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Les couverts végétaux, levier efficace dans la gestion des adventices ?


TNC le 26/03/2021 à 18:01
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Pour ne pas laisser le champ libre aux mauvaises herbes, la stratégie est bien connue : il faut occuper l’espace. Semer un couvert y contribue mais leur gestion et leurs bénéfices continuent de questionner. Quelles espèces choisir, combien et avec quel itinéraire technique ? À l’instar des travaux menés par le centre Inrae de Dijon et le GIEE Magellan, des études scientifiques et des essais agricoles apportent peu à peu des éléments de réponse

L’introduction dans les rotations de couverts, qu’ils soient temporaires ou permanents, peut répondre à de nombreuses attentes : apporter de la matière organique au sol, piéger l’azote, limiter l’érosion, produire du fourrage, favoriser la biodiversité… Sans oublier celle de réduire le salissement des parcelles, parfois recherchée.

« La nature a horreur du vide : laisser une place vacante, c’est favoriser le développement des adventices » rappelle Jérôme Séguinier, président du GIEE Magellan, une association d’agriculteurs de la Nièvre travaillant le semis direct. L’envie ne peut qu’être grande de profiter de tous ces services et d’opter pour un mélange varié d’espèces afin de combiner leurs propriétés spécifiques. Attention toutefois : diversité et efficacité ne sont pas toujours synonymes. 

Opter pour un simple mélange, pas si simple ! 

Pour la gestion des adventices, « beaucoup d’études(1) démontrent que les couverts qui sont peu diversifiés, constitués de 3 ou 4 espèces bien choisies, peuvent être beaucoup plus performants que ceux qui en comportent 10 ou 15 », souligne Stéphane Cordeau, chercheur en agronomie à l’UMR Agroécologie au centre Inrae Bourgogne-Franche-Comté. En effet, c’est avant tout la couverture rapide et une biomasse élevée qui va étouffer la flore adventice. Or si trop d’espèces sont semées, certaines vont occuper les mêmes espaces et entrer en concurrence pour les mêmes ressources (eau, nutriments, limitantes en été, et lumière). Les plus performantes en matière de couverture et de biomasse, qui sont donc les plus compétitives face à la flore adventice, bénéficieront alors de conditions moins propices pour se développer. C’est, en quelque sorte, une guerre interne au couvert qui nuit à la lutte contre les mauvaises herbes !

Sélectionner ces trois ou quatre espèces n’est toutefois pas chose aisée. Comme toujours en agriculture, il n’y a pas de combinaison miracle. Des outils comme celui d’Arvalis ou le tableur Acacia, développé par le GIEE Magellan, peuvent cependant aider à composer ces mélanges. Le guide sur le semis direct réalisé par le groupe d’agriculteurs nivernais est également riche en informations, mettant en avant certaines espèces pour leur action répressive, comme la luzerne, bien couvrante si bien implantée, le trèfle blanc ou encore des graminées aux actions allélopathiques potentielles.

Avoir toujours un temps d’avance 

S’il s’agit de penser chaque couvert comme une culture en soi, en considérant sa place dans la rotation et les caractéristiques de la parcelle où il sera implanté, le facteur météo vient parfois rebattre les cartes. Lors d’essais réalisés par Arvalis entre 2010 et 2012, l’espèce la plus performante sur une parcelle donnée se révélait ainsi être différente d’une année à une autre. Face aux aléas climatiques, l’une des stratégies est alors d’avoir un couvert un peu plus diversifié (5 ou 6 espèces) afin de sécuriser une couverture en toute situation, quitte à ne pas chercher l’optimum.

La course entre les couverts et les adventices, c’est l’inverse de la fable du Lièvre et de la Tortue.

Stéphane Cordeau rappelle qu’il est aussi possible de jouer sur les pratiques de gestion comme la date et la densité à laquelle on va semer. « La course entre les couverts et les adventices, c’est l’inverse de la fable du Lièvre et de la Tortue » image-t-il. L’objectif est de partir vite afin que, malgré des conditions défavorables, le couvert se développe avant les adventices. En ce sens, le semer à la volée dans la culture précédente semble intéressant. La pratique est d’ailleurs à l’essai dans le GIEE Magellan. « L’idée est d’implanter les couverts au mois de mai de telle sorte qu’en juillet ils aient bénéficié de suffisamment d’eau » explique Jérôme Séguinier dont les parcelles font face à des sécheresses répétées. Quant à semer plus dense, cela a toujours un avantage compétitif vis-à-vis de la flore adventice, mais c’est un coût à évaluer, ou une composition à revoir.

Quand l’intérêt se révèle limité

Que les couverts réduisent la flore adventice qui lève en même temps qu’eux est une chose. Qu’ils diminuent le salissement des cultures qui leur succèdent en est une autre ! Stéphane Cordeau a mené avec Guillaume Adeux et des collègues italiens une étude sur une rotation de 4 ans comparant différentes pratiques répétées chaque année durant 17 ans : un sol nu ou un couvert (moutarde, vesce ou trèfle), avec réplications sous quatre niveaux de fertilisation azotée et deux niveaux de travail du sol (labour et travail du sol superficiel). « Nous n’avons pas vu de différences significatives avec ou sans couvert » constate-t-il.

Le résultat corrobore de précédentes études. 80 % des adventices étant en effet des plantes annuelles, elles ne réalisent qu’une partie de leur cycle durant la durée de l’interculture. Les couverts concurrencent donc la flore adventice qui lève en même temps qu’eux mais n’auront pas ou très peu d’effets sur celle qui lèvera lors de la culture suivante : elle correspond à une autre partie du stock semencier. « Qui plus est, le travail du sol venant détruire le couvert stimule la germination de ces nouvelles espèces » ajoute le chercheur. Conclusion ? « Le désherbage dans la culture, en plus du travail du sol, efface finalement l’effet du couvert. »

Roulage d’un couvert de pois fourrager sur le domaine Inrae d’Epoisses Dijon. (©Stéphane Cordeau)

Pour un effet marqué, une couverture longue durée

Stéphane Cordeau tempère toutefois son propos : dans des systèmes où le sol n’est pas travaillé, les couverts auront en revanche un effet répressif plus prégnant. À travers deux études réalisées en 2015 et 2017, il a ainsi montré que quand les semences d’adventices sont en surface (cas du semis direct sous couvert) la germination des adventices est réduite par le non-enfouissement des graines (diminution de 26 %), l’ombrage du couvert (17 %) et le stress hydrique (19 %).

Il faut, avant tout, « casser » les cycles des adventices et utiliser les couverts pour « placer les bonnes plantes au bon endroit ».

Parfois le couvert est même conservé trois ou quatre ans : il est dit permanent. Théoriquement, la pression adventice en est réduite, notamment de par le système racinaire en place. Suite aux sécheresses estivales, des membres du groupe GIEE ont semé de cette façon des légumineuses fourragères. Jérôme Séguinier souligne ainsi qu’il a observé une baisse des repousses de vulpins. « L’idéal serait que l’on réussisse ensuite à semer un ou deux couverts annuels avant de repartir sur un permanent. » précise-t-il. Car ce qu’il faut, à ses yeux, c’est avant tout « casser » les cycles des adventices et utiliser les couverts pour « placer les bonnes plantes au bon endroit » afin d’avoir des communautés d’adventices faciles à gérer. S’il utilise ainsi peu de pesticides, « le passage au zéro phyto, ce n’est toutefois pas pour bientôt ! » concède-t-il.

(1) Notamment Smith RG, Warren ND, Cordeau S (2020) Are cover crop mixtures better at suppressing weeds than cover crop monocultures ? Weed Sci. 68: 186–194.