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Production de blé

La Russie vers une seconde meilleure récolte de son histoire ?


TNC le 02/07/2020 à 06:02
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La Russie devrait connaître cette année la seconde meilleure récolte de blé de son histoire. (©Pixabay)

75, 80, 85 Mt... Qui dit mieux ? La fourchette des prévisions pour la prochaine récolte de blé russe est relativement large, chacun y allant de son pronostic. Rien d’étonnant pour Nathan Cordier, analyste au cabinet Agritel. Bien que les chiffres s’affinent, « c’est une fois que les moissonneuses-batteuses seront dans les champs que l’on s’apercevra réellement du potentiel ». Une bonne ou mauvaise surprise - selon le point de vue - n'est pas à exclure.

Comme chaque année à l’approche de la moisson, les perspectives de production de blé tendre en Russie sont scrutées avec attention, tant le pays de Poutine pèse sur le marché des grains. Pour cette moisson 2020 et la campagne de commercialisation 2020/2021, le ministère russe de l’agriculture est le moins optimiste, pour le moment. Il s’attend à une production nationale de 75 Mt.

L’USDA vise un peu plus haut : 77 Mt. Un niveau similaire à celui qu’avance Agritel : 77,5 Mt. Le cabinet de conseil Ikar a augmenté ses prévisions et table sur 79,5 Mt. SovEcon a même osé s’aventurer au-delà des 80 Mt tout au long de la campagne. Le cabinet a encore augmenté son estimation à la mi-juin et parie désormais sur une récolte à 82,7 Mt.

Un hiver particulièrement doux, avec des niveaux de précipitations corrects, a fourni de très bonnes conditions pour l’hivernage des céréales d’hiver dans la majeure partie de la Russie. Mais la sécheresse qui a sévi dans les principales régions exportatrices en mars et avril a donné des sueurs froides aux agriculteurs russes (et provoqué l’enthousiasme de leurs homologues français). À présent, une large partie des opérateurs s’accordent sur une chose : la sécheresse n’a finalement pas dégradé tant que ça le potentiel des cultures.

Rendements et surfaces en hausse

« La sécheresse dans les principales régions d’exportation a atténué l’optimisme précoce après la douceur de l’hiver, mais les pluies de mai et juin ont inversé les principales préoccupations », indique un rapport de la Commission européenne.

Au final, les rendements du blé d’hiver russe devraient augmenter de 5,5 % par rapport à l’an dernier pour atteindre 3,59 t/ha, juste en dessous de la moyenne quinquennale située à 3,62 t/ha. Dans le détail, les rendements sont attendus en baisse par rapport à la moyenne quinquennale dans le sud du pays (- 7,1 %) et dans le Caucase du Nord (- 11 %). À l’inverse, ils devraient augmenter dans le centre (+ 10 %), dans le Nord-Ouest (+ 8,7 %) et la Volga (+ 5,1 %).

Si le rendement moyen remonte, c’est surtout la forte hausse des emblavements qui justifie l’augmentation de la production en 2020. Mais tout n’est pas encore certain. « Il y a des incertitudes sur les surfaces de blé d’hiver qui seront récoltées, mais aussi sur les emblavements de blé de printemps, qui ne sont pas encore tout à fait terminés », explique Nathan Cordier, analyste chez Agritel. Les conditions ont été bonnes et finalement, les agriculteurs auraient semé un peu plus qu’attendu.

« On parle quand même de 28 Mha de blé (printemps et hiver confondu). » La moindre variation de rendement prend tout de suite de l’ampleur. Sur une base de 28 Mt, faire varier le rendement rien que de 1 q/ha représente déjà une différence de 2,8 Mt.

Bonne ou mauvaise surprise ?

En Russie, « les niveaux de surfaces ne sont pas publiés officiellement ». Pour les estimer, les cabinets d’analyse comme Agritel réalisent des suivis sur place. « C’est du travail sur chaque région, explique Nathan Cordier. On regarde quelle est la tendance, on recoupe différentes données. »

Les analystes disposent aussi du suivi de l’avancée des travaux par le ministère de l’agriculture russe, qui leur donne des informations sur les surfaces de manière indirecte. Ce n’est pas comme en France par exemple, où chaque mois, Agreste, le service statistique du ministère de l’agriculture, publie son suivi des surfaces. « Nos contacts en Russie nous permettent d’avoir un retour terrain assez objectif et de ne pas se laisser influencer par ce qu’on peut lire parfois ». Les modèles météo sont très importants, mais pour l’expert, rien ne remplace un tour dans les champs.

Pour autant, « on travaille sur du vivant, alors il peut y avoir des surprises dans un sens comme dans l’autre. Si on se remémore l’an dernier, début juin, presque tous les opérateurs attendaient une récolte de 80 Mt et pourtant, on a fini à moins de 74 Mt ». Même chose en 2017 : « personne ne s’attendait à ce que la Russie récolte plus de 85 Mt ». Et la Russie est loin d’être le seul pays concerné par de tels écarts. « En 2016, quels opérateurs prévoyaient que la France enregistrerait une production de blé tendre à 27 Mt ? Je pense qu’on n’était pas beaucoup sur le marché. » Autre exemple : ce qui se passe en ce moment aux États-Unis. Maintenant que le pays est en plein dans la moisson des blés d’hiver, les rendements ressortent bien meilleurs qu’attendus, alors même qu’un « crop tour » avait été réalisé.

Ce n’est qu’une fois que la récolte aura réellement commencé que les chiffres pourront vraiment s’affiner. Bien que la moisson des blés d’hiver débute dans le sud de la Russie, les blés de printemps, qui se concentrent notamment sur la Sibérie, seront récoltés beaucoup plus tard. Globalement, « la récolte russe s’étend de début juillet à fin septembre – début octobre. »

Quelle concurrence avec le blé français ?

Alors que la Russie s’apprête donc à enregistrer la seconde meilleure moisson de son histoire, beaucoup de spécialistes se demandent si la situation ne risque pas de désavantager le blé français. « Avant de regarder la concurrence, il faut déjà regarder quel sera le disponible à l’export français et ce qu’on aura réellement à sortir », prévient Nathan Cordier. 

Ce n’est qu’ensuite qu’il faudra se situer sur l’environnement concurrentiel dans lequel évoluera la France. « Sur le début de campagne, les chargements français risquent d’être relativement faibles. » La Russie aura des volumes à sortir et sera probablement l’origine la plus compétitive sur des destinations comme l’Égypte ou le Maroc en début de campagne. Mais « la récolte française va potentiellement être sur son deuxième plus petit niveau de la décennie, ce qui signifie un faible disponible à l’export. » Il n’y aura donc pas de quoi s’affoler, selon lui, à voir des petits chargements au début. Un peu plus tard, une fois que le gros des volumes russes et ukrainiens seront sortis, le blé français trouvera bien évidemment une place à l’export.

Quant aux prix, le marché est en train d’intégrer l’importance de la récolte russe, et les prix à l’avenir dépendront notamment de « l’agressivité des russes à l’export ».

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