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Céréales

Fragilisée, la filière céréalière française sommée de se réinventer


AFP le 21/02/2019 à 15:05
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Un « colosse aux pieds d'argile » : la filière céréalière française, longtemps réputée prospère, connaît des saisons tourmentées face à une concurrence féroce et aux incertitudes réglementaires et souhaite monter en gamme pour rester dans le club des acteurs qui comptent.

La formule « colosse aux pieds d’argile » provient du groupe de réflexion Agridées.

Dans une note publiée en janvier dernier, il rappelait qu’une tonne sur deux des céréales produites en France est aujourd’hui exportée, une réussite néanmoins fragile. Entre la concurrence effrénée de la Russie et plusieurs accidents climatiques, en termes de revenus, « c’est la cata depuis 2013 », résume à l’AFP Philippe Pinta, président sortant de l’AGPB, syndicat des producteurs de blé. « Mais c’est surtout le moral qui n’est pas top. Tous les ans depuis 2013, on a 30 % des céréaliers qui sont dans le rouge » en termes de revenu disponible, une fois payées les charges sociales, résume-t-il, à quelques jours de l’ouverture du Salon de l’agriculture à Paris.

Après un exercice 2016 calamiteux, les deux années qui ont suivi ont été un peu meilleures, mais « le problème, c’est de boucher les trous des années passées », résume Philippe Pinta. Une inquiétude d’autant plus grande que des marchés qui étaient chasse gardée de la France, comme l’Algérie, semblent à leur tour prêts à céder aux sirènes sibériennes : Des échanges ont ainsi eu lieu l’an passé, sans suites pour l’instant. Contrairement à certains meuniers d’Afrique de l’Ouest, au Sénégal ou au Cameroun, qui ont pris goût aux marchandises russes. « Il n’y a pas d’inquiétude particulière », affirme pourtant Philippe Heusele, président de France Export céréales. Il reconnait néanmoins que « les marchés exports ont peut-être été trop souvent considérés dans le passé comme étant des marchés de défaut » et avance que la concurrence du blé russe, très riche en protéines, amène les Français « à faire des progrès sur la marchandise » proposée aux moulins d’Afrique sub-saharienne. « Lorsqu’on fait lever du pain baguette sous des climats tropicaux, il y a des exigences de tenue de pâte qui réclament des taux de protéines suffisamment importants », explique ainsi Philippe Heusele.

Un label en préparation

Philippe Pinta fait valoir que le « plan protéines » lancé par la filière il y a quelques années a commencé à porter ses fruits. Mais face à une concurrence toujours plus agressive, et avec des contraintes environnementales plus fortes, même si le président Emmanuel Macron a mis de l’eau dans son vin au sujet de la sortie du glyphosate, les paysans semblent vouloir aller plus loin.

Dans le monde, « il y a une hausse forte de la classe moyenne et cette classe moyenne est de plus en plus en attente de qualitatif, de sanitaire, ça va de soi, mais aussi de démarches respectueuses de l’environnement et de démarches sociétales », veut croire Eric Thirouin, successeur fraîchement élu de Philippe Pinta. « C’est valable en Orient, c’est valable en Asie, mais il y a aussi des attentes qui sont en train de pointer en Afrique. Sur tous ces marchés-là, on a certainement quelque chose à valoriser », a-t-il ajouté.

Lors du congrès où il a été élu, il a ainsi présenté un projet de label Haute Valeur Environnementale adapté à la filière céréalière. Une démarche qui semble vouloir séduire autant les marchés extérieurs que l’opinion publique française et notamment les leaders d’opinion : selon un sondage commandé par l’AGPB, seulement 53 % des cadres ont une bonne image des céréaliers, contre 74 % de la population française dans son ensemble. Le contenu de ce label demeure cependant encore flou : « Il y aura les intrants (engrais et pesticides), il y aura la biodiversité, il y aura la mise aux normes, les bandes enherbées » (qui permettent d’absorber certains engrais le long des rivières), a ainsi énuméré Philippe Pinta, en souhaitant que « toutes les régions puissent rentrer dedans ».

Une approche inclusive qui inquiète Laure Figeureu-Bidaud, jeune céréalière installée dans l’Eure : « Le problème de ne jamais exclure personne, c’est que finalement on a du mal à avancer », avertit-elle, craignant un plan « un peu creux ». Pour elle, « on est en train de changer de modèle » : « Beaucoup d’agriculteurs ont conscience qu’il n’y a pas le choix, c’est ça ou ça va devenir toujours plus compliqué. Le temps où les agriculteurs manifestaient sans proposer vraiment d’alternatives, c’est terminé ».