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Paiement redistributif, plafonnement

Quel impact potentiel de ces outils de la Pac sur les exploitations françaises ?


TNC le 26/11/2020 à 17:31
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En vue de la nouvelle Pac, la Commission, le conseil et le Parlement ont fait des propositions pour maintenir ou renforcer le paiement redistributif, ainsi que le plafonnement et la dégressivité des aides. Obligatoires, optionnels, à quels seuils, ces points doivent encore être déterminés lors des trilogues en cours. Ces instruments de la Pac ont pour objectif de rééquilibrer les aides en faveur des petites exploitations et de réduire la corrélation encore forte entre la taille de l’exploitation et le montant des aides directes, pour limiter les tendances à l’agrandissement. Sur quelles exploitations et dans quelle mesure le renforcement de ces outils aurait-il un impact ?

Dans un article publié en juin 2020 dans la revue Economie Rurale, Vincent Chatellier, économiste et ingénieur de recherche à Inrae, étudie les impacts de différents scénarios de paiement redistributif et de plafonnement des aides (trois scénarios pour chacun des deux dispositifs) sur les exploitations agricoles françaises. Le premier scénario testé est celui qui se rapproche le plus des mesures envisagées par la Commission. Deux autres scénarios, moins directement connectés aux mesures pressenties, ont également été testés « pour permettre d’alimenter la réflexion autour de certains enjeux tels que le niveau des seuils de déclenchement ; la déduction possible ou non des coûts salariaux ; la prise en considération ou non de la transparence Gaec », indique l’auteur.

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Scénarios de paiement redistributif : jusqu’à 150 €/ha, réduction à 30 ha éligibles…

Le premier scénario concernant le paiement redistributif (PR1) reprend le projet initial de 2013 : si en 2015 (année de référence), le montant par hectare du paiement redistributif est de 25 euros (pour un prélèvement de 5 % des aides directes découplées), il est porté à 100 euros par hectare (pour un prélèvement de 20 % des aides directes découplées). La surface éligible au paiement redistributif est estimée, en France, à 14,6 millions d’hectares, avec l’application de la transparence pour les Gaec. Pour mémoire, depuis 2017, les ministres de l’agriculture ont choisi de limiter le prélèvement à 10 % des aides découplées.

Le deuxième scénario (PR2) est plus ambitieux sur la redistribution des aides, tout en restant compatible avec la réglementation européenne : le montant par hectare du paiement redistributif est porté à 150 euros par hectare, toujours sur les 52 premiers hectares, une augmentation permise grâce à un prélèvement de 30 % sur les aides découplées (soit le maximum possible).

Le troisième scénario (PR3) va encore plus loin dans cette logique : seuls les 30 premiers hectares de chaque exploitation seraient éligibles. Il supposerait de s’affranchir de la règle selon laquelle le montant du paiement redistributif par hectare ne peut excéder 65 % du montant moyen du paiement national.

Scénarios dégressivité : plafonnement à 100 000 €, 60 000 €, transparence ou non des Gaec…

Trois scénarios sont également présentés en matière de dégressivité des aides. Le premier (DP1) se base sur un plafonnement des aides directes à partir de 100 000 euros par exploitation, et une dégressivité des aides directes à partir de 60 000 euros : – 25 % pour la tranche comprise entre 60 000 et 75 000 euros ; – 50 % pour la tranche comprise entre 75 000 et 90 000 euros ; – 75 % pour la tranche comprise entre 90 000 et 100 000 euros. La transparence est appliquée pour les Gaec. Les frais liés à la main-d’œuvre salariée sont déduits du montant des aides directes pris en référence.

Le deuxième scénario (DP2) repose, lui, sur un plafonnement strict dès le seuil 60 000 euros sans strates intermédiaires ; et les exploitations n’ont pas, cette fois, la possibilité de déduire des coûts liés à la main-d’œuvre. Enfin, le troisième scénario (DP3) est identique, à l’exception de la transparence des Gaec, qui ne s’applique plus.

Un effet favorable pour les exploitations de moins de 100 hectares

Les trois scénarios relatifs au paiement redistributif sont favorables aux exploitations de moins de 100 ha, le troisième étant plus favorable que le deuxième, qui est plus favorable que le premier. En 2015, les unités de moins de 100 hectares, qui représentent les deux tiers des exploitations agricoles françaises, rassemblent 37,2 % des aides directes, un ratio qui passerait à 39,2 % avec le troisième scénario. Quant aux exploitations de plus de 300 ha (2,2 % des exploitations françaises), qui sont à 40 % des exploitations « céréales et grandes cultures », et à 40 % en « polyculture-élevage », elles perdent, en moyenne, 6 % de leur montant initial d’aides directes dans le cas du scénario PR1 (soit 6 620 euros par exploitation), 10 % dans PR2 (soit 11 040 euros par exploitation) et 13 % dans PR3 (soit 14 560 euros par exploitation).

Les trois scénarios testés relativement à la dégressivité et au plafonnement ont, eux aussi, un effet redistributif favorable, mais plus modeste, pour les exploitations de moins de 100 hectares.

Exploitations céréalières perdantes, bovins-viande gagnantes

Si l’on regarde les effets en fonction de l’orientation de l’exploitation agricole, ce sont les exploitations de grandes cultures (les plus représentées dans les grandes exploitations) qui subissent l’impact le plus négatif, mais la baisse des aides reste globalement faible, sauf dans le cadre du scénario P3 (abaissement du seuil à 30 ha).

Les exploitations d’élevage sont plutôt gagnantes dans leur globalité, mais les petites exploitations spécialisées en bovins-viande et en ovins le sont beaucoup plus, notamment grâce au paiement redistributif.  

Les propositions actuelles, à finaliser dans les trilogues, envisagent une dégressivité des aides directes à partir de 60 000 euros par exploitation et un plafonnement à 100 000 euros, mais ces mesures ne seront pas forcément obligatoires. Quand bien même, l’effet redistributif serait donc limité, « même si certaines très grandes exploitations seront pénalisées (du moins celles qui ne parviendront pas à s’adapter à la nouvelle règle) », estime Vincent Chatellier. L’impact redistributif pourrait par ailleurs être encore plus restreint par la possibilité de déduire du montant des aides directes les coûts de la main-d’œuvre et la transparence accordée aux associés des Gaec.