« C’est maintenant qu’il faut dire non » à l’accord UE/Mercosur


TNC le 04/06/2025 à 16:32
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Alain Carré, Patrick Bénézit, Jean-François Guihard et Franck Laborde, ont mis en avant les impacts de l'accord UE/Mercosur sur leurs filières devant les députés, le 4 juin, à l'Assemblée nationale. (© TNC)

L’accord entre l’Union européenne et les pays du Mercosur peut encore être refusé, estiment des députés et les représentants des principales filières agricoles concernées, à quelques jours de la visite du président brésilien en France. Signé en l’état, le texte menace en effet directement le modèle agricole français et particulièrement l’élevage bovin allaitant.

« Cet accord aura un impact structurel massif et durable sur l’ensemble de nos filières agricoles, aucun maillon ne sortira indemne », a rappelé le président d’Interbev, Jean-François Guihard, devant des députés de tous bords réunis le 4 juin à l’initiative de l’ancien ministre de l’agriculture, Stéphane Travert (EPR).

L’opposition unanime entre responsables agricoles et parlementaires doit permettre, en amont de la visite du président brésilien Lula en France, de « mettre la pression dans le tube », explique ainsi le député de la Manche. « C’est maintenant qu’il faut dire non », abonde Jean-François Guihard. Si les représentants des filières agricoles demandent à ce que la France exerce son droit de veto, l’objectif français est de constituer une minorité de blocage au niveau européen.

Une guerre tarifaire américaine qui rebat les cartes

Pour être atteinte, cette minorité de blocage doit rassembler au moins quatre Etats membres du Conseil, représentant plus de 35 % de la population de l’UE. Un objectif non loin d’être atteint, mais l’élection de Donald Trump et la guerre tarifaire qu’il a relancée ont « altéré certaines formes de ralliement et de convergences », explique l’économiste Thierry Pouch. Certains pays, initialement opposés à l’accord UE/Mercosur, préfèreraient finalement accélérer les accords bilatéraux pour contrebalancer les difficultés à pénétrer le marché états-unien.

En parallèle, l’Union européenne reste intéressée par les produits miniers dont le Brésil et l’Argentine sont bien dotés. En matière agricole, l’enjeu pourrait aussi être de favoriser un approvisionnement extérieur en viande bovine afin d’en réduire le coût, et de délocaliser les émissions de gaz à effet de serre (sans pour autant les réduire), explique Thierry Pouch.

Un impact direct sur les filières agricoles

Le volet agricole de l’accord prévoit en effet des contingents concernant essentiellement des produits à haute valeur ajoutée. Il permettrait ainsi l’entrée dans l’UE de 100 000 tonnes de viande bovine à droit réduit. « Ce serait forcément 100 000 tonnes d’aloyau », morceaux particulièrement prisés par la restauration hors domicile, dénonce Patrick Bénézit, président de la Fédération nationale bovine et vice-président d’Interbev. La concurrence serait d’autant plus rude pour la filière française que les coûts de production sont de 20 à 30 % inférieurs dans les pays du Mercosur, et que « tout ce qui est autorisé chez eux est interdit chez nous », insiste Patrick Benezit, évoquant par exemple les activateurs de croissance, mais également l’absence de normes de bien-être animal. Pour Thierry Pouch, « la menace sur ces productions bovines françaises, réputées pour leur qualité, est bien réelle, avec des répercussions sur les effectifs d’éleveurs, le maintien du cheptel, l’activité économique et sociale dans territoires ruraux ». Pour cette raison, accélérer le travail d’évaluation ex ante s’avère selon lui nécessaire.

La filière bovine ne serait pas la seule impactée par la signature de l’accord, qui prévoit l’entrée sur le territoire de l’UE de 180 000 tonnes de volaille à droits nuls, essentiellement du filet de poulet, mais également 650 000 tonnes d’éthanol (dont 450 000 à droits nuls) et 190 000 tonnes de sucre « dans un marché mature qui ne bouge plus. Ces volumes vont venir en Italie, en Espagne, au Portugal, qui sont historiquement des bassins que la France alimentait », déplore Alain Carré, président de l’AIBS, pour qui la perte représenterait la fermeture d’une usine française.

Et si, avec un contingent supplémentaire de 3,5 Mt de maïs, la filière céréalière pourrait sembler moins concernée, c’est loin d’être le cas, dénonce Franck Laborde, président de l’AGPM. Au Brésil, « 95 % du maïs est OGM », sans compter que « 77,5 % des produits phytosanitaires utilisés pour la production de maïs sont interdits en France. Cela implique un coût de production totalement différent », explique-t-il. « Nous ne pouvons pas lutter », ajoute-t-il, alors que la filière française a déjà perdu 500 000 ha de maïs en 10 ans.  

Clauses de sauvegarde, mesures miroirs

Pour autant, les représentants des filières défendent les accords internationaux, mais prônent un libre-échange « équitable et durable », rappelle Jean-François Guihard. Des clauses de sauvegarde pour l’agriculture doivent être obtenues par pays, demandent les députés et les responsables agricoles.

En parallèle, de vraies mesures miroirs sont nécessaires. Face à la difficulté de mettre en œuvre contrôles et sanctions, le député de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier (Socialistes et apparentés) avance l’idée de l’inversion de la charge de la preuve. Les importateurs sont « de gros opérateurs internationaux, qui ont largement les moyens de financer une certification. C’est une question de volonté politique », explique-t-il.