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Marché du blé

Le blé roumain, un concurrent menaçant pour la filière française ?


TNC le 21/11/2019 à 10:27
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La Roumanie est devenue un acteur important sur le marché du blé, principale culture du pays. Sa production a considérablement augmenté ces dernières années, permise par un développement des rendements. Selon Gautier Maupu, spécialiste des pays de la mer Noire, la progression devrait se poursuivre, entraînant la production encore à la hausse. Faut-il y voir une menace pour la filière blé française ? Focus sur ce pays qui a récemment rejoint l’Union européenne.

Sur le marché des grains, les opérateurs se focalisent beaucoup sur la Russie. Et c’est à juste titre puisque l’agriculture s’y est fortement développée. D’une production de blé à 44 Mt en 1997, le pays est passé à près de 86 Mt en 2017. En l’espace de 20 ans, la production a donc presque doublé. À l’est de l’Europe se trouve la Roumanie qui, elle aussi, a nettement progressé sur le marché du blé. La France peut-elle considérer le blé roumain comme un sérieux concurrent ?

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À l’heure actuelle, la Roumanie est le 3e exportateur de blé en Europe, derrière la France et l’Allemagne. Depuis deux – trois ans, la Roumanie  exporte entre 5 et 7 Mt de blé par an. Mais le pays présente une particularité, explique l’expert « sur ces 5 à 7 Mt d’exports (les chiffres proviennent des statistiques d’exports), il y a aussi pas mal d’importations qui sont faites en provenance de Hongrie et Bulgarie. Le blé transite par le Danube pour rejoindre la Roumanie et être ensuite exporté sur la mer Noire à partir des  ports roumains ». Finalement, la Roumanie en elle-même exporte entre 3 et 5 Mt et importe entre 500 k et 2 Mt tous les ans en provenance de ses voisins, en fonction de leur récolte locale.

Gautier Maupu, consultant international chez Agritel. (©Gautier Maupu)

50 000 ha pour la plus grande exploitation !

Entre 1997 et 2017, les rendements en Roumanie sont passés de 3 t/ha à près de 4,9 t/ha, d’après la FAO. Soit une progression de l’ordre de 63 % en 20 ans ! Dans le même temps, les surfaces n’ont presque pas bougé : elles sont restées stables, autour de 2 Mha. À titre de comparaison, en Russie, les rendements sont passés de 1,8 t/ha à 3,1 t/ha (+ 70 %) et les surfaces ont progressé de 24 Mha à 27,5 Mha (+ 15 %). Toutefois, « quand on part d’un rendement à près de 1,5 t/ha, ce n’est pas très difficile de l’augmenter un peu ! », souligne Gautier Maupu, consultant international chez Agritel.

De 7,2 Mt en 1997, la production de blé roumain s’est élevée à 10 Mt en 2017. Contrairement à la Russie, l’augmentation de la production est passée exclusivement par la hausse des rendements. Ils sont d’ailleurs particulièrement hétérogènes en raison de la grande variabilité de taille entre les exploitations, qui s’échelonne de près de 2 ha à 50 000 ha !

Plusieurs raisons permettent d’expliquer la progression des rendements. Le pays regorge de bonnes terres et du tchernoziom (une terre particulièrement riche en matière organique et jugée comme la meilleure terre du monde pour les grandes cultures) est même présent dans le sud.

« Le climat a offert des conditions un peu plus clémentes pour les blés ces derniers temps, bien que l’on ne soit pas à l’abri de certains problèmes climatiques, comme ce fut le cas en 2003 ou 2007, où la canicule avait fortement imputé les rendements », souligne l’analyste.

D’autre part, l’amélioration de la génétique a également joué un rôle primordial. « De plus en plus d’exploitations utilisent des variétés européennes, qui permettent d’avoir un rendement plus élevé ». Par ailleurs, l’amélioration des techniques culturales est clairement visible. « Il y a plus d’achat de matériel et plus de technique dans la gestion des intrants, que ce soient des engrais mais aussi des produits phytosanitaires », explique Gautier Maupu.

L’entrée dans l’UE : un nouveau souffle pour la Roumanie

La Roumanie a rejoint l’Union européenne en 2007. Son entrée l’a aidée à progresser au niveau de la stabilité, de l’économie et la logistique, explique le spécialiste. Les investissements et les subventions, « qui allaient parfois jusqu’à 50, 70, voire même 100 % pour les agriculteurs qui installaient du stockage ou de l’irrigation », ont redonné un nouveau souffle au pays.

La filière agricole représente une bonne partie du PIB en Roumanie et entre 2007 et 2014, de nombreux plans de financement européens ont été mis en place pour essayer de remettre à niveau les exploitations et toute la filière, ainsi que de refaire les routes. « Les aides Pac ont aussi aidé à stimuler le secteur agricole, bien qu’elles soient plus faibles depuis 2014 ».

« La Roumanie, ce n’est pas la Russie : les surfaces ne sont pas illimitées », explique l’expert. D’autant plus qu’une bonne partie au milieu du pays est couverte de montagnes. Le pays cultive également du maïs et les surfaces ne sont pas appelées à diminuer. L’hypothèse d’une extension des surfaces de blé parait donc peu probable. Toutefois, l’analyste estime qu’il y a encore une progression à venir pour les rendements : « l’amélioration génétique va continuer, tout comme l’amélioration des techniques culturales ».

Presque 10 % des surfaces sont exploitées par des étrangers

« Il y a encore cinq ans, de fortes disparités pouvaient être constatées entre les grosses exploitations bien gérées, détenues souvent par des agriculteurs étrangers et les très petites exploitations qui avaient peu de moyens et avaient du mal à gérer leurs cultures ». Aujourd’hui, c’est de moins en moins le cas, avance Gautier Maupu. Il note une amélioration des petits producteurs : « quand on voit le voisin qui fait deux fois plus de rendement que nous, au bout d’un moment on se pose des questions et on s’en inspire pour progresser ». Par ailleurs, les écoles d’agricultures se développent dans le pays et la population d’agriculteurs se renouvelle progressivement, apportant de nouvelles compétences.

Selon le spécialiste, les rendements vont progresser, certes, mais n’atteindront probablement pas les niveaux français ou allemand. « Aller chercher les derniers quintaux coûte cher et sachant qu’en Roumanie, il peut parfois pleuvoir à peine 300 ou 350 mm à l’année, le risque est grand. Sans eau, le rendement sera quoi qu’il arrive très faible ». Plutôt que d’aller chercher ces derniers quintaux trop coûteux et risqués, la stratégie des agriculteurs roumains se porte davantage sur une bonne gestion des approvisionnements et la recherche d’un rendement suffisamment élevé mais sans viser le maximum, le tout, en faisant en sorte que cela ne soit pas trop coûteux à la fin de l’année, en cas de perte suite à un potentiel aléa climatique.

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