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Souveraineté alimentaire

La diversification territoriale, un véritable défi collectif


TNC le 18/06/2020 à 10:02
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Avec le retour en force du concept de souveraineté alimentaire en ce contexte de crise sanitaire, l’idée de la relocalisation de la production, notamment agricole, fait partie de tous les plans de relance proposés par les organisations agricoles ou politiques. Quels leviers peut-on mobiliser pour y parvenir ?

Si la pandémie de Covid-19 et le confinement ont redonné de l’attrait au local et à la souveraineté alimentaire, cette souveraineté dépend d’une diversification des productions. Cette diversification est d’ailleurs « une nécessité, si l’on veut concilier deux objectifs aujourd’hui contradictoires, la sécurité alimentaire pour nourrir une humanité croissante, et la protection de notre environnement », a rappelé Gilles Lemaire, directeur de recherche honoraire à l’Inra, à l’occasion d’un webinaire organisé par l’Académie d’agriculture et Agreenium autour de la territorialisation de l’alimentation, le 17 juin. 

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Or, la simplification et l’uniformisation excessive de la production agricole « a été imposée par le paradigme des économies d’échelle, qui conduit à la spécialisation avec un objectif de réduction des coûts de production, c’est ce qui a formaté nos systèmes », ajoute-t-il.

La diversification, une nécessité environnementale

Et ces systèmes de production trop simplifiés ont donc des conséquences environnementales et agronomiques négatives : forte asynchronie entre le couplage et le découplage du cycle carbone-azote-phosphore, ce qui augmente l’accumulation de formes actives d’azote et de phosphore dans les sols, et donc des risques plus importants d’émission dans l’environnement. Par ailleurs, ils favorisent l’accroissement des adventices, des prédateurs et des maladies, explique Gilles Lemaire.

Pour y remédier, l’association avec des légumineuses permet par exemple de minimiser fortement les risques dans le milieu, tout en incorporant des éléments fertilisants à doses importantes. Plus globalement, la diversité des espèces cultivées permet d’augmenter la capacité de recouplage azote/carbone/phosphore dans le système de culture, mais « une des clés essentielles de la diversification d’un système de culture, c’est le maintien de l’association agriculture-élevage », insiste Gilles Lemaire. Cependant, elle n’est pas toujours possible au sein de l’exploitation agricole, qui n’est plus « l’unité métabolique adéquate », ajoute-t-il. Il faut donc organiser et optimiser les échanges au sein des territoires.

Organisation et optimisation des échanges au sein des territoires (©Gilles Lemaire / Académie d’agriculture de France)

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Accès à l’eau, innovation… des voies de progrès

Même au niveau territorial, l’autonomie totale restera quoiqu’il en soit utopique, pour un certain nombre de raisons : climat et sols incompatibles avec certaines espèces, accès à l’eau, présence de bioagresseurs… L’absence de débouchés à proximité ou suffisamment rentables (coûts de production trop élevés, politiques d’accompagnement peu attractives) tout comme, paradoxalement, les Appellations Géographiques, constituent également des freins à la diversification et à la transition agro-écologique, a rappelé de son côté Philippe Gate, directeur technique d’Arvalis.

Cependant, des leviers de progrès existent, comme l’amélioration de l’accès à l’eau, pour développer certaines productions (via le stockage de l’eau en excès, le recyclage des eaux usées, ou l’irrigation « cyclique » par exemple).

Par ailleurs, une consommation plus locale nécessite de développer aussi les modes de production, et « accepter des cultures hors sol, ou l’agriculture près des villes », développe Philippe Gate. Tout en travaillant aussi à un stockage et une transformation au niveau territorial, en innovant dans leur format avec des unités qui seraient miniaturisées, mais aussi plus souples et plus adaptables à la diversité et à la variabilité des produits.

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Des freins à lever collectivement

Par ailleurs, si les solutions existent pour une plus grande diversification au niveau de l’exploitation, les pratiques sont souvent coûteuses à mettre en place, en tout cas pour les grandes cultures, explique le directeur technique d’Arvalis, qui demande un accompagnement supplémentaire dans la transition agro-écologique.

Sans compter que la spécialisation des territoires revêt également des atouts économiques pour le reste de la filière, qui peut concentrer ses unités de transformation, et baisser également le coût final pour le consommateur. « La levée de ces freins ne pourra s’effectuer que par la volonté des consommateurs-citoyens de maîtriser leur alimentation », précise Gilles Lemaire. Il faut également travailler « à une échelle collective, par des associations au sein du territoire. A mon avis, le rôle des coopératives est essentiel : il faut que la coopérative se donne l’objectif d’être l’instrument par lequel les agriculteurs spécialisés vont collaborer entre eux », ajoute-t-il. Face à ces défis de taille, la crise sanitaire permettra peut-être de réunir plus facilement les conditions d’un changement de paradigme…