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PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Vers un regain de sagesse autour du principe de précaution?


AAF - Bernard Sauveur le 23/01/2015 à 19:43
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L'éditorial de Gérard Tendron en tête de la Revue de l'Académie d'agriculture n°4 "Principe de précaution ou principe d'innovation" est particulièrement bienvenu au moment où le principe de précaution est souvent accusé – par ceux qui le connaissent mal, voire pas du tout – de freiner l'innovation.

Rappelons en effet que, dans sa définition même, le recours au principe de précaution implique la mise en oeuvre de recherches et d’expérimentations de terrain à même de lever les doutes existant à l’origine. Il est donc, lorsque les moyens accordés suivent logiquement la décision d’y faire appel, un stimulateur de recherche et d’innovations futures. Le principe de précaution n’est pas non plus exempt de valeur économique. Selon Nicolas Treich (1.; 5.) « La perspective de meilleures informations dans le futur donne une prime aux décisions les moins irréversibles aujourd’hui. » D’autres études économiques montrent que « la précaution est en général plus rentable que l’inaction » .

Une autre caractéristique non négligeable du principe de précaution est de participer à une certaine « démocratisation » de l’expérimentation. Il conduit en effet à accepter l’idée selon laquelle les résultats scientifiques sont provisoires et à adopter un nouveau modèle expérimental intégrant de façon continue une plus large participation de la société dans des épreuves extérieures au laboratoire. Comme le souligne Bernard Chevassus-au-Louis (2.), « les citoyens sont appelés à être de nouveau des acteurs … » au sein de  » mesures qui permettent de suivre l’innovation dans sa trajectoire ».

C’est sous l’angle éthique que j’ai été personnellement conduit, il y a quelques années, à m’intéresser au principe de précaution(3.).Ma conclusion était que la portée éthique du recours à la précaution dans le processus de décision dépend surtout de l’esprit dans lequel ce recours est opéré. Pour René Simon(4.), « … le sujet éthique [est celui qui passe] d’une pure obéissance passive à la loi du groupe, à une attitude dans laquelle il prend sur soi l’acte qu’il va poser. » Avec cette référence, faire appel à la précaution est une décision éthique lorsque l’acteur invente une réponse originale et responsable – éventuellement opposée à la préconisation des experts – à une situation qui l’exige. Ce ne l’est plus si ce recours ne sert, de façon démagogique, qu’à calmer une opinion publique sensible à un risque « perçu » – que l’on sait plus élevé que le risque réel – et/ou à éviter une future condamnation juridique.

Retrouvez l’intégralité de La lettre de l’Académie d’agriculture n°26.

1. Nicolas Treich, 2002, Le principe de précaution est-il économiquement acceptable ?, INRA mensuel, 113, 11-12.
2. Bernard Chevassus-au-Louis, 2008, Gardiens de la nature ou co-créateurs, in « Vivre autrement pour un développement durable et solidaire », 82e session des Semaines sociales en France, Bayard, Paris, 73-86.
3. Bernard Sauveur, 2013, entrée Précaution, in « Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne », sous la direction de L. Lemoine, E. Gaziaux et D. Müller, éditions du Cerf, Paris, 1598-1602.
4. René Simon, 1993, Éthique de la responsabilité, éditions du Cerf, Paris.
5. Nicolas Treich, Sortir du tête-à-tête entre démagogues et lobbies, et Thierry Weil, La prudence peut être plus rentable que l’inaction, Le Monde du 16 octobre 2014, cahier éco et entreprises, p.7.