Accéder au contenu principal
Rendement par vache laitière

Une croissance fulgurante … à partir d’une « invention » récente !


Jean-Claude Guesdon, membre de l'Académie d'agriculture de France le 26/04/2021 à 16:03
milk-3455395_1920

(©Pixabay)

A l'opinion répandue selon laquelle le rendement des vaches laitières d'autrefois n'était pas celui des "usines à lait" d'aujourd'hui, l'Académie d'agriculture de France fournit une réponse au travers de l'analyse de l'évolution du rendement des vaches laitières en France, à découvrir ci-dessous.

La statistique sur les rendements des vaches laitières en France est récente, tout comme il est vrai, la notion de vache laitière par distinction et même opposition à la vache allaitante. Ce n’est que depuis le début des années 60 qu’on dispose de cette donnée statistique. Les quelques références antérieures à disposition poussent à soutenir l’hypothèse que ce rendement moyen de 2 000 Kg par vache et par an observé en 1960 était en quelque sorte la référence pour les décennies antérieures, et une donnée assez constante, aux variations près liées aux incidents climatiques et à leur impact sur la quantité et la qualité des fourrages produits sur l’exploitation, en sachant que le meilleur des fourrages était réservé aux animaux de traits,  c’est-à-dire aux chevaux présents sur ces exploitations de polyculture élevage.

Depuis les années 60 et la mise en place d’une politique d’intensification /spécialisation des exploitations et des cheptels, la progression des rendements par vache a été spectaculaire et relativement régulière : le rendement moyen par vache est passé en 60 ans de 2 000 à plus de 7 000 kg par vache et par an.

Évolution du rendement des vaches laitières en France (1960-2020)

Source : GEB/Idele/Eurostat

Modernisation/intensification /spécialisation des exploitations, des cheptels et des régions ont été de pair dans ces décennies d’après-guerre.

Pour ce qui est des années antérieures aux années 50, il faut se souvenir que le « concept » vaches laitières n’existait pas vraiment. Le cheptel bovin était mixte, lait et viande, quand il n’était pas en plus, dans certaines régions françaises, force de travail. Toutes les vaches, quelle que soit leur race, nourrissaient d’abord leur veau, et seul le lait « en plus », produit par les vaches des races aux plus fortes aptitudes à la production laitière (Normandes et Montbéliardes notamment), était trait pour satisfaire les besoins de la famille, et, dans les régions plus proches des grandes métropoles, être transformé en beurre, crème ou fromage et vendu à proximité.

Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale et, en particulier, à partir des lois de modernisation agricole des années 60, qu’on a vraiment distingué :

  • Un cheptel bovin dit laitier, sélectionné pour son aptitude à produire du lait,
  • Un cheptel bovin dit allaitant pour son aptitude à produire des animaux lourds et bien conformés pour la production de viande ou d’animaux d’élevage pour l’Italie : et seules les vaches de ce cheptel ont allaité et nourri leur veau pendant toute la période de lactation, sans qu’aucune traite n’intervienne.

L’augmentation des rendements laitiers par vache a alors été spectaculaire.

C’est aussi à partir de ce moment qu’ont été mises en place une politique de modernisation, intensification, spécialisation des cheptels et des régions, et une forte substitution de surfaces herbagères par des surfaces en maïs ensilage. Le tout conduisant non seulement à la forte augmentation des rendements par vache, mais de manière plus spectaculaire encore à l’augmentation de la production laitière à l’hectare et à une explosion de la productivité du travail.

Cette forte et régulière progression des rendements moyens par vache a donc été le fruit de nombreux éléments, dont la sélection génétique. Plus globalement, c’est toute une évolution systémique qui a été mise en œuvre. Elle s’est traduite notamment par une intensification fourragère et la mise en œuvre de nombreuses évolutions techniques : le tout s’additionnant et aboutissant à une formidable augmentation de la productivité du travail et donc à un effondrement du nombre d’exploitations laitières et du nombre d’emplois dans la production laitière : de 800 000 à 60 000 exploitations laitières de 1960 à 2020.

Cette évolution a aussi été permise par une politique de filière : collecte du lait à la ferme, transformation industrielle, fourniture d’aliments composés. Une évolution encouragée et encadrée par une politique publique de recherche/développement mettant en œuvre la formation des éleveurs, la sélection et le progrès génétique, et tout un encadrement technique (contrôle laitier, suivi sanitaire des élevages etc.).

Le passage de 2 000 à 7 000 kg par vache et par an s’est fait assez régulièrement à raison de 80 à 100 Kg par an. Les variations annuelles n’ont alors plus beaucoup de rapport avec les conditions climatiques : l’impact du climat sur les ressources fourragères disponibles étant compensé par des achats extérieurs de fourrages ou d’aliments du bétail (seul l’impact économique sur les revenus est alors perceptible). En revanche la période 1984-1987, de mise en place des quotas laitiers, avec la réduction de production alors imposée, et le choix de pousser à la cessation d’activité les exploitations et les animaux les moins productifs, a eu pour effet de doper (+150 kg par an) la croissance du rendement moyen. La volatilité des prix du lait à la production, renforcée avec la fin des quotas et la plus grande libéralisation des marchés, semble alors entrainer de plus fortes variations (et même quelques reculs) dans l’expression des potentiels génétiques des animaux.

Cette question du rendement laitier par vache est désormais bien renseignée et cet indicateur est souvent présenté comme une illustration du progrès technique en élevage. A vrai dire, cet indicateur d’efficacité est à relativiser. Pour mieux approcher l’évolution véritable de l’efficacité technique des systèmes laitiers, il faudrait pouvoir disposer et suivre l’évolution de la production « autonome », des exploitations laitières, celle issue des cheptels mais aussi des produits de l’exploitation elle-même. On verrait que cette amélioration de l’efficacité au cours des 60 dernières années est beaucoup plus modeste, l’essentiel des gains de productivité par vache, souligné ici, étant obtenu avec des achats extérieurs d’aliments du bétail, notamment la partie protéine de la ration.