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Académie d'Agriculture de France

Y-a-t-il eu perte de diversité génétique au cours des cent dernières années ?


Bernard LE BUANEC, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 02/02/2021 à 17:51
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(©Pixabay)

Depuis de très nombreuses années, il y a un débat sur la perte de diversité des variétés cultivées des principales espèces, du fait des méthodes modernes de sélection. L’affirmation de cette perte est en général fondée sur la mesure du nombre de variétés disponibles pour les agriculteurs. Est-ce un bon indicateur de diversité ? Y-a-t-il eu réellement perte de diversité génétique au cours des cent dernières années ? L'Académie d'agriculture de France fait le point.

La plus grande perte de diversité génétique pour l’agriculture a été la domestication, en particulier pour les espèces utilisées en alimentation humaine : sur plusieurs milliers d’espèces, seules cent cinquante sont encore utilisées, et une douzaine seulement procure 80 % de l’alimentation végétale mondiale ; à eux seuls le riz, le blé, le maïs couvrent de l’ordre de 50 % des besoins.

Pour caractériser la diversité, les experts en sciences sociales retiennent le nombre de variétés, la proportion des surfaces plantées avec ces variétés et le taux de passage par les agriculteurs d’une variété à une autre. Mais les biologistes utilisent plutôt des indicateurs généalogiques, l’analyse de caractéristiques morphologiques et des indices de fréquence de gènes mesurées par des marqueurs moléculaires. Non seulement ces indicateurs mesurent des phénomènes différents mais, de plus, leurs relations sont souvent faibles.

Le nombre de variétés

C’est souvent le critère utilisé pour indiquer que le passage des variétés locales aux variétés améliorées a provoqué une forte baisse de la diversité génétique ; mais comme il concerne les variétés anciennes, ce critère n’est pas pertinent en raison des synonymies et des homonymies. Il faut donc le prendre, comme marqueur de diversité génétique, avec beaucoup de circonspection si l’on n’a pas d’analyse morphologique ou génétique de ces variétés ; ainsi, lors de la création du Catalogue blé en France, en 1933, le nombre de variétés est passé de 562 à 170 après analyses morphologiques.

En revanche, on peut attacher plus de crédit au nombre de variétés « distinctes » inscrites de nos jours : par exemple, il y a au Catalogue français 437 variétés de blé tendre d’hiver et 1 171 variétés de maïs ; en 2016, 33 variétés de blé y ont été inscrites. Et parmi les 9 000 variétés du Catalogue concernant 250 espèces, on trouve 300 variétés de plantes potagères pour circuits courts et amateurs. La même tendance s’observe à l’international : la base variétale de l’OCDE comprend 49 000 variétés, et le Catalogue européen 21 000 variétés légumières et 28 000 variétés agricoles.

Si l’on utilise le nombre de variétés, il faut aussi, selon Donald Duvick, noter qu’aujourd’hui les agriculteurs ont au moins 3 sources de diversité :

  • La diversité dans le temps, illustrée par le changement séquentiel de variétés par l’agriculteur, la mise en marché régulière de nouvelles variétés par les sélectionneurs, et la rotation des cultures ; en France, la durée de vie moyenne des variétés d’espèces agricoles et potagères n’excède pas 15 ans.
  • La diversité en place qui, pour une même culture, concerne la culture en mélange de différentes variétés ou la culture de variétés différentes sur les parcelles de l’exploitation.
  • La diversité en réserve, qui correspond aux milliers de variétés expérimentales, au grand nombre de matériels très divers des pools de sélection, et aux banques de gènes ex situ et in situ.

Pool de gènes, indicateurs généalogiques et évolution variétale

Autrefois, la sélection était faite par les agriculteurs, dans des pools de gènes limités au disponible dans le village ou dans la région. Olivier de Serre conseillait de changer de semences régulièrement : « prendre du blé du voisin pour semer n’est pas le changement que j’entends, car se serait toujours en revenir là, que de semer comme du votre propre : mais il faut en envoyer quérir loin de vous, une ou deux journées, afin que la diversité […] vous satisfasse en cet endroit ».

La situation a changé drastiquement depuis le développement de l’amélioration des plantes, fin XIXe, avec l’extension de l’hybridation et, par exemple, la commercialisation du premier blé hybrid Dattel en France.

Les croisements, d’abord intraspécifiques, ont ensuite été étendus aux espèces apparentées, puis à tout le monde vivant grâce à la transgénèse. Concernant les indicateurs généalogiques classiques, quelques exemples montrent l’évolution récente :

En France, les sélectionneurs devaient donner l’information sur les parents des variétés qu’ils souhaitaient inscrire au Catalogue national des variétés commercialisables. Le nombre de parents utilisés dans les programmes de sélection, comparés au nombre de variétés inscrites, a été relativement stable entre 1930 et 1960, mais s’est significativement accru dans les années 1970 et 1980.

En 1995, un chercheur du CYMMIT a effectué une approche de la diversité des blés en Inde et aux États Unis, pour juger de la diversité des cultures dans chaque pays.

La comparaison pondérée calculée, tenant compte du coefficient de parenté des variétés inscrites et de la part de marché des variétés les plus cultivées, démontre que les options des agriculteurs ont une très grande importance sur la diversité, mais qu’il n’y a pas perte de diversité des variétés disponibles.

Une étude de l’évolution du pedigree d’hybrides de maïs cultivés dans le Corn belt des États-Unis entre 1930 et les années 1990, montre l’apparition régulière de nouveaux parents : 35 % dans les années 1940, 36 % dans les années 1960, et 20 % dans les années 1980, avec augmentation des parents d’origine exotique et disparition de parents utilisés les années antérieures ; le coefficient de parenté est resté très bas jusqu’aux années 1960, de l’ordre de 0,05 % puis a cru pour atteindre 0,17% dans les années 1990. De même, de nombreuses autres études montrent l’absence de perte de diversité généalogiques pour beaucoup espèces.

Il est donc possible de dire qu’il n’y a pas eu de pertes de diversité génétique au cours des cent dernières années du fait de l’amélioration des plantes.

Il faut cependant encourager les agriculteurs à utiliser plusieurs variétés différentes sur leurs exploitations, et ainsi contribuer à améliorer la diversité en place, telle que la définissait Donald Duvick.

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