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Gestion des adventices

Quels leviers contre le chénopode blanc et le datura stramoine ?


TNC le 10/04/2024 à 11:24
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(© Stéphane Leitenberger/Adobe Stock)

Les leviers de gestion agronomique du chénopode blanc et du datura stramoine sont moins nombreux que pour les graminées. À l’occasion d’un webinaire, Marie Flament et Bastien Boquet nous rappellent quelques éléments-clés de biologie de ces adventices printanière et estivale, et font le point sur les résultats du projet Adventurh.

Connaître la biologie des adventices est un pré-requis essentiel pour mettre en place une stratégie de lutte adaptée. « Le chénopode blanc et le datura stramoine sont deux adventices annuelles à reproduction sexuée. D’où l’intérêt d’étudier tout ce qui est en lien avec la production de graines et leur germination », explique Marie Flament, cheffe de projet chez Agro-Transfert.

Zoom sur le chénopode blanc…

Dans le cas du chénopode blanc, c’est « assez pratique : la morphologie de ses graines est différente si elles ont la capacité de germer ou non. Ainsi, elles sont noires quand elles sont en dormance et marron, quand elles sont capables de germer tout de suite ».

« Cela dépend principalement des conditions de maturation. Si ces dernières sont stressantes avec une photopériode courte, on obtient plus de graines non dormantes que si les conditions sont favorables. Pour autant, la très grande majorité des graines sont dormantes : 73 à 97 % selon les situations. »

Quant à la persistance du stock semencier, « elle s’explique par deux facteurs : la survie des graines aux agressions du milieu (actions de gel/dégel, perturbations des organismes du sol…) et le faible taux de germination des graines ».

« Plus les graines ont des enveloppes épaisses, plus elles sont capables de résister dans le sol. Pour ce qui est du chénopode blanc, l’épaisseur de son enveloppe est plutôt moyenne, 70 µm. Ce qui donne une persistance élevée des graines de chénopode blanc dans le sol (4 à 6 ans), c’est surtout leur forte dépendance à la lumière, elles vont très peu germer en profondeur. Les graines sont également capables de résister dans le circuit digestif des ruminants », précise Marie Flament.

Avec l’accès à la lumière, les autres conditions de germination du chénopode blanc sont « une température de base à 4,2°C (moyen) et un besoin d’humidité. Le potentiel hydrique est évalué à – 0,67 MPa. Plus on est proche de zéro, moins la résistance à la sécheresse est forte ». « Ce qui est notable pour le chénopode blanc, c’est sa profondeur de levée très superficielle, à 0,5 cm ».

« Tous ces éléments déterminent une période de levée préférentielle, qui démarre dans nos contrées avec un premier pic au printemps, en mars-avril, et qu’on voit se poursuivre jusqu’en septembre environ. La production de graines est très variable, entre 3 000 et 20 000 graines/plante. On sait que cette production est corrélée à la biomasse de l’adventice (plus celle-ci est forte, plus la production de graines est importante). Et cette biomasse va être fonction de la compétition (lumière, azote) avec les autres individus (intra-espèce ou avec la culture en place). »

…et sur le datura stramoine

En ce qui concerne le datura stramoine, « cette adventice a une très forte dormance primaire. L’enveloppe épaisse de ses graines (133 µm) permet une survie aux agressions du milieu, elles ont aussi une persistance élevée. Concernant les conditions de germination, le potentiel hydrique est de – 1,4 MPa, ce qui souligne que le datura a besoin de moins d’humidité pour germer que le chénopode blanc. Par contre, sa température de base est plus élevée. Il n’y aura pas de germination en dessous de 10,4°C. Sa profondeur de levée est aussi bien plus importante que le chénopode, des plantes peuvent émerger pour des graines jusqu’à 15 cm de profondeur ».

Cela décale la période préférentielle du datura stramoine entre début mai et fin septembre. Autre élément de biologie important à noter : « on peut observer des daturas à des stades très différents, ils sont capables d’émerger très tardivement. »

Comparaison de la biologie d’une adventice printanière, le chénopode blanc, et d’une adventice estivale, le datura stramoine. (© Agro-Transfert)

Des leviers de gestion différents de ceux contre les graminées

Une fois tous ces éléments rappelés cela permet d’y voir plus clair concernant les leviers agronomiques qui peuvent fonctionner :

Synthèse des leviers agronomiques possibles dans la gestion des adventices. (© Agro-Transfert)

« Si la rotation est un levier souvent mis en avant dans la lutte contre les graminées notamment, son intérêt est moins probant face au chénopode blanc et au datura stramoine. Il faudrait mettre en place une succession de cultures d’hiver pour avoir un effet sur les graines », observe Marie Flament. « Le labour est peu adapté pour ces adventices à faible taux annuel de décroissance, il peut même être parfois contre-productif dans le cas du datura. »

« La méthode d’implantation reste toutefois une solution valable. Le mulch/semis sous couvert notamment peut se montrer pertinent vis-à-vis de ces deux adventices mais ces pratiques restent encore peu développées pour les cultures concernées. Le levier date de semis est, de son côté, difficilement applicable, les périodes de levée préférentielles de ces deux adventices étant assez longues. Il est compliqué d’avancer les dates de semis des cultures de printemps. L’export des semences à la récolte avec les résidus de culture ne fonctionne pas, non plus, dans ce cas : il n’y a pas de cultures qui s’y prêtent. »

Marie Flament met plutôt en avant le levier variétal, le fait de jouer sur la densité de semis ou la fertilisation, pour obtenir des cultures plus compétitives.

Dans le cadre du projet Adventurh, plusieurs essais ont été mis en place sur la stratégie de faux-semis, au printemps avec la herse rotative et la herse étrille notamment, ou à l’automne avec des bêches roulantes.

Ce qu’il en ressort : « du fait d’une germination superficielle de ses graines et d’une levée de dormance facilitée au printemps/été, un travail du sol superficiel répété à cette période fonctionne bien pour le chénopode blanc. Attention, cette adventice est par contre capable d’un développement et d’un enracinement très rapides, ce qui peut rendre sa destruction problématique parfois ».

« Pour le datura dont la levée de dormance est plus difficile, il faut miser sur un travail du sol plus agressif à 10 cm de profondeur. Le problème reste les levées échelonnées, comment faire pour les gérer après le travail du sol et le semis des cultures ?  ».

Ecimage et fertilisation localisée à l’étude

Dans le cadre des projets de recherche, Agro-Transfert a également étudié plusieurs leviers de gestion innovants. Parmi eux, l’écimage des chénopodes (60 €/ha pour un passage) : « une technique curative de dernier recours, au moment de la floraison, pour empêcher le stock semencier de se renouveler », précise Bastien Boquet, ingénieur d’études chez Agro-Transfert.

« C’est un levier surtout répandu en agriculture biologique : 57 % des parcelles de betteraves écimées en 2021 étaient en bio. L’intervention est réalisée en général sur des parcelles avec un potentiel de rendement déjà impacté. »

Les résultats des essais menés par Agro-Transfert en 2020 et 2021 sur pommes de terre rappellent l’importance du positionnement : « il faut viser la fin de floraison du chénopode. Si l’écimage est réalisé trop précocement, il y a un risque que les adventices repartent ».

Les résultats de l’écimage diffèrent d’une année à l’autre. (© Agro-Transfert)

Les essais ont montré toutefois une forte variabilité selon l’année : « l’écimage tardif a été très bénéfique en 2020, les résultats sont plutôt négatifs en 2021 quelle que soit la période d’intervention ». « C’est un levier qui reste encore à travailler et à optimiser pour réduire le risque de réinfestation, note Bastien Boquet, avec l’usage d’une écimeuse récupératrice ou tester un double écimage en deux passages tardifs ? ». L’expert questionne aussi l’utilisation d’une désherbeuse à pneus, permettant d’arracher les adventices.

Autre levier étudié, avec le projet Copraa : l’effet de la localisation de l’apport d’azote sur le rang par rapport à un apport en plein sur la compétition cultures-adventices. Le chénopode blanc et le datura stramoine étant deux adventices nitrophiles.

Agro-Transfert a réalisé des essais de fertilisation azotée localisée sur betteraves en 2021 et 2023 (azote solide). Pour le moment, les résultats obtenus ne vont pas dans le sens des données bibliographiques : l’azote du rang semble autant profitable aux adventices qu’à la culture.

(© Agro-Transfert)
(© Agro-Transfert)

« Est-ce à cause de l’écartement trop large (45 cm) ? Un temps de couverture du rang par la culture trop long ? Ou la dose d’azote apportée trop faible ? »

Agro-Transfert prévoit une nouvelle expérimentation en 2024 pour tenter de répondre à ces différentes questions.