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Ravageurs

Stockage : l’usage d’insecticides en sursis


TNC le 29/12/2020 à 06:21
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Déjà bannis dans certaines filières de niche, les insecticides de stockage pourraient bien, sous la pression sociétale, être délaissés à terme au profit de pratiques plus écologiques. Certains agriculteurs et organismes stockeurs s’y préparent ou ont déjà ajusté leurs moyens de lutte, pour conserver des grains issus de filières de qualité.

Pour éviter le développement d’insectes dans les stocks de grains, les acteurs du stockage privilégient de plus en plus des traitements physiques. (©TNC)

La qualité du stockage à la ferme revêt une importance capitale : les agriculteurs doivent mettre en place de bonnes pratiques pour ne pas amener d’insectes à l’organisme stockeur, sans quoi la gestion s’avérerait ensuite très problématique », prévient Maud Mathie, ingénieure agronome ayant développé une expertise dans le conseil en conservation des grains et gérante de l’entreprise spécialisée TechniGrain. La présence de ces indésirables concerne les différents maillons de la chaîne logistique des céréales. Et le potentiel de colonisation est vaste : les capacités de stockage françaises des grains s’établissaient, en 2015, à plus de 90 Mt, dont plus de 47 Mt chez les collecteurs, un peu plus de 30 Mt à la ferme et environ 11 Mt chez les industriels et logisticiens portuaires maritimes ou fluviaux, selon FranceAgriMer.

Changement de paradigme

« Au fil des ans, les possibilités de traiter le grain après la récolte se réduisent de plus en plus, constatent Lucille Talleu et Gaëtane Le Breuil, respectivement responsable qualités et filières, et responsable environnement et appro au sein de La coopération agricole – Métiers du grain. En quelques années, on est passé d’une logique de traitement systématique à une solution de dernier recours. Plusieurs méthodes de lutte alternatives sont pratiquées par certains de nos adhérents : pilotage fin de la ventilation, fumigation, ventilation par l’air froid, dispersion de poudres minérales avant stockage ou parfois sur le tas (méthode plébiscitée en agriculture biologique). La lutte intégrée comprend également le nettoyage renforcé des silos de stockage pour éliminer les refuges à insectes. »

Ces solutions alternatives existent. Dans une publication1 diffusée juste avant le confinement, la responsable du pôle stockage et conservation du grain chez Arvalis-Institut du végétal, Katell Crépon, recense et jauge les méthodes disponibles de lutte physique au stockage pour se passer d’insecticides. La première consiste à créer un environnement inhospitalier pour les insectes en abaissant la température ou l’hygrométrie du grain. Une autre réside dans une lutte directe contre eux soit en chauffant les grains au-delà de 35 °C, soit en appliquant des terres de diatomée pour provoquer leur dessiccation, ou même en nettoyant les grains. Les atmosphères contrôlées avec un enrichissement en CO2 ou un appauvrissement en O2 complètent les modes de lutte possibles, de même que les rayonnements ionisants.

Mais La coopération agricole constate qu’à l’heure actuelle, certaines de ces techniques alternatives ne sont pas exploitées par les adhérents, car elles sont difficiles à appliquer ou nécessitent des compétences spécifiques et induisent des coûts supplémentaires élevés relatifs à l’investissement ou à la mise en œuvre. « Dans le cas de la fumigation, par exemple, la cellule de stockage doit être étanche, précise-t-elle. Cette technique requiert une formation ainsi qu’un agrément. »

Coops et négociants au diapason

Même son de cloche du côté de la Fédération des négociants agricoles (FNA) : les industriels seraient de plus en plus intéressés par les filières sans insecticides. Leurs exigences tendent à devenir des droits d’accès au marché. Par exemple, la filière CRC, qui réunit aujourd’hui plus de 3 000 agriculteurs, offre une prime de 21 €/t pour le respect de l’ensemble de son cahier des charges, comprenant l’interdiction des insecticides.

Mais dans de nombreux autres cas, cette valorisation ne serait pas suffisante. « Les insecticides sont une solution bon marché et efficace, reconnaît Lucile Brasigny, responsable des dossiers commerce des grains et stockage à la FNA. Mais l’aval exprime une attente sur une diminution de leur usage, contribuant à l’essor de marchés de niche sources de plus-value. Lutter autrement coûte plus cher et demande des compétences. » Le plan de relance annoncé en septembre par le gouvernement représente un espoir. « Les organismes stockeurs ne répercutent pas forcément le surcoût d’une lutte alternative sur leurs clients et disposent de capacités d’investissement limitées. Notre rôle est d’accompagner nos adhérents et d’alerter nos pouvoirs publics. Il faut pouvoir rémunérer cette compétence et le plan de relance arrive à point nommé pour ça ! Qu’il prenne en compte l’effort auquel nous consentons pour nous adapter à cette nouvelle donne et nous apporte un soutien ! », revendiquent en chœur coopératives et négociants.

1. K. Crépon, M. Cabacos, Méthodes de lutte physique dans un itinéraire de stockage sans insecticides : intérêts et limites, Conférence : Phloème – Les biennales de l’innovation céréalière, Paris, 2020