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Académie d'Agriculture de France

La filière caprine en France : boucherie et reproducteurs


Dominique VERNEAU, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 03/04/2024 à 23:57
AAF

(©Académie d'agriculture de France)

À partir des recensements de l'agriculture, des enquêtes annuelles et de la BDNI (Base de données nationales d'identification), le cheptel caprin est évalué à 900 000 chèvres et 300 000 chevrettes saillies en 2020. Sur l'ensemble des jeunes nés chaque année (autour de 1,2 million, en tenant compte des femelles non gestantes, des lactations longues et de la mortalité périnatale), environ 450 000 femelles et quelques dizaines de milliers de mâles seront élevés pour la reproduction. 750 000 chevreaux, principalement des mâles, seront destinés à la boucherie, 550 000 passant par les filières d'engraissement spécialisées et le reste étant autoconsommé ou vendu en direct. Ce sont ces deux filières que nous allons décrire dans cette fiche

La production de viande de chevreau

Un peu d’histoire


Jusque dans les années 1980, la filière viande de chevreau était inséparable des marchés aux bestiaux, en particulier des marchés aux chevreaux ; dans les grandes régions caprines, les éleveurs amenaient au marché chaque semaine les jeunes animaux élevés sous la mère.


En Nouvelle Aquitaine, ce sont les marchés de Lezay (50 000 chevreaux vendus en 1978), Gençay, Parthenay et Bressuire. En région Centre, Graçay, Saint-Août, Vailly-sur-Sauldre et Valençay sont très animés. Des « rabatteurs » travaillant pour les principaux abattoirs régionaux achètent sur ces marchés, dont tout éleveur attend les cotations chaque semaine. Avec l’agrandissement des élevages et la concentration des mises bas sur quelques semaines, ces mêmes opérateurs ont organisé des circuits de collecte en ferme, ou les ont confiés à des groupements de producteurs spécialisés dans la collecte de chevreaux. Les animaux vendus sur les marchés à l’époque pesaient entre 7 et 11 kilogrammes, vifs.


Cependant, la spécialisation des troupeaux, le manque de bâtiments adaptés pour élever ces jeunes animaux, ainsi que la faible valorisation de ce « sous-produit » ont conduit les éleveurs à se désintéresser de cette production de viande et ont suscité un nouveau métier : engraisseur de chevreaux. Sur la période de production (août à avril), ces éleveurs spécialisés achètent et collectent en ferme des animaux âgés de 3 à 7 jours, de préférence sachant téter ; ils les conduisent en bande, avec allaitement artificiel (les allaiteurs sont appelés louves et peuvent alimenter jusqu’à 250 chevreaux). Les plus gros ateliers atteignent une production de plus de 50 000 chevreaux par an.

La filière aujourd’hui


Un peu plus de 100 000 chevreaux sont vendus en circuit court chaque année.
D’après le rapport du CGAER (décembre 2012) sur la filière chevreau, 550 000 chevreaux sont abattus chaque année dans les abattoirs français, pour environ 3 200 tonnes de viande, soit des carcasses d’environ 5,8 kilogrammes en moyenne.


La filière est très concentrée, avec trois abattoirs regroupant 90 % du tonnage :

  • Loeul et Piriot, à Thouars dans les Deux-Sèvres, pour 60 % des volumes,
  • LDC Palmid’or, en Saône-et-Loire, pour 15 % des volumes
  • Ribot dans le Vaucluse, pour 15 % des volumes,
    le reste (environ 50 000 têtes) étant abattu dans une soixantaine d’abattoirs répartis sur tout le territoire.

L’abattage des chevreaux étant très saisonnier (50 % des abattages sont concentrés sur mars et avril), ces abattoirs, petits ou grands, conjuguent toujours plusieurs activités. Loeul et Piriot est leader européen en lapin, Palmid’or a une grosse activité en canard maigre et lapin, et Ribot en volaille et lapin (Figure 1). Il y a une logique à voir des abattoirs de volailles travailler le chevreau, les chaînes d’abattage pour jeunes ruminants (agneaux) n’étant pas adaptées pour des chevreaux dont les carcasses sont 3 à 4 fois plus petites que celles des agneaux.


La production de chevreaux est très saisonnière : 72 % des chevreaux sont produits entre février et mai (53 % en mars et avril, 61 % de mars à mai) et 15 % en novembre-décembre.

Près de 80 % des chevreaux sont engraissés dans une soixantaine d’ateliers d’engraissement spécialisés, indépendants ou coopératifs, dont une trentaine est située dans le Grand Ouest (Figure 2). Les animaux sont collectés directement en ferme par les engraisseurs, payés à la pièce ou au kilo, entre 3 et 7 jours.
Certains engraisseurs exigent que les chevreaux sachent téter pour éviter un travail fastidieux à l’atelier où les animaux resteront entre 4 et 6 semaines.

L’évolution récente, la crise, les solutions


Les chevreaux « naissants » sont achetés entre 1,5 et 3 € chacun en moyenne, en fonction :

  • de la période, avec deux pics de prix : 4 semaines avant la semaine 50, et 4 semaines avant Pâques ;
  • de l’offre du marché,
  • et bien entendu de la conjoncture aval (dynamisme des marchés, dont l’export) et amont (prix des aliments d’allaitement).
    L’engraisseur va les garder entre 4 et 6 semaines.

La rentabilité de son activité dépend de plusieurs facteurs :

  1. les pertes par mortalité, qui sont fonction de la saison, du climat, de la qualité des bâtiments peuvent être importantes ;
  2. le coût des poudres d’allaitement, dont le prix peut varier de 1,3 €/kg jusqu’à plus de 2 €/kg ; il faut 8 kilogrammes de poudre pour
    engraisser un chevreau pesant entre 10 et 11 kilogrammes vif ;
  3. le prix de vente, autour de 3,5 €/kg vif en moyenne en 2022, un peu moins de 3 € en 2021 (Figure 3) ;
  4. les frais d’élevage : énergie, sanitaire, main d’œuvre ;
  5. et les charges de structure.

Destination des productions

En France, 60 % de la viande de chevreau est vendue par la GMS (grandes et moyennes surfaces), 24 % par les boucheries et 16 % par les grossistes.
Jusqu’à très récemment, les carcasses étaient vendues par quart ou demi ; mais de plus en plus, les abatteurs font des efforts de présentation, et proposent même des plats cuisinés. La viande de chevreau est consommée fraîche pour 80 % des volumes.
La viande congelée est principalement exportée ;55 % de ces volumes vont vers le Portugal, l’Italie, l’Espagne et la Suisse (Figure 4).
Il n’empêche, cette filière est peu valorisante et peut sombrer dans la crise si les débouchés export sont absents, si le prix de la poudre de lait explose.


La section caprine d’Interbev a mis en place depuis trois ans des actions pour redynamiser la filière (communication, recettes) et pour modérer la production : saisonnalité, lactation longue, sexage des semences d’IA (insémination artificielle).

Les reproducteurs et la structure Capgènes

Plusieurs dizaines de milliers de boucs sont conservés chaque année pour être élevés comme futurs reproducteurs ; quand ils sont utilisés en ferme, ils sont pour la plupart issus d’insémination artificielle, provenant de l’un des 600 élevages connectés au schéma génétique national.


La filière caprine a ceci d’original : un schéma génétique unique piloté par Capgènes. Unique structure nationale de production de semence en caprin, Capgènes – née en 2008 de la fusion de Capri’IA et Caprigène France – regroupe 13 coopératives ou union de coopératives. En novembre 2018, la fédération France Conseil Élevage (FCEL) en est devenue associé-coopérateur. Capgènes réunit l’ensemble des partenaires de la filière directement impliqués économiquement par les résultats des actions de sélection et de promotion mises en œuvre pour les races caprines de France.
Capgènes est l’instance professionnelle de définition des objectifs de sélection, de conduite des schémas génétiques, notamment le Schéma national d’amélioration génétique des races laitières Alpine et Saanen, de maîtrise d’ouvrage et de représentation nationale pour l’amélioration génétique des races caprines. Agréée par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche, elle regroupe l’ensemble des races caprines (Alpine, Saanen, Poitevine, etc.).

Le schéma de sélection caprin français est très similaire aux schémas bovins laitiers. Pour la conduite de ce schéma, Capgènes regroupe 600 éleveurs caprins qui constituent la base de sélection des races laitières Alpine et Saanen.
La base de sélection comporte 170 000 chèvres, sur les 390 000 inscrites au contrôle laitier officiel de performances. Chaque année, les 1 300 meilleures femelles sont retenues pour procréer les boucs qui seront mis à l’épreuve sur descendance : ce sont les mères à boucs. À partir de ces 1 300 accouplements programmés, on sélectionnera 400 boucs qui seront génotypés ; 160 d’entre eux entreront en centre de testage, et 130 subiront des tests sur leur fonction sexuelle et sur leur croissance.

Enfin, 90 d’entre eux seront des boucs de testage sur lesquels on testera les performances de leurs filles, pour ne confirmer que les 30 meilleurs boucs. Les critères de sélection ont évolué au fur et à mesure sous l’impulsion des demandes de la filière, et des parties prenantes qui siègent au conseil d’administration de Capgènes. La filière a voulu travailler sur la morphologie, et les opérations de pointage menées chaque année en ferme ont permis de développer l’IMC (index morphologique caprin = Avant pis + Profil + Plancher +Orientation des trayons + Largeur attache arrière).

Six index élémentaires de production sont généralement présentés :

  • ILait : index quantité de lait,
  • IMP : index matière protéique,
  • IMG : index matière grasse,
  • ITP : index taux protéique,
  • ITB : index taux butyreux,
  • ICELL : index cellules somatiques.

Un index de fertilité a été ajouté récemment. Enfin, un index de synthèse prend en compte de manière pondérée (différemment selon les races) les index de production, l’index morphologique, l’index cellules et l’index de fertilité. Ainsi le nombre d’insémination artificielle a pu évoluer au fil des années entre 82 000 et 65 000 entre 2010 et 2020. Mais le succès du schéma génétique caprin se mesure à l’aune de ses résultats illustrés dans la Figure 5.

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