Accéder au contenu principal
[Interview] Bertrand Valiorgue

« La restructuration est un enjeu de gouvernance pour les coopératives »


TNC le 16/03/2021 à 10:59
fiches_ItwBValiorgue

Si les fusions de coopératives sont juridiquement très encadrées, les restructurations sont aujourd’hui décidées uniquement par la direction générale, sans que les agriculteurs coopérateurs puissent participer ou s’opposer à la décision. Professeur en stratégie et gouvernance, Bertrand Valiorgue explique en quoi ce « vide juridique » est problématique pour les adhérents, qui devraient se saisir du sujet pour faire évoluer la législation.

TNC : Pourquoi le sujet de la restructuration des coopératives et de son encadrement juridique est-il particulièrement d’actualité ?

Bertrand Valiorgue : Aujourd’hui, on arrive à la fin d’une logique où, quand une coopérative rencontrait des difficultés économiques, elle faisait appel soit à une autre coopérative du territoire, soit à une autre coopérative qui avait des métiers similaires, pour fusionner. On atteint les limites de ce système : les coopératives ont beaucoup grandi, et il n’est plus possible de masquer les difficultés en fusionnant. Elles sont donc contraintes de se restructurer et de fermer des sites.  

Parallèlement, les coopératives évoluent aujourd’hui sur des marchés dérégulés, et il leur est parfois difficile de s’aligner sur les standards économiques mondiaux. Les fermetures s’avèrent nécessaires pour se recentrer sur les activités les plus productives et arrêter les autres.

TNC : Dans un article publié récemment dans la Revue de Droit rural, vous pointez l’absence d’encadrement juridique de ces restructurations, contrairement aux opérations de fusion qui, elles, sont très balisées…

B.V. : Oui, aujourd’hui, il existe un vide juridique. On sait très bien baliser le processus de fusion entre coopératives, mais nous n’avons pas du tout les mêmes garde-fous, du point de vue du droit, pour les restructurations. Lors d’un conseil d’administration, une direction générale peut donc décider d’imposer une restructuration à la communauté des coopérateurs sans qu’ils aient leur mot à dire. Alors que la fusion doit être votée en assemblée générale.   

Ce n’est pas logique. Pour moi, les restructurations sont un sujet de gouvernance : si l’on veut se séparer d’une activité qui concerne les agriculteurs coopérateurs, il faut leur demander leur avis.

TNC : Comment, concrètement, les restructurations peuvent-elles impacter les adhérents d’une coopérative ?

B. V. : Une restructuration, cela peut conduire à des silos qui ferment, des sites de production qui s’arrêtent, une coopérative qui se retrouve à 50 km de l’exploitation quand elle était auparavant à 15 km voire, pour l’agriculteur, l’obligation d’arrêter l’activité en lien avec le site fermé… Les conséquences négatives sont très concrètes. 

TNC : Quelles propositions faites-vous pour encadrer la restructuration et permettre aux adhérents de peser dans la décision ?

B. V. : Il s’agit de modifications du statut type des coopératives. Il faut faire rentrer la question de la restructuration pour qu’elle devienne un sujet d’assemblée générale. Il suffit de quelques petites lignes, de quelques ajouts de phrases, pour transformer les pratiques.

Ce n’est pas très compliqué, cela ne nécessite pas une refonte complète du droit coopérateur, mais il faut mobiliser une volonté politique pour demander au Parlement un amendement et le voter pour l’inscrire dans la loi.

Il n’y a pas de raison d’être plus brutal avec les coopérateurs agricoles qu’avec des salariés !

TNC : Et ces propositions pourraient être soutenues par les coopératives ?

B. V. : J’imagine que toutes les coopératives ne vont pas réagir de la même manière. Certaines n’ont pas attendu ces propositions pour accompagner les restructurations afin de déstabiliser le moins possible les coopérateurs. Il me semble que ces propositions sont susceptibles de renforcer l’image des coopératives. Parfois la restructuration s’impose et il n’y pas d’alternative. Mais on sait aujourd’hui préparer et accompagner les salariés et il n’y a pas de raison d’être plus brutal avec les coopérateurs agricoles qu’avec des salariés ! On sait mettre en place des Plans de Sauvegarde de l’Emploi pourquoi pas des Plans de Sauvegarde Agricole.

Les coopératives ne peuvent pas fonctionner comme des entreprises privés car elles ont une mission d’accompagnement auprès des agriculteurs qui sont les premiers touchés par les restructurations. Ces décisions difficiles doivent être partagées, comprises et faire l’objet d’un accompagnement spécifique. Je vois dans ces propositions un moyen de renforcer l’identité coopérative.

TNC : Pourquoi n’entendons-nous pas encore parler de ce sujet ?

B. V. : Pour le moment, les coopérateurs n’ont pas encore compris ou vu la difficulté, l’absence de concertation quand ces évènements ont lieu. Les grandes restructurations sont devant nous, même si on en voit arriver, comme avec Cristal Union, Axéréal… C’est un sujet nouveau, sur lequel les adhérents doivent être vigilants.