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Compensations

Bras de fer entre agriculteurs et port de Dunkerque


AFP le 25/03/2024 à 10:36

Ils refusent que leurs terres servent à compenser l'agrandissement du port de Dunkerque : des agriculteurs du Nord attendent des réponses du gouvernement sur ce sujet inflammable et symbolique, lors du congrès de la FNSEA qui s'ouvre mardi dans la cité portuaire.

« Ce qui se joue à Dunkerque doit nous servir à définir une doctrine pour l’ensemble de la France », a estimé le ministre de la transition écologique Christophe Béchu, interrogé sur le sujet le 12 mars à l’Assemblée nationale.

Pour répondre au développement du trafic des porte-conteneurs et rester compétitif, le port prévoit dans le cadre du projet Cap2020 de doubler la superficie d’un bassin, de construire 2 km de quais et de nouveaux entrepôts logistiques. En outre, le port accueille les nouvelles gigafactories de Verkor et Prologium qui fabriqueront des batteries pour véhicules électriques.

En tout, selon les agriculteurs et la Safer, les projets en cours vont nécessiter de trouver 1 500 hectares à rendre à la nature, la loi imposant de compenser ainsi les atteintes à l’environnement entraînées par ces projets. Si environ 150 hectares proviendraient de friches portuaires, le reste de la compensation se ferait sur des terres agricoles, en indemnisant les exploitants.

« Ces industries vont profiter à la France entière. Pourquoi l’agriculture du petit secteur de Dunkerque devrait payer toute l’addition ? », interroge Denis Bollengier, co-président de la FDSEA de l’arrondissement de Dunkerque, craignant qu’une cinquantaine d’exploitations perdent des surfaces cultivées.

Des agriculteurs ont défilé en tracteurs en février pour protester contre la « double peine » des compensations, qui s’ajoutent selon eux à l’éviction prévue d’agriculteurs exploitant des terres appartenant au port.

Les mesures compensatoires sur des parcelles agricoles se traduisent par la conversion d’une culture en prairie, la plantation de haies ou encore du pâturage extensif, explique le ministère de l’agriculture sur son site.

Les services de l’Etat ne confirment pas les surfaces nécessaires. Mais selon le projet stratégique 2020-24 du port, le seul projet Cap2020 implique « la destruction de 350 ha de surfaces cultivées, 180 ha de zones humides (…) et 60 ha au maximum de surfaces naturelles ».

En mai 2023, l’Autorité environnementale avait rendu un avis très critique, jugeant l’étude d’impact de Cap2020 « médiocre » et déplorant « une artificialisation de surfaces agricoles et naturelles considérable ».

« Tension énorme »

Pour Hubert Bourgois de la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) des Hauts-de-France, l’objectif de convertir 1 500 hectares est « impossible à atteindre compte tenu des contraintes » de ce territoire où l’agriculture est déjà en concurrence avec les industries et l’urbanisation. « Il y a une tension énorme, et on n’est qu’au tout début », prévient-il.

« Nos exploitations sont en cours de reprise par des jeunes. Si on leur enlève 10 à 20 % de leur surface, il n’y arriveront pas », s’inquiète Laurent Declercq, représentant de la FNSEA du canton de Gravelines-Bourbourg.

Cet éleveur de porcs souligne que les exploitants de cette zone très dense en industries subissent déjà de nombreuses servitudes: conduites d’eau, de gaz, lignes haute tension. « On ne peut pas dire à la fois « je veux renforcer la souveraineté industrielle » et mettre à mal la souveraineté alimentaire », s’agace M. Bollengier, citant pommes de terre, chicorée mais aussi lin textile parmi les cultures menacées.

Au sein des familles d’agriculteurs, le projet réveille aussi de mauvais souvenirs des années 1970, quand des terrains ont été massivement acquis pour le port, rappelle le député Horizons (majorité) du Nord Paul Christophe.

Les agriculteurs aimeraient que les compensations soient réparties sur toute la France, quand la loi prévoit qu’elles soient réalisées à proximité du site endommagé. Ils proposent aussi des alternatives locales, comme le renforcement des dunes du littoral.

Paul Christophe appelle de ses voeux un changement de doctrine pour les compensations environnementales, en permettant de payer plutôt que renaturer.

« Les services de l’Etat ont tendance à se fermer sur une lecture en hectares, alors que la loi prévoit à mon sens un chiffrage en euros des mesures compensatoires », souligne-t-il. Des sommes pourraient ainsi être consacrées à la préservation des espaces naturels sensibles du département.

Le député dit attendre du gouvernement des « éléments de réponse » lors du congrès de la FNSEA.