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Guerre en Ukraine

L’économie russe est « touchée, mais pas coulée »


TNC le 17/04/2024 à 10:00
RoubleRussie

L'économie russe et son système financier restent relativement vulnérables, explique Julien Vercueil, "avec une inflation élevée et un rouble faible" (© Yevgeniy, AdobeStock)

Entre actions de la puissance publique et nouvelles alliances, comment l’économie russe s’est-elle adaptée à la situation de guerre et aux sanctions occidentales ?

Quelle est la situation économique de la Russie depuis qu’elle est entrée en guerre contre l’Ukraine, le 24 février 2022, et se trouve confrontée aux sanctions occidentales ?

« Quand on pose la question aux entreprises russes, elles disent à peu près aux deux tiers que oui, elles sont touchées par les sanctions », indique Julien Vercueil, vice-président de l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales). Il intervenait le 20 mars lors d’une matinée d’échanges organisée par Intercéréales sur le thème de « la menace russe ».

Si l’économie russe a été impactée à la fois par la guerre et par les sanctions, « elle n’a pas sombré », résume-t-il.

En hausse de presque 5 % en 2021, le PIB russe a baissé de 2 % en 2022 puis grimpé de 3,5 % en 2023 – « quand vous partez d’une situation de récession, l’année d’après il y a nécessairement une reprise économique ». Les prévisions pour 2024 tournent autour de + 2 ou + 2,5 %, un niveau « plutôt favorable pour les équilibres budgétaires ».

L’économiste souligne un impact en trois temps de la guerre sur l’économie russe. D’abord une courte phase de déflagration, pendant laquelle les activités économiques ont été comme sidérées : plus d’investissements ni d’échanges, gel des opérations, plongée du rouble, exportations de capitaux à des niveaux inédits.

Puis la remobilisation : « L’économie de guerre se met en route, les entreprises et les ménages sont invités de plus en plus fermement à se mobiliser pour répondre aux nouvelles conditions créées par la guerre et les sanctions. ».

Se superposant à cette mobilisation, est venue la phase d’érosion : certains secteurs ne retrouvent pas leurs niveaux d’activité d’avant-guerre.

Des mesures pour atténuer le choc monétaire et financier

Il insiste sur le rôle central qu’a eu la puissance publique pour limiter les dégâts.

Au début de la guerre, la Banque centrale russe a ainsi mis en place des mesures de coercition pour « stopper l’hémorragie de devises hors de Russie, qui menaçait d’emporter complètement son système financier » : hausse des taux d’intérêt, fermeture des marchés financiers, instauration de contrôles d’échanges.

L’État a massivement soutenu les secteurs clés (financier, industriel) risquant d’être affectés par les sanctions, en réquisitionnant des entreprises du secteur privé et en instaurant tout un arsenal législatif anti-sanctions, « permettant par exemple de légaliser les importations parallèles ».

Il continue aujourd’hui son effort de soutien à l’activité économique « par la commande publique et par une politique de revenus qui permet de soutenir la consommation. » Pour autant, « l’économie russe et son système financier restent relativement vulnérables », avec une inflation élevée et un rouble faible.

Si bien qu’on peut se demander si l’État russe sera capable de continuer à l’avenir les actions qu’il a menées jusqu’ici. Le soutien à l’activité économique s’est fait au prix de déficits budgétaires mensuels qui se succèdent depuis mi-2022.

« On est arrivé aux limites de la composition du fonds de réserve qui permettait de financer le déficit budgétaire, explique Julien Vercueil. […] Ça amène les autorités à imaginer un plafonnement des dépenses militaires ».

L’économie russe s’est réorientée vers l’Asie

Si la Russie a perdu « deux années de croissance vive », « il ne faut pas croire que son économie s’est repliée sur elle-même ». Le pays a continué d’échanger et a trouvé « comment bénéficier d’une rente pour alimenter son effort de guerre » : en se réorientant vers l’Asie.

Les échanges avec les pays occidentaux, notamment l’Union européenne, se sont de fait « considérablement réduits dans tous les secteurs, y compris les secteurs non sanctionnés ». Mais ils se sont maintenus avec la Chine et fortement développés avec l’Inde.

En 2022, l’Inde a importé douze fois plus de pétrole brut russe qu’en 2021.

À la fois car elle profite du discount consenti par la Russie à ses acheteurs de pétrole et l’utilise pour sa consommation nationale. Mais dans le même temps, « elle fait tourner à fond ses raffineries pour transformer le pétrole russe et le réexporter… notamment aux Européens et aux Américains ! ».

La Chine a de son côté amplifié ses importations de gaz par le gazoduc Force de Sibérie, mais « ne l’utilise pas à pleine capacité pour ne pas se mettre en situation de dépendance trop importante vis-à-vis de la Russie ». Elle lui fournit en revanche des produits – composants, voitures — dont elle manque à cause de l’arrêt des relations avec l’Europe.

L’importance des prix internationaux du pétrole

La physionomie de l’économie russe de demain dépendra du rôle de l’Asie, présage Julien Vercueil. Mais aussi des prix internationaux du pétrole, qui déterminent la rente pétrolière de la Russie et qu’elle ne maîtrise pas. D’où son intérêt à maintenir de bonnes relations internationales !

Notons qu’entre début 2022 et début 2023, l’Inde et la Chine se sont substituées de façon quasi parfaite à l’Europe dans les volumes de pétrole exportés par la Russie.

Quant au secteur agricole, qui représente 9 à 9,5 % de la population active du pays, il pèse et pèsera fortement dans l’évolution de son économie : « Quand on a une bonne récolte, ça aide la croissance économique interne ». Sans compter les recettes d’exportations : « Depuis quelques années, la Russie exporte globalement plus en matière agricole qu’elle n’importe ».

Le secteur est d’autant plus perçu comme crucial par les autorités russes « qu’il doit servir de base à la montée en puissance de l’industrie agro-alimentaire, laminée dans les années 90 et qui cherche à se reconstruire depuis 2005-2006 », avance le spécialiste.

« Les attentes concernant les sanctions, par certains, étaient excessives », conclut-il : « L’économie russe, comme le reste du monde, s’adapte à la guerre et aux sanctions ». Pour les autorités qui conçoivent ces sanctions, tout l’enjeu est donc « d’essayer de voir comment réduire ces facultés d’adaptation ».