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Filière

Bio ou innovant, le champignon origine France se réinvente


AFP le 21/03/2024 à 10:30

Dans la pénombre d'une ancienne carrière de pierre ou sous les néons d'un hangar ultramoderne, les champignons de Paris ont trouvé un terreau favorable dans le Sud-Ouest, symboles du renouveau d'une filière française longtemps malmenée par la concurrence étrangère, notamment polonaise.

Température stable et humidité constante, ces champignons dits de couche poussent à quelques mètres sous terre, sous les voûtes rectilignes d’une carrière désaffectée à Saint-Germain-de-la-Rivière, en Gironde.

Dans ce labyrinthe de 20 hectares, où fut extraite la fameuse pierre blonde de Bordeaux jusqu’au début du XXe siècle, Laurent Disson récolte depuis 2022 des champignons bio, pleurotes et shiitakés.

« La journée, je suis un peu seul, mis à part quelques chauves-souris », s’amuse le quinquagénaire, gérant de l’entreprise Lo Champi Bio.

« J’avais vraiment envie de faire quelque chose de mes mains, de nourrir l’humain », relève cet ancien commerçant sur internet. « Les clients en ont marre de manger du champignon gorgé d’eau, sans goût, qui ne se conserve pas, qui ne se tient pas à la cuisson. Il y a un retour du qualitatif. »

Lampe au front et couteau en main, courbé sur les substrats de compost qu’il achète déjà ensemencés de mycélium, Laurent Disson cueille 200 kg de champignons bio chaque semaine, toute l’année, et les écoule en vente directe.

« Regain d’intérêt »

Une culture « relativement simple » et propice aux reconversions, selon Jean-Michel Savoie, de l’Inrae de Bordeaux. Et la présence de carrières un peu partout en France représente une alternative aux cultures en chambres climatisées. « Vu le coût de l’énergie et la sensibilité à l’environnement, on revient à ce type d’exploitations, qui bénéficie des effets climatiques naturels du sous-sol », note ce chercheur de l’unité mycologie et sécurité des aliments.

« On voit pas mal de projets visant à relancer la production dans d’anciennes carrières », confirme Réjane Mazier, secrétaire générale de l’Association nationale interprofessionnelle du champignon de couche (Anicc), filière qui emploie 2 500 salariés pour un chiffre d’affaires annuel de 109 millions d’euros.

Soutenue par un « regain d’intérêt » des distributeurs pour l’origine France, la production nationale de champignon frais est en « hausse régulière » , selon cette responsable. Elle est passée de 36 000 tonnes en 2000 à 40 000 aujourd’hui, principalement dans les Pays de la Loire et le Centre-Val de Loire.

Dans le même temps, la production totale de champignons français chutait de 140 000 à 75 000 tonnes, sous l’effet de l’effondrement de la filière destinée aux conserves, avec son lot de fermetures et de restructurations… Encore symbolisées par la liquidation judiciaire fin 2023 d’un site à Ternay (Loir-et-Cher) et une procédure de redressement judiciaire à Chancelade (Dordogne).

A Saint-Germain-de-la-Rivière, la carrière a été occupée pendant trente ans par une champignonnière industrielle, délocalisée en Pologne dans les années 1990, raconte Laurent Disson.

Innovation dernier cri

« On ne peut pas rivaliser avec le smic polonais », résume Réjane Mazier. La Pologne a représenté 80 % des 45 000 tonnes de champignons frais importés en France en 2022.

Pour rester compétitif, d’autres pistes existent : la société Cabane&Cie a investi 15 M € dans douze chambres de culture dernier cri à Parentis-en-Born (Landes), pour réduire la pénibilité de la cueillette et doubler le rendement.

Dans un hangar de 35 mètres de long, des étagères remplies de substrat s’inclinent en direction du cueilleur pour faciliter ses gestes, explique Vincent Audoy, cofondateur en 2023 de cette entreprise d’une centaine de salariés.

Les cueilleurs, debout dans des nacelles mobiles, déposent les champignons sur un tapis roulant, sans lourdes caisses à déplacer. « Sans ces efforts autour de la pénibilité, on ne serait absolument pas rentables » , confirme Vincent Audoy. « Certes, le consommateur est prêt à payer plus cher pour un champignon d’origine France, mais face au dumping social de certains pays, ce n’est pas suffisant. Ce nouveau système d’étagères nous permet d’y répondre. »

La société, qui produit 45 tonnes de champignons par semaine à destination du marché aquitain, dégage 8 M € de chiffre d’affaires annuel et ambitionne de produire, à terme, son propre compost pour « atteindre une taille critique ». En attendant, peut-être, de déployer la technologie d’intelligence artificielle d’une start-up suisse pour « pointer quel champignon cueillir », s’enthousiasme Vincent Audoy.