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Dossier : Maladie hémorragique épizootique (MHE)

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Désinsectisation, PCR : le chemin de croix des éleveurs touchés par la MHE


TNC le 19/10/2023 à 05:Oct
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(©Getty Images)

Quatre éleveurs du Sud-Ouest expliquent la façon dont ils font face à la maladie. Au programme, soins des bovins, tests PCR et désinsectisation… Sans parler des frais générés par l’immobilisation des broutards sur l’exploitation

Dans les Pyrénées, la MHE se propage comme une traînée de poudre. Au 12 octobre, le compteur national annonce plus de 453 foyers, et les témoignages d’éleveurs infestés pleuvent. « Je suis dans le village où l’un des premiers cas a été identifié. C’était le jour de l’ouverture de la coupe du monde de rugby [le 08/09/23] » se remémore Frédéric Bazerque, président du GDS 65. Officialisée le 21 septembre avec le résultat des tests, la MHE a mis moins d’un mois à se répandre dans tout le Sud-Ouest.

Chez Maxime Danglas en Ariège, les premiers symptômes sont apparus au 9 octobre. « J’ai trouvé qu’une vache bavait fort. Comme elle était à côté du bloc de sel, je me suis dit qu’elle en avait abusé. Mais quand je suis revenu le lendemain, on aurait dit qu’elle marchait sur des œufs alors j’ai appelé le véto », détaille l’éleveur de castas et Limousines. À date, quatre bêtes de son troupeau de quarante têtes ont des symptômes.

J’ai une vache qui n’a plus que la peau sur les os

Même constat chez Laetitia Bergez dans les Pyrénées-Atlantiques. « Je suis allée voir mes bêtes samedi matin. Tout allait bien. En repassant à 14 h, je vois qu’une vache se trouve mal. À 17 h, le vétérinaire était là pour lui donner des antibios et anti-inflammatoires. Cinq jours après, elle est comme une planche », se désole l’agricultrice. « Je doute qu’elle s’en sorte. Elle a la peau sur les os. Et quand bien même elle en réchapperait, ce n’est pas demain la veille qu’elle reviendra en chaleur ! ».

Au sud de Lourdes, au Gaec du col de Ligous, Jean-Christophe Laffaille enchaîne les soins depuis sa descente d’estive. Le premier cas a été constaté durant le dernier week-end de septembre. Depuis, la MHE fait le tour du troupeau. « J’ai eu 10 animaux malades et 30 vaches qui présentent des symptômes », décrit l’éleveur à la tête de 80 Limousines. « On nous parle de 10 % de vaches malades et de 1 % de mortalité. Pour l’instant, je suis dans les clous », ironise Jean-Christophe. « J’ai soigné 10 % de mon troupeau, et je n’ai pas à me plaindre, je n’en ai pas eu de mortes ! ».

Question traitement, les vétérinaires optent généralement pour des antibiotiques couplés avec des anti-inflammatoires. Mais le gros du travail reste de l’aider à s’alimenter malgré les ulcérations qui pullulent dans sa bouche. « Je leur donne des aliments souples. Ils ne peuvent pas brouter à cause des aphtes », précise Maxime Danglas. Mieux vaut donc préférer l’enrubannage et les fibres tendres pour qu’elles continuent à s’alimenter. « Attention également à l’abreuvement. Il fait encore chaud et elles peuvent vite se déshydrater ». L’idéal est de leur apporter de l’eau propre à proximité.

Désinsectiser les bovins

Après l’apparition du premier cas, Jean-Christophe Laffaille a désinsectisé l’intégralité du troupeau. Cela n’a pas encore enrayé la machine. « Le Butox est censé protéger les bovins huit semaines, mais j’observe encore des cas après le traitement. Elles se sont sûrement fait piquer avant… Les vétos parlent de 10 jours d’incubation, mais c’est difficile d’avoir des données fiables car on a peu de recul sur la maladie ». Quoi qu’il en soit, la désinsectisation lui aura coûté dans les 300 €, auxquels s’ajoutent les 50 € de frais vétérinaires par animal malade.

J’en ai eu pour 300 € de désinsectisation

Chez Laetitia Bergez, la désinsectisation pose aussi question. « Le GDS nous la conseille. Je l’ai faite, mais cela revient tout de même à manipuler un insecticide. Ça n’est pas eux qui prennent le risque d’appliquer le produit », insiste l’éleveuse. Même son de cloche chez Maxime Danglas : « je suis en bio, le cahier des charges l’autorise, mais ça n’est pas recommandé. Le produit coûte cher, et le faire trop fréquemment, c’est prendre le risque d’avoir des moucherons résistants… ».

35 € le test PCR

D’autant qu’à la désinsectisation s’ajoute l’injonction à réaliser des tests PCR pour les bovins amenés à quitter la zone réglementée. Si le covid a fait connaître cette analyse au plus grand nombre, la filière bovine doit maintenant travailler à intégrer cette contrainte. « Non seulement c’est un budget [compter 35 € par test], mais en plus c’est tout une organisation », détaille Jean-Christophe Laffaille. « Un test négatif est valable 7 jours, alors il faut bien se caler pour avoir le résultat au départ de l’animal ». Pour ce faire, l’agriculteur donne de son temps. « On est à 30 km du laboratoire de Tarbes. On prend notre voiture et on va porter directement les tests au labo. Si l’on attendait de se greffer sur la tournée du vétérinaire, on n’aurait pas le résultat dans les 7 jours », décrit l’agriculteur qui obtient ainsi ses analyses sous 3 jours via l’extranet du laboratoire. « Surtout que faire un test PCR sur un veau de 8 mois, c’est du sport », ajoute Laetitia Bergez. « S’il se blesse ou s’il nous fait mal, on aura tout gagné ».

Sans parler des surcoûts qui pèsent sur les finances des exploitations. « On n’avait vraiment pas besoin de ça », poursuit l’agricultrice. Seul le premier test de dépistage est pris en charge par le GDS. « Pour le reste, c’est autant de dépenses supplémentaires. J’ai trois veaux qui auraient déjà dû partir, mais ils sont bloqués sur la ferme. Pendant ce temps-là, ils mangent ».

En effet, le protocole pour transporter des animaux en dehors de la zone réglementée impose une désinsectisation de l’animal 14 jours avant son départ, ainsi que la détention d’un PCR négatif de moins de 7 jours.

Le marché du broutard sous tension

Et le contexte est d’autant plus pesant que la fermeture des marchés à l’export pendant quelques semaines a orienté les prix à la baisse. « Mes broutards sont partis en début de semaine, mais lorsque mon marchand m’a proposé un prix, le marché italien qui valorise généralement les femelles était encore fermé », explique Maxime Danglas. Résultat, un prix « correct » pour l’agriculteur, mais qui aurait été plus élevé si la MHE ne s’était pas déclarée. « Les mâles sont partis à 900 € et les femelles à 600 €, sûrement vers l’Espagne. J’aurais pu les vendre 50 ou 100 € plus chers si l’export vers l’Italie avait été ouvert ».

« Si toute la France y passe, ça ne sera pas très grave. Mais si les exploitations du Sud-Ouest restent les seules concernées, ça va nous mettre des bâtons dans les roues pour le commerce », résume Jean-Christophe Laffaille.

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