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[Témoignages] Fertilisation azotée

Les agris multiplient les actions pour réduire les pertes par volatilisation


TNC le 19/02/2021 à 18:03
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L’épandage d’engrais minéraux ou d’effluents d’élevage est responsable d’une grande partie des émissions d’ammoniac dans l’atmosphère. Des solutions existent pour limiter ces pertes. Retrouvez les témoignages de spécialistes et d'agriculteurs qui travaillent sur le sujet.

« Nous venons d’acheter, au sein de la Cuma du Ternois, un semoir monograine Monosem avec enfouisseur d’engrais en localisé, pour réduire les pertes d’ammoniac dans l’atmosphère, explique Sébastien Bocquillon, polyculteur-éleveur à Humières, dans le Pas-de-Calais. Je vais l’utiliser pour mes semis de maïs et de colza, et d’autres exploitants pour semer leurs betteraves. » Membre du GIEE(1)du Geda du Ternois, il s’efforce de limiter l’impact de ses activités sur l’environnement. « C’est chez moi que se sont déroulés, en 2019, les essais du programme Épand’Air(2) mis en place par la chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais, Arvalis-Institut du végétal et Atmo Hauts-de-France », indique-t-il.

« Je n’étais alors pas vraiment sensible à cet aspect de la fertilisation, mais avec cette étude, j’en ai pris conscience ».  L’ammoniac qui se volatilise sous forme de gaz se combine à d’autres polluants issus du trafic routier ou du chauffage pour former des particules fines nocives pour la santé. « En 2018, selon le Citepa(3) , 94 % des émissions d’ammoniac dans l’atmosphère en France provenaient de l’agriculture, dont 29 % générés par les apports d’engrais et amendement minéraux, le reste par l’élevage », précise Sophie Agasse, responsable agriculture et environnement à l’Unifa, Union des industries de la fertilisation.

Un engagement de la France

Dans le cadre de la directive UE 2016/2284, la France s’était engagée à réduire de 4 % ses émissions d’ammoniac à l’échéance 2020, par rapport au niveau de 2005. « On ne connaît pas encore le niveau d’émissions de 2020, on ne peut donc pas préjuger que cet objectif n’a pas été atteint, estime Sophie Agasse. Si, jusqu’il y a deux ans, les émissions de NH3 étaient assez stables, je crois que la courbe tend désormais à s’infléchir du fait d’actions mises en place par le secteur agricole. Pour autant, ces émissions restent un enjeu important, la France a aussi un objectif de réduction de 13 % d’ici 2030. » 

« Dans la plupart des cas, la volatilisation intervient à la suite d’apports d’engrais contenant de l’azote uréique, précurseur de l’ammonium, de l’azote ammoniacal, rappelle François Taulemesse, spécialiste de la fertilisation chez Arvalis-Institut du Végétal. Ce processus est relativement rapide. La majorité des pertes intervient dans les 24 heures qui suivent un apport de produits résiduaires organiques. Dans le cas d’engrais minéraux, le pic d’émission est atteint dans les deux à sept jours suivant l’apport. La volatilisation est maximale lorsque le temps est chaud, sec et venteux. »

 La première action pour réduire les pertes d’ammoniac est d’apporter la juste dose à la culture.

Dans l’étude Épand’Air du Pas-de-Calais, plusieurs types d’engrais et modalités d’épandage ont été examinés sur céréales et maïs. « Il en est ressorti que l’épandage d’engrais minéral peut entraîner jusqu’à 13 % de perte d’azote par volatilisation d’ammoniac, soulignent Isabelle Douay et Léa Hermier, de la chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais. En utilisant du matériel de localisation, voire d’injection, ou en s’organisant pour épandre avant une pluie ou en fonction du travail du sol, les émissions d’ammoniac peuvent être diminuées de 30 à 85 %. » Ce sont ces résultats qui ont amené la Cuma de Sébastien Bocquillon à investir dans un nouveau semoir monograine. « La première action pour réduire les pertes d’ammoniac est d’apporter la juste dose à la culture, reconnaît l’agriculteur. De ce point de vue, je m’appuie depuis longtemps sur des reliquats azotés pour calculer la dose totale. » Il utilise ensuite la pince N-Tester en cours de campagne sur blé, afin d’ajuster la dose du troisième apport.

Formes d’azote

La forme de l’azote apporté se révèle aussi très importante. « Le facteur d’émission de NH3 de l’ ammonitrate est de 1,9 %, celui de la solution azotée de 7,9 % et celui de l’urée de 13,1 %, remarque Sophie Agasse, de l’Unifa. Cela signifie que les pertes par volatilisation de l’ammoniac sont en moyenne quatre fois plus élevées avec la solution qu’avec l’ammonitrate, et 6,5 fois plus avec l’urée si aucune bonne pratique n’est mise en place. »

L’ammonitrate est la forme d’engrais minéral qui présente le moins de risque d’émissions de gaz ammoniacal. (©Bénédicte Clément)

« J’emploie à 80 % de l’urée, car elle coûte moins cher que l’ammonitrate et s’avère plus facile à stocker, poursuit Sébastien Bocquillon. Concrètement, cette année, pour le maïs que je vais semer au printemps, j’ai épandu 30 t de fumier après la moisson puis implanté un couvert composé de plusieurs espèces – trèfle, phacélie, vesce et sarrasin – pour capter davantage d’azote. Je vais déchaumer le couvert et apporter, quelques jours avant le semis, 60 à 80 unités d’azote sous forme d’urée que je vais enfouir par un travail du sol superficiel. Au semis, je compléterai avec 20 unités sous forme de 18-46(4) en localisé au semis. » François Taulemesse ajoute : « Des études visant à évaluer l’impact d’un inhibiteur d’uréase, le NBPT, ont aussi permis de confirmer l’intérêt de freiner le processus d’hydrolyse de l’urée en ammonium pour réduire les émissions d’ammoniac. »

Épandre avant la pluie

« Jusqu’à présent, je ne me préoccupais pas trop des pertes d’ammoniac par volatilisation, mais c’est un sujet en devenir qui va compliquer la façon de gérer notre fertilisation azotée, reconnaît Cyril Hamot, agriculteur à Montadet, dans le Gers, sur une exploitation à l’assolement diversifié. Jusqu’ici, le seul levier que j’utilisais était la météo. J’emploie de l’urée, car mon système fonctionne bien ainsi, mais j’essaie toujours de l’épandre lorsqu’une pluie de 15 mm est annoncée, pour que l’azote reste bien dans le sol et éviter qu’il ne se volatilise. C’est ce que j’ai fait cette semaine, sur mes blés. »

Il fait aussi attention à sa fertilisation au semis sur maïs. « Comme j’ai implanté un couvert avant mon maïs, enfouir l’engrais avant le semis n’est pas possible, poursuit-il. J’ai par contre installé sur mon semoir des tuyaux distributeurs d’engrais devant la ligne de semis. Au moment du passage de l’élément semeur, une grande partie de l’urée se trouve enfouie dans le sol autour de la semence. Depuis que l’exploitation suit les principes de l’agriculture de conservation, j’ai remarqué une remontée du taux de matière organique de mes sols. Mais évaluer l’effet que cela peut avoir sur la réduction des pertes d’ammoniac est bien difficile. »

Enfouir l’urée près du maïs

Dans le Sud-Ouest, les maïsiculteurs ont été sensibilisés plus tôt aux pertes par volatilisation de l’ammoniac. « Je fractionne mes apports d’azote sur maïs pour coller au mieux aux besoins de la plante et limiter le gaspillage, explique Bertrand Barats, qui cultive 80 ha de maïs à Ger, dans les Pyrénées-Atlantiques. J’apporte au semis environ 27 unités d’azote sous forme de 18-46 localisé à environ 5 cm de la ligne de semis et enfoui à 5 cm de profondeur. » Son semoir Monosem est lui aussi équipé d’un module d’apport localisé d’engrais.

Entre une application d’urée au sol et enfouie dans l’inter-rangs, l’écart est très important, surtout lorsqu’il y a du soleil.

« Au stade deux feuilles, j’épands 30 unités supplémentaires sous forme d’urée avec un distributeur classique, indique-t-il. Puis, au stade 8 à 10 feuilles, j’apporte 170 unités également sous forme d’urée, mais que j’enfouis dans l’interrangs grâce à un localisateur-enfouisseur à coutres Magendie. Mon objectif est de faire en sorte qu’il y ait le moins possible de pertes par volatilisation de l’ammoniac. Par rapport à une application sur le sol, surtout lorsqu’il y a du soleil, l’écart est très important. J’ai investi dans cet équipement voici sept ou huit ans. Comme je suis aussi entrepreneur de travaux agricoles, j’en fais bénéficier mes clients agriculteurs, ce qui m’a permis d’amortir la machine plus facilement. » Bertrand Barats apporte au total 230 unités d’azote sur ses maïs pour un potentiel de rendement de 110 q/ha en non irrigué.

Effluents d’élevage et digestat

L’étude d’Épand’Air dans le Pas-de-Calais a aussi mis en évidence un taux élevé de volatilisation de l’ammoniac avec les effluents d’élevage. « Afin de limiter ces pertes, l’enfouissement au plus près des épandages est une solution efficace, précisent les ingénieurs de la chambre d’agriculture. Pour les engrais organiques liquides, d’autres solutions peuvent également être envisagées, telles que des épandeurs à disques ou à dents qui viennent enfouir le produit ou le déposer au plus près du sol avec un pendillard.

L’enfouissement des engrais organiques permet de limiter les pertes d’ammoniac par volatilisation. (©Chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais)

Ces matériels peuvent être couplés à un travail du sol préalable ou postérieur, ou à un couvert végétal afin d’augmenter leur efficacité. » La Cuma du Ternois réfléchit donc à s’équiper pour enfouir les effluents d’élevage. « Nous sommes également en train de monter avec sept autres agriculteurs un projet collectif de méthanisation, ajoute Sébastien Bocquillon. L’azote contenu dans le digestat est aussi volatil, il va falloir que nous étudiions bien cet aspect. La rentabilité du projet repose en partie sur la meilleure valorisation possible du digestat. »

(1). Groupement d’intérêt économique et environnemental

(2). Le programme Épand’Air a été soutenu par l’Ademe, les ministères de l’agriculture et de l’écologie

(3). Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique.

(4). DAP ou phosphate diammonique.

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