Accéder au contenu principal
Artificialisation des terres

La grande distribution traditionnelle arrive à la fin d’un processus


TNC le 24/03/2020 à 06:04
fiches_2020_03_13_SNPR

Thierry Bussy, Thierry Pouch et Pascal Madry le 13 mars, au congrès de la SNPR à Paris. (©TNC)

Si les grandes surfaces et les centres commerciaux à proximité des villes ont constitué des moteurs de l’économie locale pendant plusieurs décennies, consommant des terres au détriment de l’agriculture, ce modèle arrive aujourd’hui à la fin d’un cycle et pose la question d’un dynamisme territorial mieux articulé avec les activités agricoles.

Le secteur de la distribution en France est aujourd’hui « un secteur à maturité », a expliqué Pascal Madry, directeur de l’Institut pour la Ville et le Commerce, à l’occasion d’une table-ronde organisée le 13 mars par la Section nationale des propriétaires ruraux (SNPR) de la FNSEA

« Le paradoxe, c’est que depuis cette saturation, on a accéléré les ouvertures de magasin », avec la volonté de compenser les baisses de rendements par des gains de productivité, poursuit le spécialiste. « Pour renforcer leur pouvoir de négociation en amont, les distributeurs ont dû étendre la voilure de sorte à entrer dans un rapport de force favorable », ajoute Pascal Madry. Aujourd’hui, il faut deux fois moins de magasins pour satisfaire une population qui a augmenté de 20 millions d’habitants depuis les années 1970, mais ce sont les grandes surfaces qui occupent les deux tiers des surfaces du secteur. Pour autant, le modèle touche clairement à sa fin, puisque la vacance augmente d’année en année, atteignant 12,5 % dans les centres commerciaux, et 8,5 % dans les zones commerciales des moyennes surfaces.

L’évolution de la loi Royer (loi d’orientation du commerce et de l’artisanat de 1973) et qui encadrait la création des moyennes et des grandes surfaces a changé de nature depuis les années 2000, permettant l’accélération de la création de ces surfaces alors même que le secteur arrivait à saturation. « Au regard de l’objectif de limitation de l’artificialisation, ce régime s’est avéré peu vertueux », constate Pascal Madry. Certains secteurs sont encore en progression, comme les drives, les supermarchés spécialisés, et les magasins de bricolage et de jardinerie, mais « le gros de la croissance est derrière nous, il va falloir gérer les mètres carrés en trop produits pendant ces quinze dernières années », ajoute le spécialiste du secteur.

Un retour à une alimentation de proximité ?

La fin de ce modèle signifie-t-elle pour autant un retour à une alimentation relocalisée et une utilisation des terres plus favorable à l’agriculture, autour des communes ? « La relation entre agriculture et commerce est consubstantielle rappelle Pascal Madry, mais le commerce a justement cherché à s’émanciper de cette relation primordiale, à sortir d’une économie domestique et locale pour aller à la conquête des marchés mondiaux ». Dans ce contexte, les projets alimentaires territoriaux (PAT) vont probablement tirer l’activité agricole vers un recentrage, indique de son côté Thierry Pouch, chef du service prospective de l’APCA. Cette dynamique trouve d’ailleurs une résonance particulière dans le contexte actuel, en écho avec les discours du ministre de l’économie et du président de la République, appelant à « ne pas déléguer notre alimentation ».

« On est certainement allés beaucoup trop loin, les consommateurs s’interrogent aujourd’hui sur l’opportunité de faire venir de l’alimentation de zones géographiques très lointaines, dont on ignore presque tout des conditions de production, de travail, l’impact sur la déforestation… », remarque Thierry Pouch. Mais si à travers les PAT ou d’autres dispositifs intégrant l’agriculture dans l’aménagement du territoire, des partenariats nouveaux se nouent entre agriculteurs et territoires, il faut encore relativiser, estime de son côté Pascal Madry : aujourd’hui, les achats alimentaires ne sont réalisés dans le commerce local qu’à 17 %, et ces parts de marché sont relativement stables depuis 20 ans. Sans compter certaines faiblesses du modèle « du point de vue de la distribution, les Amap représentent le modèle le plus inefficace qui soit, car le camion qui a bien vendu repart à vide », estime le directeur de l’institut pour la ville et le commerce.  

D’autres facteurs de consommation des terres

La problématique de la consommation de terres est aussi de la responsabilité des communes rurales, rappelle quant à lui Thierry Bussy, agriculteur, membre du conseil départemental de la Marne, vice-président délégué de la Safer Grand-Est. « Les communes rurales consomment beaucoup trop d’espace agricole, si on met bout à bout l’ensemble des communes rurales, on voit bien que trop d’espaces disparaissent ». Pour lui, le document d’urbanisme devrait être obligatoire dans toutes les communes, or ce n’est pas le cas et cela n’incite pas à moins consommer le foncier, surtout dans les petites communes rurales.

Enfin, autre point de vigilance soulevé par Pascal Madry, les demandes de foncier pour les entrepôts et plateformes logistiques liées au développement du commerce par internet (Amazon, CDiscount…) explosent, or ces demandes ne sont pas contrôlées par l’urbanisme commercial. Ces bâtiments ont pourtant des besoins fonciers très importants, encore très peu anticipés dans la question foncière en général et dont il faudra nécessairement se préoccuper pour limiter l’artificialisation des sols.

Lire aussi : Les dérives du marché sociétaire menacent le modèle agricole français
Et : La régulation française, un atout compétitif à préserver