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Témoignage d'éleveurs

« Même performant, le système fourrager doit être remis en cause régulièrement »


TNC le 04/12/2020 à 06:02
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Vincent Dechaux en Haute-Marne (52) et Jérome Laval en Isère (38) sont tous les deux éleveurs laitiers. Ils ne se connaissent pas mais ont plusieurs points communs, notamment leur conduite d'un système fourrager performant. L'un misant sur l'herbe et l'autre sur le sorgho, ils témoignent de leurs pratiques.

Dans le cadre des journées de l’AFPF sur la thématique des fourrages face au changement climatique, deux éleveurs ont témoigné de leurs pratiques. S’ils ne sont pas de la même région et ne visent pas les mêmes objectifs, leurs pratiques se rejoignent sur un point : « Même si le système fourrager de l’exploitation est bien ficelé, il faut régulièrement le remettre en cause ».

Chez Vincent Dechaux (52) : des prairies mais pas que !

Associé avec son frère sur l’exploitation familiale en Haute-Marne, Vincent Dechaux se fixe deux objectifs pour son élevage laitier, principale source de revenu de l’exploitation : la rentabilité et l’autonomie. Pour cela, il mise sur les pâtures mais pas seulement…

L’EARL Dechaux (52) en quelques chiffres :
– 2 frères associés
– 97 ha de SAU (dont 20 ha en bail précaire), 78 % de SFP
– 65 VL en croisement 3 voies Procross
– 495 000 l de lait produit en Brie de Meaux

« Nous avons 59 ha de surface en herbe dont 30 ha de pâtures accessibles aux vaches laitières. L’herbe nous permet de réduire la part de maïs ensilage de la ration (15 % en 2019, 14 ha cultivés) ainsi que les concentrés (125 g/l). Par ailleurs, 65 % des concentrés sont autoconsommés. » Cela leur confère une autonomie de la ration à 95 %.

Du pâturage mais également des fauches pour faire du stock

Pour autant : face aux aléas climatiques, le mot d’ordre est de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Pour cela, les associés diversifient leur production fourragère. « Les prairies permanentes sont exploitées en pâturage, foin ou enrubannage pour les plus éloignées, explique Vincent. Pour les prairies temporaires, on sème des mélanges suisses. On a aussi 5-6 ha d’un mélange luzerne + graminées. Et on fait 3 types de méteil : d’été après la moisson pour une récolte en octobre, d’hiver pour l’enrubanner en mai, et un mélange avoine/pois pour une récolte en grain. »

En ce qui concerne le maïs, s’il tend à diminuer chaque année, les deux frères continuent de choisir 5 à 6 variétés différentes pour limiter les risques.

La diversification fourragère est l’une des clés permettant à l’EARL Dechaux de faire face aux aléas climatiques. (©EARL Dechaux)

Les facteurs clés de succès identifiés par les éleveurs :

– la conduite du pâturage (tournant dynamique pour les VL avec 14 ares/VL, 1 journée/paddock, retour tous les 21 jours et débrayage pour enrubannage si trop de stock) ;

– le fait de limiter les jours improductifs dans le cheptel (d’où le passage au croisement 3 voies Procross, la mise en place des vêlages précoces à 26 mois, et l’objectif d’augmenter la longévité du troupeau).

Sur la campagne 2019-2020, ils ont vendu du lait à 402 €/1 000 l (TB 44,5 et TP 32,5), avec un prix de revient de 351 €/1 000 l. Bien que satisfait de ces résultats, Vincent Dechaux reste prudent : « Notre système est basé sur la sécurité alimentaire du troupeau en toute autonomie. Il nous faut donc toujours réfléchir à de nouvelles solutions. On songe notamment à l’agroforesterie, ou encore à réorganiser les prairies de élèves pour y faire du pâturage dynamique également. Autres points : limiter les impacts environnementaux en réalisant des semis sous couvert de céréales, et développer les méteils de printemps en avançant la date de récolte pour en maximiser la qualité. » Il reste encore du chemin à parcourir…

Au Gaec Le Mas d’Illin (38), le sorgho vient renforcer le pâturage

De son côté en Isère, Jérôme Laval élève avec son épouse et deux salariés une centaine de vaches laitières en agriculture biologique. Sans aucune culture de vente et avec un atelier de transformation à la ferme, il a fallu réorganiser le parcellaire pour miser sur le tout herbe.

« Notre objectif de départ était de renforcer le pâturage, produire des fourrages riches en protéines et arrêter le maïs. Mais la SAU (150 ha) étant trop petite, on a préféré acheter du maïs grain et se spécialiser sur l’herbe », explique l’éleveur. « Pour éviter le déficit hydrique de juin à septembre dans notre secteur (300 m d’altitude, pluviométrie de 750 mm/an et sols hydromorphes battants), nous avons misé sur l’herbe précoce (ray-grass + trèfle) et le sorgho fourrager en été. »

Le Gaec Le Mas d’Illins (38) en quelques chiffres :
– 2 associés + 2 salariés à plein temps (dont un en fromagerie)
– 150 ha de SAU dont 115 ha de prairies (50 de temporaires en pâtures, 50 de temporaires en fauche, et 15 de permanentes) et 35 ha de méteil
– 100 VL en croisement rotatif 4 voies
– 700 000 l de lait vendu à la laiterie + 30 000 l en vente directe

Pourquoi le sorgho ? « Déjà, on n’avait pas besoin de réinvestir dans du matériel pour son implantation [de fin mai à mi-juin, NDLR] car c’est le même matériel que pour l’herbe. C’est aussi une tête de rotation entre 2 prairies temporaires (20 % des PT pâturées renouvelées tous les ans pour une rotation de cinq ans). Il est appétant, et assez agressif pour se passer de désherbage mécanique. Il s’avère également aussi efficace que les variétés de prairies résistantes au sec comme le dactyle et la fétuque. »

Au Gaec Le Mas d’Illins, le troupeau de base Holstein est en cours de croisement 4 voies : Montbéliarde, Brune des alpes, Normande et Simmental. (©Gaec Le Mas d’Illins)

Le Gaec cultive ainsi le sorgho depuis quatre ans et il représentait l’an dernier 10 % de la ration des vaches laitières, couvrant ainsi un mois de fourrage supplémentaire sur l’année, avec des silos fermés d’avril à septembre. Pour l’exploitation, elle se déroule en trois phases, au pâturage fil avant bougé tous les deux jours :

– Premier pâturage 40 jours après le semis, du 14/07 au 27/07

– Deuxième tour 30 jours après, du 13/09 au 01/09

– Troisième tour 30 jours après, du 17/09 au 24/09.

Les excédents (au-delà de 1,20 m de hauteur) sont soit affouragés, soit ensilés. Jérôme explique : « On le fait pâturer la nuit pour limiter les risques de toxicité mais aussi pour le confort thermique des animaux en plein été. C’est très appétent et aussi lactogène que de l’herbe jeune. En revanche, l’idéal serait de décaler les dates de semis pour pouvoir l’exploiter dans le temps. »

Côté rendements, l’éleveur note pour les quatre années passées :

– 5 t MS/ha en 2017, une très bonne année ;

– 2,5 t MS/ha en 2018, suite à un défaut d’implantation ;

– 6,2 t MS/ha en 2019 ;

– 2,5 t MS/ha en 2020, suite au déficit hydrique prononcé n’ayant permis qu’une première coupe.

« L’avantage c’est que le coût de production reste limité. On compte 131 €/ha pour les semences et 189 €/ha pour la mécanisation (avec lisier, labour, reprises). Il nous reste encore à mieux travailler le choix des variétés pour assurer une bonne croissance et une exploitation au bon stade. »