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Marchés des céréales

Comment le dérèglement climatique influence les marchés ?


TNC le 26/08/2021 à 09:09
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Économiste et responsable du service économie et prospective de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), Thierry Pouch estime que les phénomènes climatiques extrêmes ont un impact limité sur les prix des céréales, du fait de phénomènes climatiques de compensation à l'échelle mondiale. Il invite à garder à l’esprit d’autres variables que le climat, notamment des facteurs économiques et agronomiques.

TNC :  Dans son 6e rapport publié le 9 août, le Giec alerte sur l’amplification de la variabilité climatique et la multiplication d’épisodes climatiques extrêmes. En quoi cet état de fait influence-t-il les marchés des grandes cultures ?

Thierry Pouch (TP) : L’impact des phénomènes extrêmes qui se multiplient, nous l’avons déjà sous les yeux. Cette année, ce sont les problèmes climatiques en Russie, les incendies au Canada et aux États-Unis qui perturbent les productions et les récoltes. L’année dernière, la forte sécheresse en France a fait décrocher la production de céréales, de blé en particulier. La situation est compliquée, mais il faut apporter quelques nuances. Lorsqu’une région est fortement touchée par des sécheresses ou des inondations, une autre va probablement se porter un peu mieux et pouvoir alimenter le marché.

Des phénomènes de compensation pourraient limiter les dégâts en termes de flambée des prix

Cette année, nous avons des difficultés et des prévisions de récolte à la baisse au Canada, aux États-Unis, en Russie. En même temps, on est sur une progression en Union européenne, en Ukraine, et sur une petite progression en Australie. Même s’il y a des phénomènes climatiques extrêmes, des phénomènes de compensation d’un bassin de production à l’autre pourraient, chaque année, limiter les dégâts en termes de flambée des prix.

Ne pas dissocier l’état des productions agricoles des facteurs économiques, financiers, agronomiques.

Au sujet de la flambée des prix, il y a actuellement un peu de tension sur les marchés, mais ça n’a rien à voir avec la flambée qu’on a connue entre 2007 et 2013 et qui était surtout liée aux effets de la crise économique et financière. Il faut effectivement prendre en compte les aléas climatiques qui vont être de plus en plus violents et réguliers, mais ne pas dissocier l’état des productions agricoles d’autres facteurs que le seul climat : des facteurs économiques, financiers, agronomiques aussi.

Les dernières projections OCDE/FAO à l’horizon 2030 indiquent une progression de la production mondiale de blé à partir de 2022-2023 et supposent que la hausse des prix dans la durée sera assez raisonnable. Ils expliquent quand même que les rendements contribueraient à 87 % à l’augmentation de la production : il y a là un enjeu de rendements, ce qui renvoie à la qualité des semences, à la qualité des sols, etc. Face à cela, on assisterait à une hausse mondiale relativement soutenue, en alimentation humaine comme en alimentation animale.

Les phénomènes de rivalité commerciale sur l’agriculture vont s’amplifier.

Signalons aussi que le dérèglement climatique ne fait pas que des perdants. Des stratégies sont en place et les phénomènes de rivalité commerciale sur l’agriculture vont s’amplifier. La Sibérie se prépare à devenir l’un des plus grands bassins de production de blé dans les années qui viennent. La Russie est déjà bien positionnée sur un certain nombre de marchés, notamment l’Égypte, après en avoir évincé les États-Unis. Les Russes cherchent maintenant à nous débarquer du marché algérien et ils ont la main-mise sur le marché du Moyen-Orient.

TNC : Peut-on s’attendre à des années de plus en plus volatiles en termes de prix ?

TP : Depuis la crise économique et financière de 2007-2008, nous sommes entrés dans un cycle chronique de volatilité des prix, qui va, je pense, durer encore quelques années. Suite aux réformes de décloisonnement des marchés, des acteurs naviguent d’un marché à l’autre : celui des actions, celui des obligations, celui des matières premières. Un acteur financier qui a un portefeuille d’actifs dans des entreprises peut ensuite se retrouver sur des marchés de matières premières agricoles, et prendre des contrats qu’il dénouera le moment venu mais sans prendre en charge la marchandise. Cette marchandise va alors se retrouver sur le marché physique et donc perturber la formation des cours.

Thierry Pouch évoque un cycle « chronique et durable » de volatilité des prix, en place depuis plus de 10 ans (©Pixabay)

TNC : Pour se sécuriser face à cette volatilité chronique, quels sont les leviers dont disposent les agriculteurs, tant au niveau individuel qu’à l’échelle nationale ?

TP : À l’échelle d’un État, c’est très contrasté. Les États-Unis ont encore une politique agricole forte avec des mécanismes de soutien très puissants. Des aides exceptionnelles sont aussi versées régulièrement par l’État fédéral en plus de ce que permet la législation agricole : plus de 60 milliards de dollars pour les agriculteurs depuis la crise commerciale avec la Chine !

En Russie aussi, les producteurs profitent de prix de soutien assez importants et des interventions de l’État. En Chine, l’État conserve des mesures pour maintenir des prix du maïs très au-dessus du marché mondial. Au Brésil aussi, des mécanismes, plus indirects, contribuent à soutenir l’agriculture.

Les assureurs hésitent de plus en plus à couvrir les agriculteurs

En face de ces pays, il y a l’Union européenne qui continue à déréguler l’agriculture. Les agriculteurs européens sont individuellement incités à adopter eux-mêmes des techniques de couverture pour échapper à des pertes de prix ou a des pertes de chiffre d’affaires : assurances, moyens techniques… Mais on constate que les assureurs hésitent de plus en plus à couvrir les agriculteurs, parce que les phénomènes climatiques vont être de plus en plus réguliers et vont leur coûter de plus en plus d’argent.

Avoir un prix garanti au moment où le contrat se dénoue

Pour les prix, les agriculteurs français ont un autre moyen de se sécuriser : c’est de se placer sur le marché à terme. Ils peuvent vendre des quantités de marchandise en avance, à un prix déterminé, ce qui permet d’avoir un prix garanti au moment où le contrat se dénoue. C’est intéressant aussi pour l’acheteur : il peut évidemment passer à côté d’une baisse de prix, mais il évite d’avoir une flambée des prix quand le contrat se dénoue. C’est une technique de couverture très ancienne mais qui pourrait être un peu généralisée, en particulier sur les grandes cultures.

Pour suivre les évolutions des cours des matières premières agricoles, rendez-vous sur les cotations Agri Mutuel.