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Gestion et droit

La créance de salaire différé reste un sujet d’actualité


Olivier Augeraud, expert-comptable honoraire, consultant AGIRAGRI le 13/10/2021 à 12:48
combine harvester in action and transferring the seeds in the trailer of a tractor

(©Getty Images)

Anticiper le paiement à l'installation du descendant ou laisser la dette au passif de la succession. Deux stratégies sont possibles pour régler la créance de salaire différé.

Dans les entreprises familiales, la participation gratuite des membres de la famille aux travaux agricoles, caractéristique constante du secteur agricole depuis des siècles, reste encore d’actualité dans de nombreuses exploitations et ceci pour tous types de production.

Le décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française, a créé par son article 63, le contrat de salaire différé parmi de nombreuses autres mesures sociales de ce texte visant à encourager la natalité dans un contexte de décroissance démographique de la population française à contre sens de celui de son voisin germanique.

Dans la vision caractéristique de l’esprit de l’époque, le texte justifie ainsi, auprès du Président de la République, la création du contrat à salaire différé :

« Nous fondons les plus grands espoirs sur l’institution du contrat à salaire différé. L’égalité héréditaire entre les enfants, est un des principes fondamentaux de la Révolution française transcrits dans le code civil. Loin de nous l’idée de revenir sur une notion aussi juste et qui répond aussi pleinement au tempérament national ; mais, on ne peut manquer d’être frappé par l’injustice qui atteint les membres de certaines familles paysannes, comme le fils qui, demeuré aux côtés de son père à labourer les champs, a laissé ses frères et sœurs s’en aller chercher des emplois dans les villes voisines, a accru la propriété familiale, et se voit au jour de la mort certaine du père, obligé de partager, en parts égales, avec ses frères, une exploitation dans laquelle est en fait investi, le fruit de son travail.
Le partage des terres dans ces conditions risque d’amenuiser l’exploitation ; pour éviter cet inconvénient, les familles paysannes, restreignent le nombre de leurs enfants et tendent à devenir des familles à fils unique ? C’est là un grave danger pour la nation française. En prévoyant qu’un enfant demeuré à la terre, sur l’exploitation paternelle, doit être considéré comme ayant gagné une somme forfaitaire incluse dans le patrimoine commun et qui doit lui être attribué avant partage, nous prenons des dispositions justes et salutaires pour le pays ».

Si le motif démographique appartient au passé, le contexte de la transmission de l’entreprise agricole, reste lui, d’une brulante actualité.

Un strict champ d’application

Le dispositif dit de salaire différé, s’applique aujourd’hui :

  • Au descendant de l’exploitant qui a participé sur l’exploitation avec ses parents à sa mise en valeur sans aucune contrepartie autre que les avantages inhérents à la communauté de vie. Ce descendant (garçon ou fille) a droit, au décès de l’exploitant, à faire valoir une créance de « salaire différé » qui s’ajoute par suite, à ses droits dans la succession,
    – Ceci dans un souci d’équité entre lui et les autres enfants,
    – Et qui contribue au règlement le cas échéant, de la soulte due aux copartageants en cas d’attribution préférentielle de l’exploitation familiale à l’héritier exploitant.
  • Au conjoint survivant de l’exploitant ou de l’associé exploitant d’une société agricole, qui a participé à l’exploitation sans avoir perçu de rémunération (un calcul spécifique concerne ce cas).

D’ordre public, la créance de salaire différé constitue un bien propre, sans possibilité de renonciation du vivant de l’exploitant (la renonciation est possible après le décès pour tout ou partie du montant de la créance).

Les conditions d’existence du dispositif nécessitent donc un ascendant exploitant agricole ; le salaire différé n’est donc pas reconnu à un artisan rural, ni en cas d’exploitation sociétaire (sauf cas du Gaec selon certains auteurs et le cas du conjoint survivant de l’associé exploitant).

Si la créance de salaire différé n’est exigible qu’au décès de l’ascendant qui a la qualité d’exploitant et ne peut être revendiquée tant qu’un partage définitif n’est pas intervenu, le législateur a toutefois prévu une possibilité légale de règlement de la créance de salaire différé du vivant de l’exploitant. Il en est ainsi notamment lors d’une donation-partage mais aussi en cas de transfert de terres, de matériels, de cheptel ou de fonds agricole, de vente de l’exploitation avec imputation sur le prix, ou de donation.

Un travail effectif et non rémunéré

Il s’agit du descendant de l’exploitant et du conjoint marié du descendant s’il participe lui-même à l’exploitation. En cas de prédécès du descendant marié, son conjoint survivant qui a participé à l’exploitation, peut en bénéficier s’il a des enfants mineurs issus du mariage et tant que le plus jeune n’a pas dix-huit ans ou n’a pas achevé ses études dans un établissement d’enseignement agricole. En cas de divorce ou de séparation de corps prononcé contre lui, le conjoint perd son droit au salaire différé. Enfin, notons que les textes sont anciens et ne prennent pas en compte le cas des pacsés ou des concubins.

Ces bénéficiaires doivent être âgés de plus de dix-huit ans à l’époque de leur collaboration. Celle-ci suppose une participation directe et effective à l’exploitation (une participation exclusive n’est toutefois pas requise) et une absence de rémunération (salaire ou participation aux résultats).

Cette participation aux travaux ne se présume pas, il convient par suite, de réunir les preuves de celle-ci. Les parties pourront ainsi effectuer chaque année une déclaration en mairie, laquelle devra être visée par le Maire qui en donnera récépissé… à conserver !
La Cour de cassation a eu l’occasion récemment de confirmer sa position en matière de preuve (Cass. 1re civ., 13 avril 2016, n° 15-17316). Au cas d’espèce, elle exclut comme unique preuve d’une participation directe, effective et gratuite à l’exploitation familiale justifiant l’octroi d’un salaire différé, l’inscription à la MSA du descendant en tant qu’aide familiale.

Dix années au maximum

Pour chacune des années de collaboration à partir de dix-huit ans et dans la limite de dix années, le montant de la créance de salaire différé est égal à 2/3 x (2080 x smic horaire).
Exemple : X a travaillé sur l’exploitation viticole familiale de son père/mère pendant 55 mois à temps plein ; il avait plus de 18 ans.
Calcul en 2021 : (2/3 x 2080 x 10,25 €) x 4,58 années = 65 097 €.

Le paiement du salaire différé ne donne lieu à aucun droit d’enregistrement y compris lorsqu’il a lieu par dation en paiement ou attribution d’un immeuble dans le partage sauf taxes de publicité foncière. S’agissant de l’impôt sur le revenu, les sommes attribuées au titre d’une collaboration avant le 30 juin 2014 sont exonérées. Celles perçues après le 30 juin 2014 sont imposées à l’IRPP dans la catégorie des traitements et salaires.

Stratégiquement, deux solutions sont possibles en prenant en compte le rapport bénéfice / inconvénient : anticiper le paiement à l’installation du descendant ou laisser la dette au passif de la succession. Les conseils membres du groupement AGIRAGRI intégreront la créance / dette de salaire différé dans le cadre plus large, de la transmission de votre entreprise agricole, en privilégiant une démarche anticipatrice.

https://www.agiragri.com/

AGIRAGRI rassemble des cabinets d’expertise comptable et d’avocats indépendants, présents sur toute la France avec plus de 3000 collaborateurs dont près des 2/3 spécialisés en agriculture et viticulture. Leur objectif : accompagner les chefs d’exploitation dans leur stratégie d’entreprise. Pour les y aider, le groupement propose les meilleures compétences réunies, des outils inédits et des partenariats innovants.