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Académie d'agriculture de France

Une question perturbante : qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien?


Gérard Pascal, membre de l'Académie d'agriculture de France le 12/06/2019 à 11:25
AAF

Le concept de perturbateur endocrinien (PE) est né à partir d’observations d’anomalies de reproduction et de développement du système reproducteur chez des animaux sauvages et d’effets toxiques différés chez les filles de femmes traitées pendant leur grossesse au diéthylstilbestrol. Gérard Pascal, membre de l'Académie d'agriculture de France, se frotte à cette question "perturbante" de la définition des perturbateurs endocriniens.

Histoire de l’arrivée du terme « perturbateur endocrinien »

C’est en 1991 que certains composés chimiques pouvant interférer avec le métabolisme des hormones et perturber le fonctionnement du système endocrinien sont, pour la première fois, qualifiés de « perturbateurs endocriniens ». Le vocabulaire était nouveau, mais pas le constat forgé depuis des décennies à partir d’observations faites dans la nature et en laboratoire : des composés naturels ou de synthèse peuvent avoir des effets œstrogéniques.

De très nombreux travaux ont eu lieu depuis le début des années 2000, en particulier pour définir une dose maximale sans effet néfaste observable, sur les effets des faibles doses et sur l’aspect des courbes dose-réponse enregistrées. Une revue d’ensemble publiée dans Endocrine Reviews en 2012 a fait grand bruit dans le monde scientifique, mais aussi médiatique.

L’article, s’appuyant sur 845 références, produit de longues listes de composés (naturels ou de synthèse) présentés comme des perturbateurs endocriniens avec des courbes dose/réponse non monotones (de faibles doses peuvent avoir un effet plus marqué que des doses moyennes). Des effets sur différents systèmes cellulaires, lors d’études sur l’animal ou relevés dans la littérature épidémiologique et dans des conditions les plus diverses, sont exposés.

Un point important de l’étude concerne la période d’exposition pour les effets des faibles doses. L’action cancérogène du diéthylstilbestrol chez de jeunes femmes avait déjà bien été enregistrée après exposition in utéro. Le tetra-chloro-dibenzo-p-dioxin et le BPA manifestent également des effets chez l’adulte après exposition à faibles doses en période périnatale.

Les effets de faibles doses ne peuvent être prédits par ceux observés à forte dose. Mais ces faibles doses, dans la fourchette des expositions réelles enregistrées, peuvent avoir des effets délétères sur la santé de l’homme et des animaux.

Réglementation européenne des pesticides et biocides

Des produits phytosanitaires et des biocides figurent dans les listes publiées dans Endocrine Reviews, dont beaucoup sont interdits aujourd’hui. Selon les règlements européens sur les produits de protection des plantes et sur les produits à activité biocide, des composés ayant des propriétés de perturbateur endocrinien ne peuvent être autorisés. Des exceptions sont toutefois mentionnées pour les pesticides, comme par exemple « si le produit est mis en oeuvre dans des systèmes fermés ou dans d’autres conditions excluant tout contact avec l’homme ». La réglementation impose par ailleurs l’identification des perturbateurs endocriniens considérés comme composés extrêmement préoccupant.

Les règlements européens « Pesticides » et « Biocides » imposent donc l’interdiction pure et simple d’un produit dès lors qu’il est qualifié de perturbateur endocrinien. Le seul danger est pris en compte, et non plus le risque. Si les perturbateurs endocriniens constituent bien un danger, c’est-à-dire qu’ils ont le potentiel de causer un effet néfaste, une analyse de risque examine toujours le niveau d’exposition au danger. Cette nouvelle approche considère qu’il n’existerait aucune dose sans effet, seule la dose zéro étant acceptable.

Lutte entre lobbies

Les perturbateurs endocriniens sont le support pour certaines ONG, certaines associations et une partie des médias, pour obtenir un glissement de l’approche de l’évaluation de risques à une approche basée sur l’évaluation du seul danger.

Dans cette dernière approche portée par les ONG, les produits phytosanitaires représentent évidemment des dangers en regard de l’objectif qu’on leur assigne : tuer de mauvaises herbes, des insectes ou des moisissures. La dose zéro serait ainsi la seule dose possible sans danger.

Cette communication active des ONG repose sur une série de postulats : la chimie de synthèse est dangereuse par nature. La Nature, la vraie, serait parée de bien des vertus. La chimie de synthèse, bras de l’industrie du pétrole, bénéficie de l’appui d’un lobby industriel.

D’autre part, nous devons prendre en compte aussi les dangers de nombreuses substances d’origine naturelle présentes normalement dans le végétal ou comme contaminants naturels (en particulier des mycotoxines et métaux lourds naturellement présents dans le sol) dans nos aliments. A ces cocktails « naturels » ainsi constitués s’ajoutent des traces de composés de synthèse appliqués intentionnellement sur le végétal (pesticides autorisés) ou polluant accidentellement la plante (contaminants ubiquitaires au sein desquelles de nombreux perturbateurs endocriniens avérés).

L’important est de limiter l’exposition du consommateur aux substances présentant un risque limité mais qu’il est capable de métaboliser et d’éliminer sans conséquences pour sa santé. C’est tout l’objet des réglementations.

(©Académie d’agriculture de France)

https://www.academie-agriculture.fr/

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