Accéder au contenu principal
Fourrages et santé

Quand la prairie devient pharmacie


Alimentation et fourrages le 04/12/2017 à 07:25
i-7788

Des éleveurs d’Ille-et-Vilaine jouent la prévention pour leurs troupeaux laitiers en leur mettant à disposition des « prairies pharmacie ». Implantées avec une quinzaine de plantes aux vertus médicinales, ces parcelles permettent aux vaches de brouter de quoi améliorer leur santé.

De la chicorée pour la valeur alimentaire, du lotier contre les parasites, de la pimprenelle comme tonique digestif. Cela pourrait être les recommandations d’un herboriste mais ce sont en fait les plantes qu’ont à leur disposition les vaches de Christophe Lemesle.

Cet éleveur d’Argentré du Plessis (35) a implanté au printemps dernier une « prairie pharmacie », une prairie à la flore composée de 17 espèces, certaines classiques comme le ray-grass ou la luzerne et d’autres à vertu médicinale.

« Les animaux savent d’instinct consommer les plantes qui peuvent les soigner. Sauf qu’ils n’y ont plus accès, explique Pauline Woehrlé, spécialiste agriculture biologique et durable à Eilyps, le contrôle de performances d’Ille-et-Vilaine. Avec les « prairies pharmacie », en diversifiant les espèces, nous leur redonnons cette possibilité. »

Ces prairies sont inspirées d’une pratique britannique où les prairies multi-espèces sont connues pour améliorer la santé des agneaux. « Avec un semencier britannique, nous avons développé des mélanges adaptés à nos conditions », retrace Pauline Woehrlé. Ces mélanges ont une base productive avec du ray-grass, du trèfle, de la chicorée, qui, avec sa profonde racine, reste productive en été.

« La « prairie pharmacie » n’est pas une parcelle perdue pour le pâturage », apprécie Christophe Lemesle. S’y ajoutent des plantes riches en tannins pour diminuer la pression parasitaire, comme le lotier, la centaurée noire et d’autres connues pour leurs bienfaits digestifs (pimprenelle, achillée millefeuilles). Qui dit variété de plantes, dit variété des systèmes racinaires qui font valoriser différents oligoéléments et améliorer la structure du sol. Cette biodiversité permet aux animaux d’absorber des métabolites à valeur santé.

Christophe Lemesle est installé dans un Gaec à cinq associés en agriculture biologique. Le lait est leur principale production. Pour la santé de leurs 180 vaches, les éleveurs ont toujours misé sur la prévention. « Outre les restrictions liées à notre mode de production, un traitement est coûteux, il y a du lait à jeter, des contraintes. Autant avoir des vaches en bonne santé », estime l’éleveur. S’il utilise déjà des huiles essentielles et de l’homéopathie, il était curieux de tester la « prairie pharmacie ».

« Je crois à la capacité des vaches à consommer ce qui leur fait du bien. J’ai souvent remarqué qu’elles léchaient les talus argileux à la mise en herbe », avance l’éleveur. Des comportements qui lui ont été confirmés par la formation qu’il a suivie à Eilyps, sur la meilleure connaissance de l’écosystème de sa ferme et la possibilité de l’exploiter au bénéfice des animaux.

Pour tester l’intérêt de cette « prairie pharmacie », un premier hectare a été semé fin mars. « L’implantation a été rapide, les vaches ont pu y pâturer deux mois après. Une à deux fois par semaine, tout le troupeau va dans cette parcelle, explique Christophe Lemesle. Les vaches y passent une heure ou deux. Vu comme elles mangent, ça semble leur plaire. C’est déjà un bon point. » Le mélange, dont Eilyps assure la vente sur toute la France, coûte une fois et demi le prix de la semence classique, soit 330 euros par ha en conventionnel, 350 en bio, pour une prairie implantée pour quatre ans.

Pas facile de quantifier le bénéfice de ce nouveau type de prairie. « C’est un outil de plus dans notre panoplie de prévention », estime l’agriculteur. A 9 euros/1 000 litres, le Gaec a déjà des frais vétérinaires faibles (en bio, le Groupement des agrobiologistes de Bretagne comme Eilyps affiche une moyenne à 11 €) pour des vaches entre 7.500 et 8.200 litres selon l’année fourragère. « Depuis deux, trois mois on note une amélioration sur le taux de cellules. C’est peut-être dû à une meilleure immunité, avance Christophe Lemesle. On a aussi plus de lait que le calcul théorique d’après la ration. Les animaux doivent mieux assimiler tous les nutriments. On a tout à gagner à avoir des vaches plus résistantes. »

Christophe Lemesle et ses associés sont tellement convaincus de l’intérêt de cette prévention par les plantes qu’ils comptent implanter d’autres « prairies pharmacie ». « Déjà une pour les génisses qui sont sur un autre site. Pour les vaches, on va augmenter la surface pour arriver à 3 ha. Quand on renouvellera des pâtures, on envisage de mettre un peu du mélange « prairie pharmacie » pour augmenter la diversité de l’écosystème. »

Une trentaine d’hectares ont été implantés en Ille-et-Vilaine, de plus en plus d’éleveurs, en tout type de système, s’y intéressent. Les travaux vont se poursuivre pour suivre l’évolution des espèces, leur développement, l’état des vaches, pour affiner la constitution du mélange. Eilyps poursuit sur cette voie de « l’auto-médication » en travaillant sur tout l’écosystème, par exemple en diversifiant les arbustes dans les haies, le long des chemins pour encore élargir la variété de plantes à portée de dents des vaches. « On sait, par exemple, que le noisetier a des feuilles riches en tannins, ce qui est intéressant pour le métabolisme de l’azote », souligne Christophe Lemesle.