c’en est fini du maïs : les éleveurs ne cultivent plus que 7 ha de méteil qu’ils moissonnent et le reste est exclusivement en prairie. 40 ha sont destinés aux vaches laitières, 10 ha pour les génisses et le reste est gardé pour la fauche et pour les moutons (atelier de 60 brebis Suffolk initié en 2016 lorsque Aurélien était encore salarié de l’exploitation pour faire pâturer les colzas et les pâtures inaccessibles).

Les vaches qui changeaient de pâture tous les 3 jours tournent aujourd’hui beaucoup plus rapidement puisqu’elles ne restent que 12 heures par parcelle. Ces dernières ont été redécoupées (et d’anciennes parcelles cultivées ont été ressemées en prairies). « Nous avons calculé un besoin de 50 à 55 ares/vache, soit une quarantaine d’ha pour 90 animaux. Elles tournent donc sur 70 paddocks d’environ un demi hectare chacun toutes les 12 heures. » Le temps de repos est d’une trentaine de jours.

« Nous sommes partis sur une rotation de 12 heures avec des parcelles de jours et de nuits pour éviter de faire traverser la route aux animaux la nuit lorsque les jours sont plus courts, explique Aurélien. Le fait d’être sur des petites surfaces permet aussi de bien répartir les bouses. » À ce propos, les prairies n’ont reçu aucun engrais chimique depuis 1993. La fertilisation par les animaux eux-mêmes semble suffire et reste des plus économe. Sur ce sujet, Guillaume Baloche, consultant Pâturesens qui suit l’exploitation n’est pas du même avis : « Il faudrait tout de même apporter une fertilisation supplémentaire au sol car on exporte le lait donc la boucle n’est pas bouclée selon moi. »

Si les vaches ont accès à la stabulation toute l’année, elles y restent durant les trois mois les plus rudes de l’hiver. Elles sont alors nourries à l’ensilage d’herbe et au méteil mais cela devrait changer : « Nous projetons d’investir dans un séchoir en grange afin de distribuer du foin toute l’année aux animaux », témoigne Aurélien. Il devrait dans quelques temps ne plus y avoir aucun silo dans la cour de la ferme, ce qui devrait faciliter encore plus le travail. Actuellement, les vaches ont dépassé les 220 jours de pâturage puisqu’elles sont sorties à la mi-février.

Du techno pâturage pour les génisses

Les éleveurs ont commencé par mettre les génisses sur des paddocks de trois jours avec fil avant. Aujourd’hui, elles sont conduites en techno pâturage. C’est une technique qui consiste à déplacer les animaux au fil avant et arrière avec un chargement assez élevé. « Avant nous étions à 15 génisses par parcelle, alors qu’on monte à 35 génisses actuellement sur une même surface, annonce Thierry. Elles tournent sur 10 ha dont les excédents sont fauchés et avec un temps de repos des parcelles de 30 jours. Elles viennent également sur les parcelles des vaches quand celles-ci ne sortent plus l’hiver : elles nettoient les restes et ont l’avantage d’être plus légères. »

« Quand j’y repense, on a fortement modifié le système mais les animaux se sont bien habitués, déclare l’éleveur. Quand on réforme un système comme ça, mieux vaut commencer avec les génisses : leur apprendre dès toute petites qu’il faut bien gratter la parcelle. Elles sont alors moins récalcitrantes que les vaches qui au début revenaient constamment à la stabulation », se souvient-t-il. 

Au niveau génétique, on trouve quelques intruses dans le troupeau. En effet, les éleveurs testent différents croisements. Jersiaise, Brune, Montbéliarde, Normande, chaque race a sa chance. « En culture, j’ai toujours semé des mélanges de variétés. Pour moi, la diversité a son intérêt. C’est pareil chez les vaches », s’amuse l’éleveur. 

« Moins on travaille, plus on gagne »

« Au début, on était effrayé de ne pas faire notre quota, se remémorent les éleveurs. On a quand même baissé la production de 1 500 l/vache. Mais finalement, les résultats économiques étaient là. Forcément, on avait moins de dépenses ! » Les éleveurs ont d’ailleurs entamé une conversion à l’agriculture biologique en septembre 2017.

Côté confort de travail, les éleveurs l’apprécient grandement : « Forcément, on gagne du temps sur la traite : on passe 1h15 par traite en 2×8 postes. On n’a également plus de silo à bâcher ou débâcher. Notre objectif est de produire entre 5 et 600 000 litres avec une salle de traite toujours pleine et sans fluctuation au tank comme on a pu le connaitre quand on était en paddock de trois jours. »

Quant à la sécheresse qui en a effrayé plus d’un cette année, père et fils ne semblent pas inquiets : « On a redécoupé les paddocks en deux durant l’été pour allonger les temps de repos et ça a fonctionné : l’herbe a continué de pousser. En fait, nous n’avons jamais été aussi sereins lors d’un été de sécheresse », s’exclame Thierry. De plus, les éleveurs ont pris l’habitude de débrayer lorsque la pousse est trop importante : ils fauchent et font du stock.

Le seul bémol concerne les vaches taries : « Les vêlages sont étalés alors les taries ont toujours accès à une herbe trop riche, explique Aurélien. Il faudrait qu’on fasse du vêlage de printemps pour les faire pâturer l’hiver quand l’herbe est moins riche mais nous ne sommes pas encore prêts à franchir ce cap. On va peut-être commencer à le faire sur les génisses pour les caler sur l’herbe et avoir des lots un peu plus homogènes. »

L’eau, les chemins et la mise à l’herbe : les 3 points clés du PTD

« Si je devais donner les trois points indispensables à la réussite du PTD, je dirais l’eau, les chemins et la mise à l’herbe, concède Thierry Dubos. Concernant l’eau, nous avons placé un bac de 600 l pour 2 paddocks au milieu de chaque parcelle sous le fil. Nous allons néanmoins refaire un forage pour avoir plus de débit et enterrer les tuyau cet hiver pour ne plus avoir à les déplacer. Concernant les chemins d’accès, nous avons bétonné la sortie de la stabulation et marné les 400 premiers mètres de chemins. Les couloirs doivent être assez larges pour que le tracteur puisse passer lorsqu’on fauche les excédents. Nous allons poursuivre les chemins cette année en marne avec une bande bétonnée sur le milieu pour que quand ça glisse, les vaches puissent marcher sur le béton. » Pour ce qui est de la mise à l’herbe, les éleveurs sont formels : « Il faut faire gratter un maximum les prairies pour qu’elles repartent à fond. »

Le matériel a également son importance selon les éleveurs : « La première année, nous avons monté les clôtures avec du fil en nylon pour que ce soit plus facile à installer et surtout moins coûteux. Mais celui-ci finit par casser à force d’être enroulé et déroulé et est moins conducteur. » Les entrées et sorties de paddocks se font par les portes en V : « Cela évite les angles droits. Les vaches rentrent au plus loin et sortent au plus près », explique Thierry. Les associés prévoient encore quelques aménagements comme l’implantation d’arbres dans les pâtures pour créer des zones d’ombre l’été et limiter les courants d’air l’hiver.

Aujourd’hui, l’exploitation est totalement autonome au niveau alimentaire avec 150 bovins laitiers, 60 brebis et 20 Highlands en pension, soit environ 190 UGB sur 110 ha. Et les éleveurs ne comptent pas s’arrêter là. Alors, vêlages groupés ou monotraite, le Gaec de la ferme St Paul risque de connaître de nouvelles évolutions. « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis », s’amuse à dire Thierry.