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G. Hemeryck, président de Terre de lin

Pour la filière lin fibre, « la crise pourrait durer trois à cinq ans »


TNC le 25/05/2020 à 09:00
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Pour les prochains semis, la coopérative Terre de lin a appelé ses producteurs à baisser de moitié les surfaces de lin, par rapport à la référence des surfaces 2016-2017-2018. (©Laurent Cazenave et CELC)

Avec le coronavirus et le confinement, plusieurs filières agricoles ont été fortement fragilisées par des changements de consommation et des perturbations des flux de marchandises. Parmi elles, celles du lin fibre. Si la crise pourrait « durer 3 à 5 ans », Guillaume Hemeryck, président de la coopérative Terre de lin, note l'importance « d'une mobilisation de toute la filière, pour cette fibre pleine d'atouts, en phase avec les attentes sociétales ».

Alors que les surfaces de lin fibre étaient en hausse à chaque récolte en Europe (+ 100 % en 10 ans), que les débouchés chez les filateurs asiatiques étaient toujours en croissance et que des filateurs européens réorganisaient à l’échelle locale leur outil de production pour structurer un écosystème local, le Covid-19 est venu stopper la croissance commerciale du lin », indique le Comité interprofessionnel de la production agricole du lin (Cipalin). « Avant le début de la crise, on était sur une consommation de 150-180 000 tonnes de fibres de lin chaque année, aujourd’hui on est quasiment à zéro », précise Guillaume Hemeryck, président de la coopérative Terre de lin, située en Seine-Maritime et dans l’Eure.

Le paramètre le plus important aujourd’hui pour la filière, « c’est la reprise de la consommation, qui, pour l’heure, reste la grande inconnue. Va-t-on retrouver la dynamique que l’on avait ? Est-ce qu’il va y avoir des rattrapages dans les achats de vêtements en lin à l’échelon mondial ? Il est important de souligner que, si la production est située dans le nord-ouest européen, la filière est internationale avec une première transformation basée à 80 % en Chine, une deuxième transformation notamment au Bangladesh, et la consommation finale partout dans le monde. C’est le fait que 180 pays aient été confinés en même temps, qui explique un arrêt si brutal ».

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Quelles conséquences pour les producteurs de lin  ?

Chez Terre de lin, « 70 % de la production 2019 restait à teiller avant le début du confinement. Les usines ont repris leur activité dès le 11 mai, mais à rythme modéré. On ne connaît pas le rythme de teillage d’ici septembre, mais il ne sera certainement pas celui d’avant… Cela implique donc des reports de stockage chez les producteurs, qui n’étaient pas prévus ». Certains vont donc devoir louer des bâtiments ou s’organiser avec des voisins, etc.

« Pour réduire la durée de la crise, l’adaptation des rythmes de teillage et le report des pailles devront également être accompagnés d’une réduction drastique des surfaces en 2021 », assure Guillaume Hemeryck. Pour les prochains semis, la coopérative Terre de lin a donc d’ores-et-déjà appelé ses producteurs à baisser de moitié les surfaces de lin, par rapport à la référence des surfaces 2016-2017-2018. En moyenne, cela signifie que les surfaces de lin vont sûrement baisser de plus que ça, puisqu’elles ont augmenté d’environ 10 % en 2019 et de 15 % en 2020, ajoute le président de Terre de lin. Si les prochaines récoltes sont moyennes, Guillaume Hemeryck pense que la réduction des surfaces devra être suivie sur deux ou trois années.

Cela remet en cause beaucoup de choses dans les assolements et au-delà, dans la logique globale des exploitations agricoles. Avec un quart de son assolement en lin, Guillaume Hemeryck estime « une diminution de moitié de l’EBE » de son exploitation, avec des hypothèses de prix plutôt basses. Cela entraîne d’autres questions sous-jacentes pour les années à venir, notamment pour les investissements des exploitations,  l’occupation des salariés agricoles…

Rester mobilisés pour une filière aux multiples atouts

Face à ce contexte, la coopérative entend accompagner les producteurs en termes de coûts de production, via des acomptes. Des discussions sont également en cours avec les banques. « Les retards de trésorerie vont toutefois être importants pour les exploitations, d’autant plus qu’il n’y a pas que cette filière qui est impactée. On ne mesure pas, pour le moment, toutes les conséquences du Covid-19 sur les exploitations agricoles », note Guillaume Hemeryck, lui-même éleveur allaitant.

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Il pointe l’importance d’avoir un « discours de vérité : il faut se préparer, ça va être compliqué. […] J’espère faire partie des plus pessimistes en disant que la crise va durer au moins trois à cinq ans. […] Il est nécessaire aussi de rester mobilisés, et de garder la motivation de tous les producteurs, les salariés, représentants du savoir-faire de la filière lin ».  Surtout que cette fibre dispose « d’un potentiel important face aux attentes sociétales ». Le lin ne nécessite, en effet, aucune irrigation, sa culture utilise peu d’intrants et l’ensemble des co-produits issus de sa transformation sont utilisés et recyclables. Face à cette crise, la promotion du lin, qui était déjà un très grand enjeu au niveau interprofessionnel notamment, le devient donc encore plus aujourd’hui.

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