Accéder au contenu principal
Témoignages

Entre passion et désarroi, paroles d’agriculteurs à travers la France


AFP le 25/01/2024 à 11:35

Certains parlent des prix qui parfois ne leur permettent pas d'en tirer un salaire décent, ou des dossiers administratifs complexes ; d'autres, convaincus de l'importance du bio et du respect de l'environnement, se demandent pourquoi leurs efforts ne sont pas récompensés.

L’AFP a recueilli des paroles d’agriculteurs mobilisés ces derniers jours en France.

« Je n’ai plus envie de m’installer »

Théo Artillan, 20 ans, travaille avec son oncle au Temple-sur-Lot (Lot-et-Garonne) dans l’arboriculture : « Honnêtement, moi aujourd’hui je n’ai plus envie de m’installer en tant qu’agriculteur. Comme on a vu sur des banderoles, « Enfant on en rêve, adulte on en crève ». Se lancer à 20 ans dans un milieu où on ne gagne pas d’argent et où il n’y a pas d’avenir pour nos enfants, est-ce que c’est le bon choix ? » « A son époque, mon grand-père vivait avec quatre hectares de pruniers et 10 vaches, aujourd’hui il faut 120 vaches pour vivre, il faut 60 hectares de pruniers. Quand vous faites 60 hectares à 10 000 euros l’hectare… personne, ne peut payer ça tout seul, et se lancer tout seul, même les banques ne nous suivent plus aujourd’hui ».

« Les normes sont utiles, il faut valoriser ceux qui s’engagent dans des labels »

Vincent Desalles, 50 ans, vigneron dans le Vaucluse : « En viticulture, nous traversons une triple crise : de « déconsommation », et c’est à nous de nous adapter, économique et enfin environnementale puisque le changement climatique nous impacte beaucoup. Les normes sont utiles, elles nous aident à sécuriser nos productions et à conduire nos exploitations en respectant l’environnement, mais les prix que nous propose le marché en ce moment sont la moitié du coût de production. Les pouvoirs publics devraient agir, garantir un prix minimum à tous ceux qui s’engagent dans des labels (bio, haute valeur environnementale), dans des normes, parce qu’ils contribuent à la protection de notre espace de vie ».

« Compliqué de se tirer un salaire »

Agnès Sallaberry, 53 ans, éleveuse de canards en plein air et de bovins dans les Pyrénées-Atlantiques : « Ce n’est pas nouveau que le monde agricole ait du mal à se nourrir. Je me suis installée en 1995 et ça a toujours été compliqué de se tirer un salaire ».

Aidée par un comptable, elle évoque aussi le poids de l’administratif : « Il y a toujours des dossiers à remplir dans les temps, dans lesquels il faut justifier de tout. Il y a beaucoup de conditions pour le versement des aides et on a des indemnités qui arrivent un ou deux ans plus tard. Comment on fait pour tenir sans aucun revenu ? » « Tout est calculé pour les industriels », à l’instar de la vaccination contre la grippe aviaire. « On doit obligatoirement acheter 1 000 doses, alors que, nous, on ne voudrait vacciner que 250 canards. »

« Un métier passion » mais « de pire en pire »

Claire Mathé, 39 ans, éleveuse de bovins allaitants dans la Creuse: « Chaque année, c’est de pire en pire. Les démarches administratives nous prennent beaucoup trop de temps, c’est une surcharge de travail. Mes enfants veulent devenir agriculteurs et je suis inquiète pour eux. La reprise est très compliquée, les taux bancaires, la succession prend du temps… ». « On a envie de leur dire de ne pas se lancer dans ce métier. Mais c’est un métier passion et ils ont baigné dedans. Donc ça va être difficile de les décourager ».

« J’ai trop de prairies »

Quentin Pedron, 26 ans, éleveur de vaches laitières et truies dans les Côtes-d’Armor : « J’ai trop de prairies (environ 60 ha). Je veux en remettre une partie en culture et je ne peux pas », dit-il en référence aux nouvelles autorisations nécessaires pour changer la destination d’une parcelle. « Nos charges augmentent mais on ne peut pas les répercuter » et « il faut continuer à faire tourner la machine industrielle (l’agroalimentaire, ndlr). Sinon, il y a des laiteries ou des abattoirs qui fermeront. Or, il y a quand même beaucoup de gens chez nous qui vivent de ça ».

« On voudrait soulever un mouvement social »

Grégoire Verneret, 34 ans, céréalier bio dans la Drôme : « On essaie de travailler dans le respect de la terre, de la nature. Le prix des céréales s’est effondré, quasiment divisé par deux depuis juin. Les céréales nous sont payées moitié prix et on ne voit rien baisser ou pas plus que ça dans les magasins : j’ai pas vu une baguette baisser de moitié. » « Au-delà de ce mouvement agricole, on voudrait soulever un mouvement social, parce qu’il n’y a pas que dans l’agricole que ça « déconne », il y a aussi dans les hôpitaux, la santé, l’éducation. »