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Témoignage d'A. Clément, coop de Milly

Commercialisation des céréales : un processus fortement encadré


TNC le 23/07/2020 à 06:04
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Arnaud Clément, directeur de la coopérative agricole de Milly-sur-Thérain. (©Terre-net Media)

8h un mardi matin à la coopérative de Milly-sur-Thérain (Oise). La moisson bat son plein, la journée s’annonce intense. Bientôt l’effervescence. Et pourtant, c’est avec un large sourire serein que nous accueille Arnaud Clément, le directeur de la coopérative. La façon dont il commercialise les céréales que les agriculteurs ont livrées, il en parle volontiers.

Comme pour un agriculteur, la commercialisation s’anticipe pour une coopérative. Pas question de commencer à vendre seulement une fois les grains dans les silos. « La commercialisation dure 18 mois », annonce Arnaud Clément, directeur de la coopérative de Milly-sur-Thérain. Si la coopérative fait partie d’une centrale d’achat, elle reste indépendante pour la vente de ses céréales. Pour son directeur, « quand des coopératives se regroupent c’est souvent parce qu’elles sont loin des ports ou parce qu’elles cherchent à mettre en commun leurs disponibilités et pouvoir faire de plus gros contrats avec des industriels ».  L’indépendance de la coopérative de Milly-sur-Thérain lui permet une plus grande réactivité.

« Chaque campagne est différente »

Selon Arnaud Clément, qui fêtera ses 21 ans à la coopérative le 1er août prochain, dont 19 à la direction, « chaque campagne est différente ». D’autant plus que depuis une dizaine d’années, les marchés fluctuent beaucoup. Au-delà des fondamentaux qui donnent la tendance globale de l’année, la spéculation (on pense notamment aux fonds de pensions américains) et la géopolitique font désormais partie de l’équation, notamment avec les fameux tweets de Trump, dont tout le monde a déjà entendu parler.

Lire aussi : C’est quoi au juste les fondamentaux ?

Alors chaque jour, cela nécessite d’avoir les yeux rivés sur les cours et de suivre ce qui se passe dans le monde et qui pourrait faire varier les tendances. S’il n’a pas son ordinateur à portée de main, c’est sur son smartphone que le directeur surveille les prix. « C’est un stress permanent, mais c’est très stimulant ».

Chaque année, 80 à 85 % des volumes collectés par la coopérative sont achetés au prix de campagne, contre seulement 15 % au prix du jour (spot). « Ce sont deux formes de commercialisation complètement différentes. Lorsqu’on achète la marchandises au prix spot, l’optimisation est limitée. On se couvre directement sur le marché à terme (en back to back). » 

La coopérative étant certifiée par la charte de gestion du risque de prix, la commercialisation au prix de campagne, elle, est fortement encadrée. D’autant plus que le directeur de coopérative doit rendre des comptes à la commission céréales, qui fait des propositions de politiques commerciales au conseil d’administration, chargé de les valider. Le cadre de gestion, propre à chaque coopérative, doit être respecté. La marge de manœuvre, bien que présente, est limitée.

C’est quoi un cadre de gestion ?

Pour le prix de campagne, le cadre de gestion définit le rythme de mise en marché de la collecte. Impossible d’y déroger. Chaque mois, un certain volume doit être vendu et sécurisé sur le marché à terme, une petite variation (souvent de l’ordre de plus ou moins 10 %) étant admise. Pour autant, compte tenu des volumes en jeux et des variations de prix qu’il peut y avoir parfois même au sein d’une journée, aucune décision n’est prise à la légère.

Lire aussi : « Vendre à prix moyen, un gage de sécurité et de sérénité »

Le fonctionnement est clair. « Les agriculteurs s’engagent au prix moyen avant la nouvelle récolte, vers le mois de décembre. Alors on part de cette quantité pour construire notre stratégie. Pour la récolte 2020 par exemple, on a commencé à vendre en décembre 2019 et on terminera en avril 2021. » Lorsque les agriculteurs reçoivent leur premier acompte en août, la coopérative est loin d’avoir fini de vendre.

La fixation de l’acompte que recevront les agriculteurs est d’ailleurs tout sauf arbitraire. Pour déterminer cette somme, « on fait un stress test en calculant le prix moyen de ventes comme si on vendait le solde non commercialisé au prix du jour moins 40 euros. Ensuite, on vérifie que la moyenne des ventes permet de payer un certain niveau d’acompte, pour garantir la marge de la coopérative. » 

Une sécurisation de la commercialisation

Si ce mode de fonctionnement ne permet de spéculation et limite les gains sur les marchés, il constitue un filet de sécurité primordial.

Chaque personne a une sensibilité au risque différente. En cas de baisse des prix, certains préfèreront vendre sans attendre, par peur de voir les cours descendre encore plus. Mais ils risquent de rater de possibles hausses plus tard. D’autres, en revanche, préfèreront attendre avant de vendre, mais au risque de ne jamais voir les cours remonter au cours de la campagne de commercialisation et vendre à la fin à un prix particulièrement faible. Faire subir un tel risque aux agriculteurs est impensable, d’où un tel encadrement.

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Outre le cadre de gestion, c’est aussi la trésorerie de la coopérative qui a toute son importance pour assurer une bonne commercialisation et permettre d’offrir à ses adhérents un prix de campagne attractif. Les marchés à terme sont régulés par une chambre de compensation, qui a pour rôle de garantir la bonne exécution des transactions. Elle s’assure que les acteurs sur le marché disposent des fonds nécessaires pour faire face à une éventuelle baisse ou hausse des prix et qu’ils sont en mesure d’aller jusqu’au bout de leur engagement. Chaque soir, un appel de marge est donc réalisé. Si la coopérative n’a pas les fonds nécessaires, elle n’aura d’autre choix que de liquider sa position. 

Des avantages stratégiques

La force de la coopérative de Milly-sur-Thérain ? Sa situation géographique, notamment. « Nous ne sommes situés qu’à 80 km de Rouen, ce qui nous ouvre le débouché à l’export ». Et heureusement, parce qu’il n’y a pas de meuniers à proximité. D’autant plus que la coopérative dispose d’une capacité de stockage dans le port de Rouen, via Sénalia, ce qui facilite les opérations.

Si la coopérative ne vend pas directement aux clients étrangers et qu’elle passe par des exportateurs, le directeur connaît bien les clients finaux : « notre escourgeon fourrager part en Arabie Saoudite et en Chine, pareil pour une partie de l’orge de brasserie. Le blé meunier, lui, est surtout destiné au marché algérien et marocain. » Mais la totalité de la collecte ne part pas non plus à Rouen pour être exportée : une partie rejoint également la Belgique ou la Hollande, entre autres. La répartition entre les exports vers les pays tiers et le nord communautaire varie chaque année, en fonction de la qualité de la collecte et de la demande. « Ce qui coûte cher, c’est la logistique. Alors on fait en fonction de ce qui calcule le mieux », de ce qui est le plus rentable.

L’autre avantage de la coopérative de Milly, c’est qu’« on achète nos appros à des tarifs aussi avantageux que les grosses coopératives, grâce à notre centrale d’achat qui est l’une des plus importantes de France ». Savoir vendre la collecte à bon prix est important, mais acheter (les appros) à bon prix l’est également.

Par ailleurs, « la performance d’un organisme stockeur ne vient pas que de ses ventes et de ses achats, elle résulte aussi de ses charges ». Un ratio peut être calculé : le nombre de salariés par tonne collectée. Et à la coopérative de Milly-sur-Thérain, « le ratio est très bon ». Alors ce n’est donc pas parce qu’une coopérative est petite qu’elle ne peut pas réaliser d’aussi bonnes performances que des coopératives plus importantes. Comme on le dit souvent, ce n’est pas la taille qui compte.

La coopérative de Milly-sur-Thérain c’est :

– Près de 200 adhérents
– 100 000 t de collecte en moyenne
– 72 % de blé, 16 % d’orges, 9 % d’oléagineux (colza, et tournesol à partir de cette année), 2 % des protéagineux (essentiellement des pois), 1 % de maïs
– 11 salariés permanents, 1 apprenti et 5 saisonniers
– Une présence sur trois secteurs géographiques à l’ouest du département de l’Oise
– Bientôt 90 ans d’existence
Trois métiers :
– Collecte, stockage et commercialisation de grains
– Approvisionnement en engrais, produits de santé végétale, semences et aliments du bétail
– Conseil technique