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[Interview] Gouvernance des coopératives

O. de Bohan (Cristal Union): «C’est le cadre démocratique qui guide nos actions»


TNC le 02/04/2021 à 07:53
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Confronté à un environnement économique mondial concurrentiel, et à des restructurations, le modèle coopératif est parfois vu comme touchant à ses limites. Pour Olivier de Bohan, président de Cristal Union et agriculteur dans la Marne, cette remise en question n’est pas justifiée : si le modèle doit évoluer pour répondre aux attentes des adhérents, l’action collective et démocratique de la coopération reste parfaitement d’actualité, explique-t-il.

TNM : En quoi le modèle coopératif est-il pertinent pour défendre les intérêts des agriculteurs ? 

Olivier de Bohan : Avant tout, la coopération est un choix des agriculteurs qui, collectivement, veulent mener des actions pour pérenniser et sécuriser leurs productions. La coopération est une valeur importante qui nous permet de réaliser des choses qui ne seraient pas possibles individuellement. La coopérative agricole est le prolongement de l’exploitation, dans son organisation, dans son mode de fonctionnement : on est là pour valoriser et transformer la production.  

Le pouvoir souverain est détenu par les associés coopérateurs, le pouvoir d’orientation, de décision et de surveillance revient au conseil d’administration, et le pouvoir exécutif est attribué à l’équipe de direction, qui sont les dirigeants salariés de l’entreprise.

TNM: Est-ce que, dans une grande coopérative, cette organisation permet de conserver un lien avec les adhérents ?

Olivier de Bohan : La taille est une chose, et notre environnement économique nous oblige à avoir une taille suffisante, mais ce n’est pas pour ça qu’il faut oublier le lien avec les adhérents et la transparence. Si on fait un focus plus particulier sur Cristal Union, la coopérative compte 9000 adhérents répartis en huit sections qui correspondent à des zones géographiques. Chacune de ces instances est représentée par trois élus qui siègent au conseil d’administration de Cristal Union. Chaque président de section siège au bureau de la coopérative, où il ne défend pas uniquement son territoire mais bien une vision globale pour l’ensemble des coopérateurs. Les conseils de sections valident les décisions locales, émettent des avis et les proposent au conseil d’administration : c’est un gros avantage, car cela nous fait remonter toutes les informations et spécificités liées à une zone géographique.

En aucun cas l’équipe de direction n’impose !

TNM : Tout le monde est donc représenté dans le processus de décision ?

Olivier de Bohan : C’est le conseil d’administration, en lien avec l’équipe de direction, qui propose mais toutes les décisions sont bien prises par les administrateurs élus par l’assemblée générale. En aucun cas, l’équipe de direction n’impose, ce n’est pas comme ça que ça se passe chez nous. Je peux vous assurer que des débats, il y en a, et des vivants ! Et c’est aussi le rôle du président d’amener les arguments, d’expliquer, et au final, dans la majorité des cas, on recherche le consensus pour maintenir cet équilibre et la stabilité dans la gouvernance.

La décision d’une restructuration, c’est bien le conseil d’administration qui la prend, et ce n’est pas une décision simple. Mais on doit avoir à la fois une vision pour gérer le court terme, mais aussi le long terme. Dans notre monde industriel, quand on prend une décision, ce n’est pas pour cinq ans ni pour le temps d’une présidence, elle nous engage pour des décennies.

Il ne faut pas pour autant s’endormir sur ses lauriers.

TNM : Le modèle coopératif doit-il évoluer ?

Olivier de Bohan : Au niveau de Cristal Union, on a conscience que le modèle doit évoluer. Ce dernier avait une certaine avance, sur les valeurs humaines, sociales, de démocratie, de collectif, il avait raison avant l’heure. Mais il ne faut pas pour autant s’endormir sur ses lauriers. Moi ce qui me motive le plus, c’est de répondre aux attentes des jeunes. Sur le modèle, on doit être en perpétuelle réflexion. C’est pourquoi nous avons mis en place un groupe jeune, avec des représentants de chaque section, et un an de formation sur ce qu’est une coopérative, sur la démocratie, le collectif. Nous en attendons beaucoup pour connaître les attentes des futurs adhérents, c’est essentiel pour demain, pour assurer le renouvellement des générations.

TNM : Les attentes des clients poussent-elles aussi le modèle à évoluer ?

Olivier de Bohan : Avant, on produisait et puis on voyait comment vendre. Aujourd’hui, c’est le contraire : on regarde les attentes du marché, on cherche l’adaptation entre l’attente client et les possibilités des adhérents, avec deux obligations : assurer la pérennité de la production, avec une performance économique. On produit des betteraves, mais on vend du sucre, de l’alcool et de l’éthanol, et on passe donc par une première, voire une deuxième transformation avant d’arriver au client final. Il faut que la coopérative se donne les moyens d’être performante face aux aléas de marchés. D’autant plus que depuis la fin du régime des quotas betteraviers, qui a fait richesse de la filière, nous sommes confrontés à monde beaucoup plus concurrentiel : le maître-mot est la compétitivité à tous les niveaux.

Le conseil d’administration a fait des choix majeurs, pour se développer et tenir une place, et il ne fallait pas décrocher en matière de coût de revient, d’où ces décisions parfois douloureuses, mais incontournables, que le conseil d’administration a dû prendre dans l’intérêt général pour assurer l’avenir de la coopérative. Car si on ne tient pas les prix, les agriculteurs n’ont plus intérêt à produire. Il nous faut donc cette capacité à mieux rémunérer. La restructuration était nécessaire, et cela nous positionne dans une dynamique de performance en matière de coût de revient. Cela nous permet d’être beaucoup plus résistants dans les périodes où le marché est bas, et nous donne une capacité à générer des marges quand les marchés montent.

TNM : Après ces décisions difficiles, êtes-vous confiant pour l’avenir ?

Olivier de Bohan : Je suis serein. Le marché de l’après-quota et les décisions de restructuration ont conduit à deux années d’exercice déficitaires, et alors que nous commencions à avoir des perspectives, nous avons eu une année 2020 de folie avec une double crise sanitaire. La Covid nous a fait peur au début, avec – 80 % de débouchés sur l’éthanol alors que l’on avait investi des centaines de millions d’euros dans la distillerie, mais notre flexibilité nous a sauvé, permettant une diversification. On a pu compenser la chute par la production d’alcool pour les gels hydroalcooliques. Et ça, c’est bien grâce aux décisions du conseil d’administration. Il y a un an, on manquait de masques, de tests, mais on n’a jamais manqué d’alcool. On a produit jusqu’à 800 000 litres par jour pour répondre aux besoins !  

Et deuxièmement, nous avons eu la crise de la jaunisse de la betterave, qui a généré une perte de 30 % de la production. Alors que l’on avait misé sur l’écrasement des charges par rapport aux coûts de revient, ce qui ne fonctionne pas quand les volumes baissent. Et pourtant, nous allons revenir significativement dans le vert cette année. Être capable de passer ces deux crises et d’avoir des comptes significativement positifs, cela met du baume au cœur ! Les agriculteurs vont observer une meilleure valorisation des betteraves, et nous sommes en capacité d’annoncer une amélioration pour l’année prochaine. On se doit d’être dans une fourchette entre 25 et 30 euros la tonne, en s’approchant significativement des 30 €/t, c’est ça notre objectif, et on n’a pas d’autre choix que de réussir. Le conseil d’administration en a parfaitement conscience. Sur 2021, on est déjà sur des prix indicatifs à 26 €/t, on sera à plus de 27 € avec les différentes primes. Et après tout ce qu’on vécu en 2020, on n’est peut-être pas à l’abri d’une bonne surprise en 2021 !