Accéder au contenu principal
Couverts végétaux

Un outil agronomique multifonction


TNC le 16/06/2020 à 18:05
fiches_Couvert_vegetal_-_Alain_Van_de_Kerckhove

Agriculteurs et techniciens découvrent progressivement les multiples atouts des couverts végétaux. (©Alain Van de Kerckhove)

Considérés à l’origine comme une contrainte liée à la directive nitrates, les couverts végétaux d’interculture ont acquis au fil du temps le statut d’outil multifonction. Techniciens et agriculteurs découvrent progressivement leurs intérêts agronomiques dans la protection des sols et l’amélioration de leur fertilité, dans la concurrence des adventices et dans la fertilisation verte.

Entrée en vigueur en 1991 dans l’Union européenne, la directive nitrates vise à réduire la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole, en particulier en zones vulnérables. C’est ainsi que, sur près de 70 % de la SAU française, les agriculteurs ont l’obligation de mettre en place des cultures intermédiaires pièges à nitrates (Cipan) à l’automne, afin de capter, durant cette période humide, les reliquats azotés des cultures et l’azote issu de la minéralisation de la matière organique. En trente ans, les Cipan ont fait des petits, formant aujourd’hui la grande famille des couverts végétaux reconnus pour leurs multiples usages et vertus agronomiques. La réglementation européenne reconnaît aussi les couverts comme surfaces d’intérêt écologique (SIE) et comme moyen de déroger à la diversification de l’assolement, dans le cadre du verdissement de la Pac. Tout en se pliant aux contraintes réglementaires régionalisées, les agriculteurs et techniciens découvrent progressivement les atouts de cette pratique.

« Nous avons montré que les couverts ont un intérêt technique, constate Serge Letellier, responsable agronomique de la coopérative Gersycoop dans le Gers. Nos adhérents ont réduit leurs charges et/ou déplafonné leurs rendements, et l’état d’esprit a changé : les couverts sont désormais considérés comme un investissement plutôt qu’un coût. » Sur le territoire de cet organisme, les champs composés de limons peu stables et de terres argilo-calcaires en coteaux sont sensibles à l’érosion.

À lire aussi : Agriculture biologique – Sept clés pour des intercultures efficaces

Le climat est très sec lors de l’implantation des couverts en été, et le gel hivernal insuffisant pour les détruire en hiver. Afin de contourner ces difficultés, plusieurs pistes ont été testées, notamment différentes périodes d’implantation. Par exemple, des plantes compagnes sont semées dans les colzas et maintenues après récolte jusqu’au semis de blé à suivre. Grâce à un effet de leurre, ces plantes permettent en outre de dérouter les ravageurs et de réduire les insecticides en début de cycle. De plus, la réduction des herbicides est fréquente et des reliquats azotés subsistent pour la culture suivante. Dans les blés, des trèfles peu agressifs sont semés dès février au stade épi 1 cm, pour servir de couvert après la moisson. « Nous avons constaté que les couverts végétaux constituent une solution globale vis-à-vis de plusieurs problématiques, résume Serge Letellier. Ils occupent l’espace et limitent l’installation des adventices. Ils améliorent la structure des sols et l’infiltration de l’eau, et réduisent le ruissellement et l’érosion. Ils produisent de la biomasse utile à l’activité biologique des sols et servent d’engrais vert. »

10 à 50 % de l’azote restitué à la culture suivante

Dans les années 1990, Arvalis-Institut du végétal a montré l’efficacité des Cipan pour limiter le lessivage des nitrates. À condition d’être suffisamment développés au début de la saison de drainage, ils puisent l’eau et les nutriments dans le sol, et réduisent de 50 % les fuites par rapport à un sol nu (en deux mois et demi, de la fin de l’été à mi-novembre). Les repousses de colza ou de céréales permettent d’obtenir des résultats similaires. Au moment de la destruction du couvert, les nutriments stockés dans la biomasse sont progressivement minéralisés et une partie de l’azote stocké sous forme organique sera disponible pour la culture suivante. Le procédé Merci (1) mis au point par la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine est aujourd’hui utilisé dans toute la France (disponible en novembre 2020 sous la forme d’une application en ligne). À partir de plusieurs prélèvements sur une parcelle, les différentes espèces du couvert sont triées puis pesées. Cette biomasse verte est convertie en biomasse sèche à l’hectare, puis en azote total piégé par le couvert. Une estimation de l’azote potentiellement disponible à l’hectare est alors fournie à l’utilisateur, sachant que la restitution à la culture suivante est estimée entre 10 et 50 % de l’azote contenu dans le couvert, en fonction des caractéristiques de celui-ci.

Les différentes familles de couverts sont donc complémentaires, d’où l’intérêt d’associer plusieurs espèces.

Vingt-trois essais menés par Arvalis sur une dizaine d’années montrent une production de biomasse à l’automne comprise le plus souvent entre 1 et 2 t de matière sèche à l’hectare pour les trois grandes familles de couverts (graminées, crucifères, légumineuses). Avec sa racine pivot, le radis fourrager atteint en moyenne près de 3 t MS/ha. Le niveau d’azote absorbé se situe, d’après les mesures, entre 20 et 60 kg/ha, voire davantage pour les légumineuses. Grâce à leur rapidité d’implantation, les crucifères (moutarde, radis, colza) sont les plus efficaces pour piéger l’azote. En revanche, les légumineuses (vesces, trèfles, féveroles) sont plus aptes à apporter de l’azote à la culture suivante en raison de leur capacité à capter cet élément dans l’air. Toutefois, leur vitesse d’implantation plus lente peut favoriser les levées d’adventices et les repousses de culture. C’est pourquoi elles sont déconseillées en cas de semis tardif.

Par ailleurs, des essais se développent pour tester des semis sous couverts plus précoces. Enfin, les graminées (avoines, seigles, raygrass) vont particulièrement stocker le carbone. La dégradation de cette biomasse peut cependant créer une « faim d’azote » pour la culture suivante. Les différentes familles de couverts sont donc complémentaires, d’où l’intérêt d’associer plusieurs espèces. Cela vaut aussi pour l’amélioration de la structure du sol : avec leurs racines pivotantes, les crucifères le fissurent en profondeur, tandis que les graminées vont plutôt émietter les cinq premiers centimètres grâce à leurs racines fasciculées.

À lire aussi : Témoignages d’agriculteurs : « remettre le sol au cœur des préoccupations »

Semer sur un sol propre

Dans un contexte de plus en plus contraignant vis-à-vis des produits phytos, les couverts végétaux sont porteurs d’espoir pour leur capacité à concurrencer et à étouffer les adventices. Cet objectif représente toutefois un véritable défi, pas du tout évident à atteindre. « Une culture intermédiaire peut limiter les germinations d’adventices, mais elle réduit les possibilités d’intervention mécanique comme le faux-semis pendant l’interculture, prévient Pascale Métais, ingénieur du pôle agronomie chez Arvalis-Institut du végétal. La réduction du stock semencier sera moindre qu’en sol nu régulièrement travaillé. Un risque de grenaison d’adventices existe, en particulier si elles sont déjà bien installées lors du semis du couvert. D’où l’importance de semer sur un sol propre. »

Pour les adventices dites « de 100 jours », il faut veiller à détruire le couvert au plus tôt pour éviter un salissement à plus long terme.

Très peu d’espèces indésirables sont en mesure de réaliser l’intégralité de leur cycle dans une culture intermédiaire. Elles doivent pour cela suivre un cycle court et se montrer capables de produire des graines viables malgré des sommes de températures assez faibles. C’est le cas du séneçon vulgaire, de la véronique de Perse et des pâturins qui réunissent tous trois ces caractéristiques. En présence de ces adventices dites « de 100 jours », il faut donc veiller à détruire le couvert au plus tôt pour éviter un salissement à plus long terme. Arvalis-Institut du végétal a suivi le salissement dans trois essais de longue durée entre 2010 et 2012. Les densités d’adventices et de repousses sont très différentes selon la météo de l’année. En moyenne, les cultures intermédiaires ont réduit significativement les repousses. Mais aucune différence significative n’a été mise en évidence entre les espèces : les couverts les plus efficaces varient aussi d’une année sur l’autre. C’est surtout le volume de biomasse et la rapidité d’implantation qui expliquent les différences de salissement.

Densité en plantes/m² d’adventices et de repousses à l’interculture, en fonction du type de couvert. (©Arvalis-Institut du végétal)

D’autres essais menés par l’Inra, Terres Inovia et Arvalis-Institut du végétal (projet CoSAC 2014-18) ont par ailleurs permis de vérifier que l’utilisation de couvert n’a pas ou a peu d’effet sur la flore adventice levant à une autre période, notamment en culture. Dans l’optique de retombées plus durables sur le salissement des parcelles, une autre piste fait l’objet d’essais par la recherche et par les agriculteurs eux-mêmes. Celle d’une couverture permanente ou pseudo-permanente (couverts relais) des sols visant à maximiser la régulation des adventices tout en minimisant la compétition pour la culture. Le projet Casdar-Vancouver (valorisation des couverts végétaux dans les systèmes de culture pour la gestion agroécologique de la flore adventice) mobilisant de nombreux instituts jusqu’à fin 2020 comprend un volet d’études de ces méthodes.

(1) Merci : Méthode d’estimation et de restitution par les cultures intermédiaires