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Commercialisation des céréales

La Russie veut chasser le blé français des fournils algériens


AFP le 11/10/2018 à 11:17
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Les boulangers algériens vont-ils dire adieu au blé français ? Meilleur marché, riche en protéines, d'une qualité sanitaire en constante amélioration, l'ambitieux épi de blé russe s'est rappelé ces derniers jours au bon souvenir des paysans français sur le débouché crucial de l'Algérie.

« Mohamed Belabdi, directeur de l’OAIC, autorité publique algérienne des achats de céréales, a confirmé que l’Algérie est grandement intéressée par l’importation de blé russe » : cette affirmation, qui inquiète depuis fin septembre les exportateurs français, provient du ministère russe de l’Agriculture. Selon Moscou, les Algériens, dont une délégation venait de se rendre sur place, doivent prendre une décision « basée sur les résultats de l’étude d’un lot d’essai de blé qui sera prochainement envoyé en Algérie ». De quoi faire tousser les agriculteurs français : l’Algérie est, de loin, leur premier débouché à l’exportation, avec près de la moitié des épis expédiés hors de l’Union européenne. Si elle n’a pas tout à fait repris ses positions d’avant la récolte catastrophique de 2016, la France a tout de même exporté vers l’Algérie près de 4,3 millions de tonnes de blé en 2017/2018, selon des chiffres de France Export Céréales.

« Il faut qu’on ait toujours une longueur d’avance sur le plan qualitatif, sinon, on se fera prendre des parts de marché », estime Philippe Pinta, président de l’AGPB (producteurs français). « Le nettoyage, pour nous, c’est un des points les plus sensibles et les plus difficiles aujourd’hui, parce que les clients sont très attentifs à avoir du blé le plus nettoyé possible », débarrassé des poussières et autres impuretés, explique-t-il.

Un cahier des charges jusqu’à présent favorable aux blés français

À l’heure actuelle, le cahier des charges fixé par l’autorité algérienne protège les blés français. À l’inverse des épis russes, ils sont généralement épargnés par la punaise des blés qui, en piquant le grain, dégrade ses propriétés de panification. Mais ce verrou pourrait sauter, à en croire Pierre Duclos, président d’Agri Trade Consulting : « il y une autorisation maximale de 0,10 % (de grains punaisés) dans le cahier des charges de l’OAIC et les blés russes sont en général entre 0,50 et 0,70 % alors qu’ils étaient par le passé plutôt entre 1 et 1,50 % », explique-t-il.

« La distance qui séparait les qualités s’est en quelque sorte réduite. Est-ce que c’est une tendance durable ou la conjonction d’événements passagers, on n’en sait trop rien », ajoute Pierre Duclos. Alors, le blé russe va-t-il conquérir les fournils algériens ? « À court terme, je n’y crois pas », tempère P. Duclos, qui reconnaît néanmoins qu’il jouit d’un avantage de taille, un prix actuellement d’environ 20 dollars la tonne moins cher, « soit 8 à 10%, ce n’est pas négligeable ».

L’Algérie veut du blé moins cher 

Il relève également que le voyage de la délégation algérienne, outre la volonté de poser « un diagnostic plus précis sur la qualité russe » et de répondre à une visite des Russes au printemps, pourrait « mettre un peu la pression sur la psychologie du marché », et donc sur les prix français.

« L’adaptation de l’offre russe au cahier des charges algérien, par une meilleure segmentation, est une menace sérieuse pour les opérateurs français, a confirmé Rémi Haquin, président du conseil spécialisé Céréales de Franceagrimer, mercredi 10 octobre, à l’issue de la réunion mensuelle du conseil.

En revanche, il écarte l’hypothèse selon laquelle l’Algérie pourrait revoir son cahier des charges à la baisse : « l’OAIC et le gouvernement algérien ont plus intérêt à attendre que le progrès qualitatif permette aux blés russes de rentrer dans leur cahier des charges tel quel plutôt que de prendre le risque d’avoir un retour médiatique sur une modification de leur cahier des charges vers le bas », estime P. Duclos.

« L’enjeu pour les Russes est de montrer que le blé russe a gagné en qualité et correspond à ce cahier des charges très exigeant », renchérit pour sa part un autre bon connaisseur du secteur. Il estime que l’Algérie, dont l’économie reste fragilisée par une grande dépendance aux fluctuations des hydrocarbures, « a besoin de diversifier ses fournisseurs et d’acheter moins cher » son blé.

Preuve en tout cas que le ministère des Affaires étrangères prend la menace au sérieux : début septembre, le secrétaire d’État au Commerce, Jean-Baptiste Lemoyne, a annoncé à la filière céréalière qu’il se rendrait au premier trimestre 2019 en Algérie.