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Revenus des agriculteurs

Comment mesurer l’évolution et l’hétérogénéité des revenus agricoles ?


TNC le 08/10/2021 à 08:02
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Si le vote imminent de la loi Égalim 2 remet le sujet de la rémunération des agriculteurs sur le devant de la scène, la question des revenus agricoles fait toujours l’objet de nombreux débats. Qu’en est-il vraiment de l’évolution des revenus, quelle est la part de dépendance aux aides, peut-on considérer qu’un tiers des agriculteurs vit avec moins de 350 euros par mois… ? Pour prendre du recul sur ces questions, le ministère de l’agriculture a initié en 2019 un appel à projets, Agr’income, pour étudier l’hétérogénéité, les déterminants et les trajectoires du revenu des agriculteurs français, dont l’ingénieur de recherche Vincent Chatellier (Inrae) détaille plusieurs enseignements.

Sensible et polémique, le sujet du revenu des agriculteurs est délicat à aborder du point de vue de la recherche, tant ses composantes sont complexes. Pour sortir de l’aspect polémique, un appel à projets du ministère de l’agriculture, Agr’income (contraction des mots agriculture et « income », soit « revenu » en anglais), a été lancé en 2019 pour étudier l’hétérogénéité, les déterminants et les trajectoires du revenu des agriculteurs français. Il semblait en effet nécessaire de « prendre de la distance sur l’évolution des revenus en agriculture, de discuter des indicateurs que l’on utilise pour parler des revenus agricoles, et de dire que les revenus agricoles ne font pas tout de l’économie de l’entreprise agricole ou du ménage agricole », explique Vincent Chatellier, ingénieur de recherches à l’Inrae, l’un des auteurs du rapport réalisé dans le cadre de l’appel à projets. Un travail de recherche dont l’importance est inversement proportionnelle à la reconnaissance qu’il génère, alors que l’élaboration d’indicateurs et de classifications permet, ensuite, d’anticiper les impacts des choix politiques sur les revenus des agriculteurs.  

Le revenu, un indicateur du niveau de vie des agriculteurs ?

Bien que l’on entende souvent qu’un tiers des agriculteurs vivent avec moins de 350 euros par mois, la réalité est plus complexe. Le revenu agricole ne prend pas en compte les revenus annexes, tels que des prestations sociales, une éventuelle activité salariée parallèle, ou un salaire du conjoint. Et « il ne faut pas confondre le revenu de l’entreprise agricole avec le revenu du ménage », explique Vincent Chatellier. De même, le revenu est différent des prélèvements privés, qui eux « sont moins volatils que les revenus », ajoute-t-il.

A lire sur ce sujet, le fact-checking du site Decodagri, « un tiers des agriculteurs gagnerait moins de 350 euros par mois »

Par ailleurs, le revenu ne traduit pas le niveau de vie des agriculteurs, ce dernier correspondant à « la différence entre ce qu’on gagne et ce qu’on peut dépenser dans l’endroit où on est », ce qui dépend par exemple du coût de l’immobilier, différent pour les agriculteurs en fonction du territoire où ils se trouvent.

Quel indicateur et quelle évolution du revenu agricole ?

Sur quels éléments tangibles se baser, dans ce cas, pour étudier l’évolution des revenus agricoles ? L’indicateur le plus utilisé reste le résultat courant avant impôt (RCAI) rapporté à l’actif non salarié, explique Vincent Chatellier. Sur 10 ans, la moyenne est à 29 500 euros (en euros constants de 2019), avec des écarts importants : les 10 % les meilleurs sont à 75 000 euros, quand 15 à 20 % des agriculteurs sont en négatif.

La variabilité des revenus et leur hétérogénéité est d’autant plus forte que l’on est en année de crise, précise le chercheur. Ainsi, les plus gros écarts s’observent en 2009 et 2016, avec une disparité très importante même au sein de chaque secteur productif. « C’est cette très forte hétérogénéité qu’il faut comprendre, et qui fait l’objet de débats sur le terrain », ajoute Vincent Chatellier.

Un revenu composé à 77 % par les aides directes

Dans le prolongement des débats sur les revenus figure le débat sur l’orientation et la répartition des aides Pac, qui cristallise les tensions. À juste titre, explique le chercheur, puisque « sans l’avoir voulu, les agriculteurs sont très dépendants des aides ». Ainsi, chaque exploitation touche, en moyenne 30 000 € soit 15 000 € par emploi. « Sur 10 ans, toutes exploitations confondues, on retrouve 77 % de la valeur des aides dans le revenu des entreprises », précise Vincent Chatellier. Une part qui correspond à 16 % du chiffre d’affaires. Pour le dire autrement, « il manque donc 16 % de prix en moyenne en France pour se passer des aides directes ».

Les différences entre filières sont marquées. Ainsi, les aides composent 195 % du RCAI des éleveurs de bovins viande, 80 % de  celui des laitiers, 110 % du RCAI des producteurs de céréales spécialisés… Dans le secteur des grandes cultures, les aides représentent 65-70 % du revenu, une proportion moindre car ces productions n’étaient historiquement pas bénéficiaires des aides directes. Face à ces données, « notre métier, c’est de simuler des instruments de politique agricole nouveaux, d’anticiper les impacts de choix publics que les agriculteurs regardent de près, car ce sont les premiers concernés », souligne ainsi Vincent Chatellier.