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Filière sucrière

Après les quotas, les géants européens du sucre tirent la langue


AFP le 08/06/2018 à 18:08
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Une révolution sans heurts, mais « au pire des moments » : la fin des quotas sucriers en Europe, conjuguée à une hausse brutale de la production mondiale, ne s'est pas faite sans douleurs pour les industriels européens, face à des cours mondiaux déprimés.

Le constat, sans appel, est dressé par Philippe Chalmin, coordonnateur du rapport annuel Cyclope sur les matières premières mondiales. Et pour cause, la production mondiale de sucre devait atteindre en 2017 un record historique de plus de 190 millions de tonnes (Mt), selon les observateurs, avec un surplus de plus de 10 Mt par rapport à la consommation mondiale, estimée à 180 Mt. Résultat, une chute des cours du sucre, qui ont notamment perdu 25 % en 2017, selon le rapport Cyclope.

Les origines de cette  hausse brutale de la production sucrière mondiale sont plurielles. Avec la fin des quotas sucriers, les planteurs européens ont augmenté leurs surfaces de culture : « La progression de la production est de l’ordre de 20 % au niveau européen », rappelle à l’AFP Alexis Duval, président du directoire du premier groupe sucrier français  Tereos, qui précise qu’il y a eu « des augmentations de surfaces qui ont été amplifiées par la météo ».

Si ces hausses de production ont permis aux industriels européens d’allonger considérablement la durée de la campagne et de faire chuter leurs frais fixes en utilisant leurs usines à pleine capacité, d’autres pays ont vu leur production exploser. « Qui pouvait prévoir que l’Inde allait produire quasiment plus que le Brésil, parce qu’ils ont eu des conditions climatiques excellentes ? Ils sont passés de 20 à 30 millions de tonnes ! », s’alarme Éric Lainé, président du syndicat des betteraviers français. « La production de sucre a toujours été cyclique mais là, il y a vraiment un pic jamais atteint », insiste-t-il. Pour Philippe Chalmin, « nous sommes aujourd’hui à des prix de marché très probablement inférieurs aux coûts de production des gens les plus efficients au monde, les Brésiliens », premiers producteurs mondiaux.

Ce facteur, conjugué à la hausse du pétrole, amène de nombreux observateurs à considérer que le Brésil, notamment, va réorienter sa production de sucre de canne vers l’éthanol. « On le constate déjà, l’ampleur du phénomène sera largement dépendante aussi de la récolte brésilienne », note Alexis Durand, qui souligne que Tereos réoriente lui aussi sa production en temps réel en fonction des conditions de marché. Olivier de Bohan, président du rival tricolore de Tereos, Cristal Union, décrivait récemment son groupe comme « en bonne santé, peu endetté ». « Nous avons la capacité de résister pour l’instant, mais la baisse est violente. Certains groupes européens seront dans le rouge dès cette année, notamment dans les pays du sud et de l’est », prédisait-il dans un entretien au Betteravier français. Tous deux publieront leurs résultats annuels la semaine prochaine.

Les sucriers font d’autant plus grise mine qu’ils sont soumis à d’autres vents contraires, règlementaires cette fois. Le 27 avril dernier, l’UE a voté l’interdiction quasi-totale de trois néonicotinoïdes considérés comme dangereux pour les abeilles. Cet insecticide permettait jusqu’à présent aux betteraviers d’éradiquer un puceron, responsable de la jaunisse de la betterave. « Les pertes peuvent atteindre 50 % » avec cette maladie, s’alarme Éric Lainé. « Nous n’avons pas d’alternative non-chimique et pas d’alternative chimique non plus. » Il plaide pour une dérogation, rappelant que les betteraviers ne pulvérisent pas ce produit et ne font qu’en enrober les semences, qui ne présentent selon lui « absolument pas » de danger pour les abeilles.

En attendant, les producteurs sont inquiets. « Concernant la récolte passée, globalement, les prix ont couvert les coûts de production pour une grande majorité de planteurs, mais pas pour tous. Il y a une entreprise pour laquelle c’est plus compliqué, le prix définitif n’est pas versé et il ne sera sans doute pas versé avant la fin de l’année », explique Éric Lainé. « Les producteurs avaient l’habitude que le prix de la betterave soit soldé au 31 mars. Les décalages de trésorerie sont énormes et en plus avec un prix moindre. », déplore-t-il. Pour la campagne à venir, le numéro un européen, l’Allemand Südzucker, annonçait récemment à ses actionnaires avoir contractualisé « un volume de betteraves égal à celui de 2017 ». En France, les surfaces ont été reconduites à peu de choses près, selon la CGB. Pour la suivante, « certains planteurs s’interrogent sur leur devenir dans la production de betteraves », conclut le responsable professionnel.