Femmes en agriculture : encore des potentiels à libérer !
TNC le 08/03/2025 à 05:23
Depuis 2010 en effet, le nombre de cheffes d’exploitation stagne autour de 26 %. Des freins à l’installation et à l’exercice du métier d’agricultrice subsistent, financiers surtout, et d’accès à la terre et aux responsabilités. Pourtant, leurs compétentes sont indéniables. Pour preuve : leurs résultats technico-économiques avec, en plus, une prise en compte des questions sociales et environnementales. Pour libérer leur potentiel, elles ont tout intérêt à sortir de leur zone de confort. Points de vue d’agricultrices et d’actrices/acteurs du monde agricole à ce sujet, en cette Journée internationale des droits des femmes.
« 26 % de femmes cheffes d’exploitation : enlevons-nous ce chiffre de la tête ! », exhorte Anne Dumonet-Leca. Au Salon de l’agriculture, la présidente fondatrice de Vox Demeter (1) dresse en effet un « constat mitigé », lors de la table ronde « Libérer le potentiel des femmes en agriculture » organisée par l’association : « Certes, on compte 26 % de femmes cheffes d’exploitation mais depuis 2010, nous ne pouvons pas parler d’une plus grande féminisation de l’agriculture. On les voit davantage, mais elles ne sont pas plus nombreuses. »
(1) Association créée en 2022 pour « soutenir et accompagner la mixité entre les femmes et les hommes dans le monde agricole ».
Des cheffes d’entreprise différentes de leurs homologues masculins.
Par rapport aux autres domaines d’activité, le secteur agricole fait-il mieux ? « En fait, non », répond Anne Dumonet-Leca qui invite à s’appuyer plutôt sur les contributions effectives des agricultrices, qui peuvent être différentes que celles de leurs homologues masculins, que sur un chiffre. Faire évoluer les pratiques, innover, communiquer sur le métier auprès du grand public, développer des productions, des activités et des schémas diversifiés… : « ce sont des cheffes d’entreprise un peu différentes, plus tournées vers le bio, l’agroécologie, les circuits courts… avec un management plus transversal et intégrant davantage les problématiques sociales et environnementales », estime Gabrielle Dufour. « Ces contributions différenciées, là est désormais le sujet « femmes en agriculture ». »
« Moins de patrimoine, capitaux, prêts »
« Il est d’ordre entrepreneurial et doit être travaillé avec les hommes. » « Il y a plus aujourd’hui de sujet « femmes en agriculture », juge en outre la responsable communication d’Agridées, mais des défis de renouvellement des générations, de souveraineté alimentaire, etc. » Pour autant, elles se heurtent encore à des freins culturels, dès l’enfance, et structurels liés principalement au financement, et ce n’est pas spécifique au secteur. « En plus d’un accès plus difficile aux prêts, les femmes ont de manière générale moins d’argent, de patrimoine et de capitaux », fait remarquer Gabrielle Dufour.
S’acculturer à la finance, à l’entrepreneuriat.
En agriculture et de façon générale, « l’indépendance financière est le nerf de la guerre pour l’émancipation des femmes, le contrôle de leur vie, parce qu’elle leur permet de faire des choix libres qui sont respectés », appuie Anne-Laure Durand, agricultrice en Seine-et-Marne. C’est pourquoi elle les incite à suivre des formations en gestion du patrimoine, optimisation fiscale… pour faciliter leur « acculturation » à la finance, à l’entrepreneuriat.
S’ajoutent à cela des croyances limitantes, découlant d’un manque de confiance en elles. En résultent des freins psychologiques qu’elles se mettent parfois elles-mêmes, entretenus par les barrières culturelles et structurelles. D’où une « perte de potentiel » substantielle. Beaucoup trop pensent encore « je ne suis pas compétente, je ne vais pas y arriver ». « Le leadership, la prise de risque, caractéristiques associées à l’entrepreneuriat, sont plus naturellement présentes et cultivées chez les hommes », met en avant Gabrielle Dufour.
Plus formées que les hommes, les compétences, elles les ont !
« Le pouvoir se prend, ne se donne pas. Accéder aux responsabilités n’est pas non plus facile pour les hommes, il faut jouer des coudes, les femmes semblent en avoir moins envie », poursuit Stéphane Aurousseau, membre du bureau de la FNSEA et vice-président d’Agridemain. Pour lui, il faut leur laisser une place dans les instances décisionnelles agricoles et ne pas attendre qu’elles la prennent. « Nous veillons bien à ce que toutes les productions et zones géographiques soient représentées », argue-t-il. Le président de la commission nationale « statuts et conflits » entend proposer, au prochain congrès du syndicat, un quota minimal d’agricultrices dans les bureaux et CA d’OPA.
Proposition déjà émise en 2019, et qui n’avait pas été adoptée. « « Cette évolution doit être naturelle et non imposée, nous nous y engageons » m’avait-on opposé, explique l’agriculteur de la Nièvre. Force est de constater que cela n’a pas beaucoup avancé depuis. » Il insiste sur le côté transitoire de cette mesure, jusqu’à ce que l’intégration des femmes soit quelque chose d’acquis. D’autant qu’elles sont de plus en plus représentées dans l’enseignement agricole, même si les filières demeurent genrées, et que leur niveau de formation est souvent supérieur à celui de leurs homologues masculins. Alors « la peur d’un manque de compétences n’a pas lieu d’être ».
Performantes et résilientes
Sachant qu’il existe une corrélation entre mixité, performances économiques et résilience, comme le montre le baromètre des entreprises du Cac 40. Les productrices parviennent généralement mieux à concilier rentabilité et équilibre vie pro/perso. « Nos savoir-faire, techniques notamment, ne doivent plus être remis en cause. Nous réalisons le même travail que les agriculteurs ! », lance Anne-Laure Durand. Les avancées technologiques rendent le métier plus accessible, moins physique.
Concilier rentabilité et vie pro/perso.
« L’ergonomie de certains matériels mériterait cependant d’être revue pour les femmes », nuance Aude Geiger, jeune éleveuse de bovins et ovins dans l’Hérault depuis 2022, prenant l’exemple de certaines salles de traite trop profondes. Marine Boyer, qui élève des Limousines dans l’Aveyron, confirme : « Conduire le tracteur est aujourd’hui facile, il suffit d’appuyer sur des boutons, ce qui pose problème, c’est l’attelage d’outils de plus en plus imposants, pour les hommes aussi d’ailleurs ! » Elle recommande, à toutes les agricultrices, de s’intéresser au machinisme, de maîtriser un minimum les engins agricoles et de réaliser tous types de travaux sur la ferme. Ainsi, elles ne dépendent de personne.
Pour autant, « des producteurs continuent de dissuader leur fille de s’installer en agriculture, certains travaux restant durs, les manipulations en bovins viande par exemple », rapporte Stéphane Aurousseau. Ils veulent leur épargner les nombreuses difficultés que la profession rencontre. Sandrine Faucon-Bourne, installée en productions végétales dans les Alpes-de-Haute-Provence, témoigne : « Je n’ai pas été élevée pour devenir agricultrice. Ma famille me répétait : « Si tu travailles mal à l’école, t’iras dans l’agricole ! ». »
Préférer la dérision
« Quand j’ai annoncé que je souhaitais reprendre la ferme, la répartition des terres était déjà quasiment bouclée. Des voisins ont dit à mon père que je n’y arriverais pas », se souvient-elle. Marine Boyer a entendu des remarques similaires de la part du voisinage et fait face aux doutes de sa famille sur sa capacité à reprendre le flambeau, lui conseillant de laisser son conjoint s’installer seul et de travailler à l’extérieur.
Alors qu’elle n’est pas issue du milieu agricole, Aude Geiger n’a pas le même ressenti, son beau-père lui « ayant ouvert les portes de son exploitation ». Pour autant, la première fois qu’elle a benné à la Cuma, des exploitants l’ont applaudie. Alors elle a applaudi l’homme qui a benné juste derrière elle. Dans ces cas-là, elle joue la carte de la dérision, c’est assez efficace. « D’abord surpris, ils se sont habitués à me voir pousser la porte, avec ma fille de quelques mois en porte-bébé. »
Si Laure Durand partage le constat de la trop faible part d’exploitantes présentes dans les organes de décisions professionnels – le conseil d’administration de sa coopérative compte 24 hommes et 3 femmes –, et si elle évoque la solitude ressentie par certaines parce que personne ne leur parlait au début, les agricultrices ne doivent pas avoir à « jouer des coudes » selon elle : c’est parce qu’elles sont compétentes que la tendance peut s’inverser. La logique de leur attribuer des postes à la place des exploitants n’est pas, non plus, bonne juge-t-elle : « Mieux vaut la coconstruction » et exploiter la complémentarité des sexes pour relever les enjeux auxquels l’agriculture est confrontée.
Je n’ai pas été élevée pour devenir agricultrice.
Autrement dit par Anne Dumonet-Leca : « Cessons les mises en silos séparées ! » Pour favoriser l’accès aux responsabilités, Basile Faucheux, jeune agriculteur dans le Loiret et président d’Agridemain, suggère de leur expliquer le mode de fonctionnement des organisations professionnelles et le rôle qu’elles vont y jouer. « Elles ont besoin de savoir précisément ce qu’elles vont y accomplir », constate-t-il, appelant à ne pas les « cantonner à des tâches administratives, de communication et lien social ».
Se former, s’entourer
Vox Demeter a profité du Salon de l’agriculture pour présenter à nouveau sa note « Entrepreneuriat féminin en agriculture : libérer les potentiels ! » , dévoilée le 26 novembre, à l’occasion d’un débat sur « l’entrepreneuriat féminin en agriculture ». Elle est le fruit d’un travail de 18 mois, basé sur la collecte d’informations, de statistiques, et de retours d’expériences, à partir de rencontres avec des agricultrices et des acteurs du monde agricole. Elle contient 44 propositions pour que les femmes osent et parviennent à se révéler dans cette filière. Parmi celles-ci, deux tiennent particulièrement à cœur à la présidente fondatrice de Vox Demeter.
D’abord, l’index pour compter le nombre de femmes dans les conseils d’administration et bureaux des organisations agricoles. « Les décisions ne sont encore trop souvent prises qu’entre hommes. Les femmes doivent pouvoir y prendre part », détaille-t-elle. Ensuite, il faut encourager les agricultrices à rencontrer des entrepreneurs, d’autres secteurs, en France et à l’étranger, car « on apprend beaucoup avec ses pairs ». De même qu’à se former, en gestion, stratégie, management, etc., et se faire coacher pour gagner en assurance et adopter la posture de chef d’entreprise, dans des réseaux féminins d’abord pour une expression plus libre, puis mixtes.
Anne-Laure Durand prend l’exemple de la formation Farm’Her d’Hectar (2). « La première fois que je me retrouvais qu’avec des femmes, sans pression parce que la question de ma légitimité ne se posait plus, et uniquement dans la bienveillance, ça fait du bien », se rappelle-t-elle. Quant à Gabrielle Dufour, elle milite pour la création d’un observatoire de l’entrepreneuriat agricole, pour collecter un maximum de données, et mieux identifier les besoins et les obstacles, pour les agricultrices comme les agriculteurs. Et Anne Dumonet-Leca de conclure en encourageant les agricultrices à « sortir de leur zone de confort en apprenant, en construisant, tous les jours. »
(2) Créée en 2023 et gratuite, elle prend la forme d’une journée sur site et d’un accompagnement à la gouvernance de cinq semaines, centré sur la confiance en soi. « Quand j’ai lancé Hectar, j’ai ressenti le besoin de me former à des choses auxquelles je n’étais pas préparé. Je ne connaissais pas les codes entrepreneuriaux entre autres. J’ai eu la chance d’être bien coachée. Alors j’ai voulu rendre la pareille à d’autres entrepreneuses agricoles », explique sa fondatrice Audrey Bourolleau.