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Filière laitière

L’après-confinement ravive les crispations autour du prix du lait


AFP le 02/07/2020 à 15:09
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«  On est toujours mis devant le fait accompli. Le prix du lait, on le subit », reproche Loïc Chauvin, qui accueillait jeudi dans sa ferme une conférence de presse de son syndicat pour « dénoncer les décisions ravageuses et arbitraires des industriels du lait ». (©Pixabay)

« Le Covid a bon dos... » Les baisses de prix subies au printemps font grincer les éleveurs laitiers. Ils reprochent aux industriels de s'affranchir, à la faveur de la pandémie, de l'esprit de la loi Alimentation qui devait stabiliser leurs revenus.

Dans sa ferme mayennaise d’Andouillé, Loïc Chauvin brasse ses papiers pour retrouver les chiffres. L’éleveur qui livre la coopérative Sodiaal veut être précis – « Ça donne force à nos revendications », dit cet adhérent de la Confédération paysanne, à la tête d’une exploitation de 35 vaches. En juin, la majeure partie du prix du lait payé par sa coopérative (le « prix A ») a reculé de 7 euros les 1 000 litres sur un an. L’autre partie (le « prix B », lié aux fluctuations des marchés mondiaux) a flanché de 67 euros. Déstabilisation de l’export, mise à l’arrêt des restaurants et du tourisme… La crise sanitaire a déclenché un vent de panique en plein pic de production printanier. Les éleveurs ont été incités à réduire les volumes – en échange d’une indemnisation de l’interprofession qui va dépenser 15,28 millions d’euros. Et des baisses de prix ont été appliquées.

«  On est toujours mis devant le fait accompli. Le prix du lait, on le subit », reproche Loïc Chauvin, qui accueillait jeudi dans sa ferme une conférence de presse de son syndicat pour « dénoncer les décisions ravageuses et arbitraires des industriels du lait ». Ce sont des propos d’Emmanuel Besnier, patron du géant laitier Lactalis, qui ont attisé la fronde. Devant des journalistes, il estimait début juin que le prix payé aux éleveurs s’orientait vers « une baisse en moyenne » en 2020. Il précisait que cela dépendrait des cours mondiaux – qui ont plongé avant de se redresser en mai – mais aussi des négociations avec les acteurs de la grande distribution soucieux de mettre en avant la défense du pouvoir d’achat des consommateurs, mis à mal par la pandémie de Covid-19. « Révoltant !!! » a réagi sur Instagram, dans un message approuvé des milliers de fois, l’acteur Guillaume Canet, qui incarnait un éleveur plongé dans l’enfer du surendettement jusqu’au suicide, dans le film « Au nom de la terre ».

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« Vieilles habitudes » 

« La volonté du groupe n’est pas de baisser les prix payés aux producteurs », assure Lactalis à l’AFP, soulignant que « ce prix est fixé en accord avec les organisations de producteurs dans le cadre de contrat ». Chez le n°1 français comme chez ses concurrents (Danone, Savencia, Sodiaal, Eurial….), les prix sont généralement élaborés selon des formules complexes intégrant les cours mondiaux. La loi Alimentation (ou Egalim), promulguée fin 2018, impose de tenir compte aussi des coûts de production des éleveurs.

Ce principe a été oublié avec le Covid-19, estime Christine Lairy, directrice de l’OPLGO, une organisation de producteurs livrant Lactalis dans le Grand Ouest, et qui n’a pas trouvé d’accord avec le groupe. « À la première crise, les producteurs ne sont pas protégés », souligne-t-elle. « Des entreprises ont pris peur et sont retombées dans de vieilles habitudes en mettant de côté la co-construction du prix » avec les éleveurs, « ce n’est pas normal », juge aussi Thierry Roquefeuil, président de la FNPL, branche des éleveurs laitiers de la FNSEA, mais aussi président de l’interprofession, le Cniel, qui rassemble producteurs, transformateurs et distributeurs.

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«  Il faut casser le schéma où c’est systématiquement le producteur qui paie au bout », juge-t-il, estimant toutefois que sans la loi Egalim « certains auraient encore plus cartonné le prix du lait ». Des députés, dont l’ancien ministre de l’agriculture Stéphane Travert qui avait porté la loi, ont estimé cette semaine qu’il fallait la renforcer devant la « guerre des prix » qui s’annonce.

Du côté de la Fédération nationale des industries laitières, son directeur Jehan Moreau reconnaît au printemps un « fléchissement des prix du lait sur l’ensemble des opérateurs laitiers français ». Il est toutefois « trop tôt pour en tirer un bilan sur l’année », souligne-t-il. «  Je pense qu’on a passé le creux, on repart à la hausse », dit Daniel Chevreul, directeur des approvisionnements laitiers chez Savencia. Économiste à l’Institut de l’élevage, Gérard You constate que le marché du lait est aujourd’hui « relativement stabilisé ». Mais « reste prudent » : « On a du mal à se dire qu’il n’y aura pas d’effet tôt ou tard. »