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Sociétés agricoles

« Un outil incontournable pour transmettre sa ferme ? »


TNC le 28/04/2022 à 18:00
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Comment transmettre son exploitation agricole lorsqu'on est en société ? (©your123, Fotolia)

C'est l'une des questions abordées lors des 20e Rencontres de droit rural de l'AFDR (Association française de droit rural) et du think tank AgriDées, le nombre de sociétés agricoles ayant fortement augmenté ces dernières décennies. Elle en entraîne une autre : quels sont les avantages et les inconvénients de ce statut juridique lorsqu'on cède son exploitation agricole ? Antoine Ramond, juriste au CER France Champagne Nord-Est Île-de-France, donne son point de vue à travers les deux cas que sont la transmission de parts sociales à titre onéreux (en hors cadre familial) et gratuit (de parents à enfants).

« Aujourd’hui, 60 % des agriculteurs sont installés en société, rappelle Antoine Ramond, juriste au CER France Champagne Nord-Est Île-de-France. Parmi nos adhérents, 30 % sont associés dans au moins deux structures. » Une évolution qui, selon lui, va de pair avec le développement de la diversification en agriculture et surtout l’augmentation de la valeur des exploitations. D’une part, « les parents souhaitent maintenir l’équité entre leurs enfants lors de la transmission de leur patrimoine, explique-t-il. Ainsi, les prix de cession d’exploitation en famille se rapprochent de ceux pratiqués en hors cadre familial ».

De l’autre, « on fait de plus en plus de baux à la sociétéet lorsque les propriétaires veulent vendre, ils cherchent par sécurité à valoriser au maximum le droit au bail ». S’ensuivent des reprises de fermes à des tarifs de plus en plus élevés. « Au début de ma carrière, elles avoisinaient 1 000-1 500 €/ha. Maintenant, c’est dix fois plus, 10 000 à 15 000 € ! » Le spécialiste espérait que « le bail cessible répondrait à cette problématique de valorisation du droit au bail ». Mais, pour l’instant, « comme il est traité en revenus fonciers sur le plan fiscal, le pas de porte dissuade de nombreux propriétaires ». « L’indemnité d’éviction à payer à la sortie, dont le montant n’est pas très précis », ne les encourage pas non plus.

« J’accompagne beaucoup de transmissions et je vois bien que mes clients, principalement les propriétaires, préfèrent aux baux cessibles la cession de parts de société, avec des baux de société », résume Antoine Ramond. Cette solution reste donc majoritaire et le bail cessible peine à se développer. Le juriste évoque le cas des locataires, « plus compliqué car  le foncier en location ne peut pas être transféré ». « Il faudra au préalable obtenir des propriétaires un bail à la société, et ce n’est pas évident », détaille-t-il. Autant de raisons qui expliquent, l’impôt sur le revenu étant de surcroît assez dissuasif, que beaucoup d’agriculteurs « nous sollicitent afin d’optimiser le financement de la reprise » de l’entreprise. 

1er cas : transmission de parts de société à titre onéreux

Il s’agit majoritairement de successions hors cadre familial. Par exemple, si l’exploitant est une personne physique poursuit l’expert, « pour une tranche d’imposition de 30 %, et on y arrive vite, le taux de prélèvement sur les bénéfices monte à 50 % en ajoutant les cotisations sociales » (et encore davantage dans les tranches au-dessus). Concrètement, pour acheter 500 000 € de parts sociales, « il faut dégager environ 1 M€ de bénéfices ». D’où l’essor des achats de parts sociales via une holding soumise à l’IS (impôt sur les sociétés), plutôt qu’à titre personnel. L’avantage : « Dès lors que les bénéfices, jusqu’à 38 120 €, de la société fille sont capitalisés dans la holding, le taux d’imposition ne sera que de 15 %, cela permet de rembourser de bonnes annuités avec peu de prélèvements. Alors qu’au-delà de 38 120 €, il passe à 25 %.  »

La preuve pas les chiffres : pour 500 000 € investis, il faut dégager 588 000 € de bénéfices pour rembourser la banque après avoir payé l’IS dans une tranche à 15 %, contre 667 000 € avec un taux de 25 %. « La holding peut, par conséquent, être un véhicule de reprise pour amortir son coût », met en avant Antoine Ramond. Le risque n’est-il pas de faire grimper encore davantage les prix de cessions des fermes ? « Comme les ventes en remembrement de foncier pour pouvoir amortir l’usufruit, qui ont fait monter les prix des terres », fait-il remarquer.  

2e cas : transmission de parts sociales à titre gratuit

Ici, ce sont principalement des cessions familiales, quand les parents n’ont pas besoin de percevoir l’intégralité du produit de celles-ci pour financer leur retraite agricole, parce qu’ils ont des revenus fonciers, des placements par ailleurs. Il est fait donation d’une partie et de la totalité des parts sociales à l’enfant repreneur, qui doit payer la soulte à ses frères et sœurs, pour respecter l’équité. C’est ce qu’on appelle plus précisément la donation partage. « Au vu de ses atouts, ce schéma est de plus en plus fréquent, indique l’expert. Les valeurs sont figées, puisque les donations ne sont pas rapportables à la succession. Les plus-values sont en effet exonérées si le repreneur les conservent et poursuit l’activité pendant au moins cinq ans. Il est aussi possible de bénéficier du Pacte Dutreil (exonération sur la transmission à titre gratuit des parts de sociétés). »

Pour rappel, le Pacte Dutreil permet 75 % d’exonération sur la valeur des parts transmises et une réduction de 50 % des droits de succession si les parts sont données en pleine propriété. Et si la donation partage est faite avec soulte, la totalité de la donation bénéficiera de l’abattement de 50 % si le donateur a moins de 75 ans. Le calcul des droits sera calculé sur la base des droits théoriques de chaque donataire. Le repreneur pourra faire prendre en charge la soulte par une holding sous certaines conditions de composition et détention du capital.

De plus, « les enfants  sont associés au projet de transmission et les choix faits par les parents seront plus difficilement contestables par la suite. Ceux qui ne sont pas exploitants bénéficient immédiatement de liquidités, c’est le gros point fort à mon avis dans le domaine agricole. Ils ont moins l’impression d’être lésés. Auparavant, ils regardaient le train passer, ayant droit seulement à de la nue propriété. Mais sur du foncier, cela signifie qu’il faut attendre la mort des deux parents pour commencer à toucher quelque chose. Avec la progression de l’espérance de vie, vous allez devoir patienter quelque temps. Et vous vous retrouvez avec des terres louées avec un bail à long terme que vous ne pouvez pas reprendre sans vous fâcher avec votre frère ou votre sœur exploitant. » En résumé, cette alternative est intéressante, fiscalement parlant, en cas notamment de patrimoine important. Elle permet l’exonération des plus-values, des droits de succession et équilibre dans le partage entre enfants.