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Alimentation ou climat ?

Le paradoxe des notations environnementales


AFP le 18/12/2020 à 11:18

Faudra-t-il un jour choisir entre ses préférences alimentaires et ses convictions climatiques ? Si rien ne change, un poulet industriel élevé en cinq semaines pourrait obtenir une meilleure notation environnementale sur une application de type Yuka qu'un poulet au grain élevé en plein air.

Cette semaine, éleveurs, associations écologistes et de consommateurs se sont élevés ensemble contre le projet du gouvernement de notation environnementale destinée à faciliter l’aiguillage des consommateurs vers des produits « respectueux de l’environnement », trop favorable selon eux à l’élevage intensif et industriel.

Le projet de « score carbone », annoncé lundi par Emmanuel Macron devant la Convention citoyenne sur le climat sous le terme global de « Yuka du carbone », précédé d’un « ecoscore » appliqué uniquement au secteur agroalimentaire, « favorise de manière aberrante l’agriculture intensive » sans prendre en compte les « externalités positives » des systèmes d’élevage extensifs », indiquent 17 organisations de défense de l’environnement (Greenpeace, Générations Futures, Agir pour l’environnement, Justice Pesticide..), de consommateurs (UFC Que Choisir), bien-être animal (CIWF), ainsi que l’intégralité de la filière de production biologique française (Fnab, Synabio, NatexBio, BioConsommacteurs) et le syndicat agricole Confédération paysanne.

Même son de cloche du côté de l’interprofession de la viande Interbev qui réunit éleveurs, abatteurs et transformateurs industriels du secteur : elle tire « la sonnette d’alarme sur les incohérences de systèmes d’évaluation environnementale incomplets et sources de confusion pour les Français ».

D’ordinaire opposés sur le plan idéologique, les deux blocs se rejoignent dans leur mise en cause d’une banque de données publique Agribalyse, permettant aux opérateurs économiques de proposer un « affichage environnemental des produits basé sur la méthode d’analyse du cycle de vie ».

Cette méthode mise au point par l’industrie « pénalise très fortement les produits issus d’élevages herbagers ou de l’agriculture biologique » et « ne prend pas correctement en compte les atteintes à la biodiversité et l’impact des pesticides », disent-ils.

Or, cette banque de données servirait de base aussi bien à « l’ecoscore » qui devrait entrer en test début 2021 en vue d’un futur étiquetage environnemental des produits alimentaires, qu’au système de notation surnommé « Yuka du carbone », beaucoup plus large, annoncé par Emmanuel Macron.

Le « cycle de vie » en question 

Interbev et les autres organisations « demandent au gouvernement de corriger au plus vite, en suspendant la publication de cette base de données, tant que la méthode est incomplète ».

Tout part de « l’analyse du cycle de vie », ce procédé mis au point par l’industrie pour quantifier et objectiver l’impact d’une production sur l’environnement et le climat. Elle consiste à additionner les impacts environnementaux négatifs tout au long du cycle de production, pour les rapporter au kilogramme de produits. Mais celle-ci présente un « biais majeur » selon les opposants, « en favorisant les cycles de production les plus courts, donc les plus industriels  ».

Avec ce système, une viande « issue de parcs d’engraissement intensif américains affiche un meilleur score environnemental qu’une viande issue de bovins pâturant sur de grandes surfaces de prairie qui stockent du carbone et protègent la biodiversité ! », s’émeut Interbev. Car la méthode ne monétise pas les impacts positifs ou « services rendus » à l’environnement par une agriculture vertueuse : entretien des prairies, stockage du CO2, moindre utilisation de pesticides, etc.

Très concrètement, constatait récemment un éleveur auprès de l’AFP, un poulet standard à croissance rapide, élevé pendant 35 jours en bâtiment, présente une « efficacité alimentaire bien supérieure » et donc un meilleur bilan carbone qu’un poulet Label rouge ou bio, qui a accès au plein air et nécessitera « deux fois plus d’aliments et de temps pour faire ses deux kilos ».

Le ministre de l’agriculture Julien Denormandie a également noté le paradoxe, cruel pour les éleveurs traditionnels qui conservent des exploitations à taille humaine et une large utilisation de prairies naturelles.

« Quand vous prenez aujourd’hui les différentes méthodologies sur les bilans carbone, on se rend compte que parfois le bilan carbone d’un élevage de vaches en Argentine, du fait de son côté très intensif, est meilleur, y compris avec le transport, que le bilan carbone d’une production locale française » a-t-il remarqué récemment.