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Fertilisation azotée

Vers un pilotage en temps réel


TNC le 27/03/2019 à 18:02
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Capteurs connectés au champ, images satellitaires, modèles de culture : les innovations technologiques et l'augmentation de la puissance promettent une nouvelle révolution à court terme dans le pilotage de la fertilisation azotée.

Près de vingt ans après le lancement de Farmstar, en 2001, le pilotage de la fertilisation azotée des cultures s’apprête à connaître une nouvelle révolution. Ce service, utilisé par 16 000 agriculteurs en France, a été développé grâce à une collaboration entre Airbus et Arvalis puis Terres Inovia. Il propose d’ajuster les préconisations d’apport d’azote en fonction des besoins réels des plantes. Ceux-ci sont mesurés par leur réflectance à certains stades de développement : le rayonnement de la lumière renvoyé est capté par des satellites, avions ou drones. À condition d’être équipé du matériel ad hoc, l’agriculteur est capable de moduler la distribution d’engrais azoté sur céréales à paille et colza à l’intérieur de chaque parcelle, sur la base de cartes de préconisations.

Désormais, une nouvelle étape dans le raisonnement de la fertilisation azotée est en préparation. L’objectif consiste à évaluer le besoin des cultures non plus à certains stades de développement, mais de façon continue tout au long du cycle des plantes, en prenant en compte, notamment, des conditions climatiques de plus en plus variables. Arvalis-Institut du végétal travaille au développement d’un outil adéquat. À partir d’un modèle intégrant divers paramètres, l’indice de nutrition azotée (INN) sera calculé en temps réel.

En pilotant la fertilisation azotée des céréales en fonction de l’INN calculé par un modèle, Arvalis mesure une amélioration moyenne de 7 % du coefficient apparent d’utilisation (CAU) des engrais minéraux. Les teneurs visées en protéines sont atteintes, soit 11,5 % en blé tendre et 14 % en blé dur.

Les conseils d’apport viseront à le maintenir au-dessus d’un seuil minimal, en dessous duquel le rendement de la culture baisse. « Les modèles de culture existent depuis plus de vingt ans, indique Baptiste Soenen, ingénieur Arvalis-Institut du végétal spécialisé en fertilisation. Destinés avant tout à la recherche, ils sont compliqués à paramétrer et à intégrer dans des outils de pilotage. Pour un agriculteur, un modèle ne sert pas à grand-chose s’il n’est pas associé à des règles de décision.

Gérer différemment les apports

À partir du modèle de culture CHN (carbone, H2O, azote), Arvalis a donc lancé le projet « CHN conduite » visant à piloter la fertilisation azotée des céréales en fonction de la dynamique de l’INN. Un prototype d’outil est prévu pour 2020 avec un paramétrage simplifié. L’utilisateur indiquera sa commune pour intégrer les données et prévisions météo. Il renseignera cinq critères simples sur son sol permettant au modèle de l’identifier au sein d’une base de données pédologiques, et ajoutera éventuellement des résultats d’analyses de sol. Enfin, il saisira la date de semis, l’espèce, la variété, les précédents culturaux, l’apport initial en azote organique et minéral, et les données d’irrigation. Pour vérifier que le modèle calcule correctement l’INN, Arvalis-Institut du végétal et ses partenaires (distributeurs, chambres d’agriculture) ont procédé à des analyses de plantes dans des essais menés depuis 2016. « C’est la méthode de référence, souligne Baptiste Soenen. L’imagerie satellitaire ne peut pas être utilisée sur des parcelles expérimentales de 15 m2. Mais elle est employée en parallèle dans des parcelles agricoles en comparaison des simulations du modèle. »

À terme, dans la version commerciale de l’outil, l’intégration de données issues de capteurs sera possible pour corriger et renforcer la performance des préconisations. « Nous pensons aux données satellitaires, mais pas seulement, précise l’ingénieur. Par exemple, nous testons l’équipement Field Sensor dont les capteurs sont installés au champ. » Les résultats 2018 confirment que la valorisation de l’azote peut être améliorée en gérant différemment les apports. Le modèle conseille en général le même nombre d’apports mais à des dates plus tardives. Selon les cas, les doses recommandées sont inférieures pour un même niveau de rendement, ou supérieures pour un effet de rendement positif. En 2019, Arvalis continue à affiner les règles de décision du pilotage de l’azote : « Ces règles doivent être contextualisées, car la dynamique de l’INN minimal n’est pas toujours identique. Par exemple, toutes les variétés n’ont pas la même capacité à concentrer l’azote dans le grain pour faire des protéines. Selon les cas, il faudra viser un INN de 0,9 ou de 1,1 à floraison. Autre exemple : dans certains contextes pédoclimatiques favorables au remplissage des grains en fin de cycle, on pourra viser un plus grand nombre d’épis tout en assurant une dynamique optimale de l’INN. »

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Arvalis-Institut du végétal n’est pas seul à s’intéresser au pilotage en temps réel de la fertilisation azotée. Des entreprises sont également à pied d’œuvre pour proposer des solutions aux agriculteurs. Ainsi, le fournisseur d’engrais Yara commercialise depuis vingt ans le capteur N-Sensor pour une utilisation sur céréales et colza. Cet équipement optique monté sur le tracteur mesure l’état de nutrition azotée de la culture via sa réflectance par zones de 50 m2, afin d’adapter en temps réel l’azote épandu. On parle dans ce cas de « télédétection de proximité » ou « proxydétection ». La limite de cet outil reste son coût élevé (30 000 à 40 000 €, ou 20 à 25 €/ha en prestation).

Le N-Sensor est un équipement optique monté sur le tracteur pour mesurer l’état de nutrition azotée de la culture via sa réflectance et adapter en temps réel l’azote épandu. (©Yara)

En 2018, Yara a lancé Atfarm, une solution consistant à élaborer des cartes de préconisations modulées avec le même algorithme que celui utilisé avec N-Sensor, mais sur la base d’images satellitaires Sentinel plutôt que sur des mesures de proxydétection. Ce service présente l’avantage d’une grande accessibilité. Le fabricant d’engrais propose un libre accès des données en ligne pendant la phase de déploiement de l’offre. « Nous avons atteint en 2018 le nombre d’utilisateurs espéré, déclare Olivier Boidin, responsable développement marché chez Yara, sans dévoiler de chiffre. Nous renouvelons la gratuité en 2019. L’outil  doit encore s’étoffer, nous sommes en plein développement et une personne sera dédiée au marché français à compter du mois de mars. » Atfarm est utilisable sur céréales à paille, colza et maïs. De nouvelles fonctions seront progressivement ajoutées, telles que l’intégration de données météo.

D’autres outils prometteurs ont été dévoilés au Sima, et même médaillés d’argent par le jury du concours de l’innovation de ce salon. C’est le cas de l’auxiliaire Field Sensor développé par Bosch. Cet ensemble de capteurs connectés installé au champ prend chaque jour des images de la culture, traitées ensuite via les algorithmes agronomiques de la start-up Hiphen. L’équipement fournit des conseils de fertilisation, d’irrigation et de traitement. « Nous avons testé le Field Sensor en priorité sur blé, puis sur maïs, colza et betterave, indique Hervé Loizeau, responsable du développement Smart agriculture. Nous constatons de réels gains de productivité. » La commercialisation débutera en France en 2020.

Autre innovation primée au Sima et lancée en présérie en 2019 auprès de clients tests : le LiveNBalance codéveloppé par Airbus et John Deere. Ce système combine des données intraparcellaires mesurées par des capteurs embarqués, telles que l’azote contenu dans les apports organiques et minéraux modulés ou des cartes de rendements, avec des données satellitaires mesurant l’absorption de l’azote et collectées tous les dix jours. L’agriculteur identifie ainsi, au cours du cycle de la plante, des déviations éventuelles dans la valorisation de l’azote et prend des mesures correctives.

Une version bêta du LiveNBalance sera testée en 2019 avec un groupe d’utilisateurs précoces désireux d’explorer le potentiel de l’outil. « Les satellites doivent changer la vie quotidienne des citoyens, déclarait Pierre Delsaux, directeur des programmes spatiaux à la DG Grow1 au salon vendéen Tech’Elevage en novembre 2018. Grâce à la collaboration des États membres, l’Union européenne a les moyens de développer des programmes spatiaux de pointe, tels la constellation de satellites Sentinel [volet spatial du programme  Copernicus, NDLR]. Leurs photos de la Terre sont mises à disposition gratuitement dans l’objectif de créer des services, notamment dans le secteur agricole. » Cinq ans après le lancement du premier satellite Sentinel en 2014, les vœux de Pierre Delsaux ont donc tôt fait de se réaliser.

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