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Main-d'œuvre dans les fermes

Concentration, sous-traitance, pluriactivité… Les grandes tendances


TNC le 29/06/2022 à 12:33
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Dans les prochaines années, les innovations impacteront davantage l'emploi en agriculture que les volumes produits. (©AdobeStock)

La main-d'œuvre dans les exploitations a beaucoup évolué ces dernières années, passant d'un modèle familial à de plus en plus de sociétés entre tiers et de recours à la sous-traitance. En parallèle, elle se concentre, dans les grosses unités de production et la pluriactivité progresse. La diversification croissante des ateliers devraient, également, entraîner des changements au niveau des tâches à effectuer et de l'organisation du travail.

La main-d’œuvre se concentre dans les grandes unités

Selon l’étude Actif’Agri(1), entre 2000 et 2016, la main-d’œuvre agricole totale augmente à un rythme plus soutenu dans les grosses fermes (graphique 1 ci-dessous : + 1,4 %/an), du fait de la progression du salariat (graphique 3 ci-dessous : + 2 %/an). Les 10 % d’exploitations les plus grandes concentrent, à elles seules, 22 % des UTA totaux, 14 % des actifs familiaux et 40 % des salariés. Dans les exploitations de taille moyenne, la main-d’œuvre stagne et dans les petites, elle diminue (- 0,7 %/an).

(©Centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture)

On observe, parallèlement, « une hausse de la productivité du travail (valeur de la production agricole par UTA) et de la rentabilité économique (EBE par UTA non salariée), corrélée avec la dimension économique », plus marquée en grandes cultures qu’en élevage bovin, surtout laitier, fait remarquer Mickaël Hugonnet, chargé de mission au Centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture. 

(©Centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture)

Sous-traitance et délégation se développent

De plus en plus d’exploitations délèguent des activités à une ETA ou une Cuma avec salarié(s) (+ 53 % entre 2010 et 2016 comme spécifié plus haut) et parfois même l’intégralité des travaux (surtout en grandes cultures : 12 % ; mais aussi en bovins lait et viande : 6 %). Ce sont principalement les petites structures qui ont recours à la délégation intégrale : 23 % contre 8 % pour les moyennes et les grandes, pour une part plus conséquente de la SAU (20 % versus 6 %). Ce phénomène touche trois zones de production : deux plutôt céréalières (le sud-ouest et une autre allant de la Champagne jusqu’au Poitou), la troisième comprenant la Bretagne et la Normandie.

Il s’explique, selon des enquêtes de terrain, par différents facteurs : « le manque de temps et de compétences, l’absence de repreneur, la volonté de se recentrer sur certaines activités ou d’en développer d’autres : de transformation ou de commercialisation entre autres. » Conséquence, souligne le chargé de mission : « de nouvelles formes d’ETA émergent, tournées exclusivement vers la délégation intégrale ou dites « gestionnaires de patrimoine » faisant l’intermédiaire entre un détenteur de foncier et des entreprises de travaux agricoles qui réalisent les travaux culturaux. »

La diversification et la pluriactivité progressent

Aujourd’hui, un quart des chefs d’exploitations sont pluriactifs : 12 % dans les grandes fermes, 23 % dans les moyennes et 42 % dans les petites. Une tendance qui va de pair avec le fait que les conjoint(e)s travaillent majoritairement à l’extérieur : 75 % dans les petites structures et 65 % dans les moyennes et grandes.

Et qui permet d’améliorer les revenus agricoles de + 10 000 à 15 000 €. Le travail des conjoint(e)s à l’extérieur assure, lui, un complément de + 5 000 à 8 000 €. L’activité agricole compte pour un peu moins de la moitié du revenu global des ménages, la pluriactivité et le travail des conjoints à l’extérieur équivalant à près de 30 %.

(©Centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture)

Quant à la diversification, « elle est pratiquée par 12 % des agriculteurs et se traduit par une augmentation de la main-d’œuvre mobilisée », de + 0,4 à + 1,5 UTA, en particulier lorsqu’elle implique de commercialiser en circuits courts.

(©Centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture)

D’une logique de volume à stratégie d’innovation

L’érosion de la main-d’œuvre dans les fermes est fortement liée à la logique de développement agricole adoptée après la seconde guerre mondiale et basée sur  l’accroissement des volumes produits par actif. Autrement dit sur l’augmentation des surfaces, des cheptels et des rendements (via la mécanisation, les intrants, la sélection notamment). Une stratégie « mise en place de façon homogène sur l’ensemble du territoire, et de manière descendante du conseiller vers l’agriculteur », complète Mickaël Hugonnet. Elle a aussi entraîné un net accroissement du capital mobilisé, tout en  augmentant la productivité globale des facteurs de production et donc la compétitivité du secteur. « Les emplois de ceux, qui ont mis en œuvre ce modèle, ont été préservés », ajoute l’expert.

Depuis les années 90, les préoccupations environnementales et la volatilité des prix consécutive à la libéralisation des politiques agricoles font qu’on ne peut plus s’appuyer uniquement sur la croissance des volumes de production et de la productivité physique du travail. Il faut privilégier les stratégies d’innovation. Dans le domaine du travail agricole, cela passe par l’automatisation des tâches et l’agriculture de précision, pour optimiser l’organisation et réduire l’astreinte, tout en répondant à la volonté de diminuer le recours aux intrants, ainsi que les charges avec l’inflation actuelle. L’agroécologie et les circuits courts seront aussi au cœur des évolutions à venir. La différence, là : « des besoins de main-d’œuvre supérieurs, qu’il faut pouvoir rémunérer ». 

Par ailleurs, « innover peut avoir des effets ambivalents sur les conditions de travail des agriculteurs », met en garde Mickaël Hugonnet, faisant référence au robot de traite. « Certes, il supprime une  tâche pénible et astreignante, mais le gain de temps est à relativiser avec la maintenance, l’analyse des données collectées, etc., explique-t-il. De plus, il donne de l’autonomie à l’éleveur mais accroît sa charge mentale (lien permanent avec l’exploitation). Enfin, les contacts avec les animaux sont moins directs mais plus apaisés. » En outre, les innovations amènent à différentes conceptions du métier d’agriculteur. Ainsi, « on voit des communautés de producteurs qui se structurent autour de pratiques, en rupture plus ou moins forte avec le modèle conventionnel ».

Source : webinaire « Emploi et activité en agriculture : tendances de fond et tendances émergentes » sur l’étude Actif’Agri réalisée par le Centre d’étude et de prospective du ministère de l’agriculture. Structurée en 12 chapitres, elle propose une analyse globale et pluridisciplinaire (économique, sociologique, agronomique, politique, juridique, etc.) de l’emploi en agriculture, et s’intéresse notamment aux conditions de travail, à la formation, aux mobilités professionnelles, à l’innovation, l’environnement…