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Agriculture de conservation des sols

M-A. Selosse : « Il faudra sortir du glyphosate pour améliorer la vie des sols »


TNC le 26/01/2022 à 18:02
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Face aux adeptes de l'ACS de l'Apad Centre-Atlantique, Marc-André Selosse a pointé les atouts de l'agriculture de conservation des sols mais aussi les limites de l'usage du glyphosate. (©Nathalie Tiers)

D’après le biologiste Marc-André Selosse, il est encore temps de réveiller la biodiversité des sols qui n’est pas éteinte, en particulier les champignons mycorhiziens. Reconnaissant l’intérêt du non-labour et des couverts végétaux, deux piliers de l’ACS, il estime aussi que l’abandon du glyphosate sera bénéfique... quand des alternatives auront vu le jour.

« Ma conclusion n’est pas qu’il faut retirer immédiatement le glyphosate car c’est impossible aujourd’hui. Mais si vous souhaitez améliorer encore la vie de vos sols, il faudra trouver des alternatives pour en sortir. Il faut croire dans le progrès à venir : vous ne pouvez pas simplement dire qu’on ne peut se passer de glyphosate en ACS. » Invité le 20 janvier en Vendée par l’Apad Centre Atlantique, le biologiste Marc-André Selosse a engagé un échange très direct avec une trentaine d’agriculteurs de l’association, adeptes de l’agriculture de conservation des sols (ACS), autour de la vie des sols et en particulier du rôle des mycorhizes. « Nous manquons de connaissances sur la vie du sol alors que c’est la base, déclare Jacky Berland, président de l’Apad Centre-Atlantique. Le sol recycle des éléments en permanence grâce à une communauté vivante. Il faut comprendre comment cela fonctionne pour préserver au mieux cette fonction de recyclage. »

Spécialisé en botanique et mycologie, Marc-André Selosse a rappelé qu’entre 50 et 75 % de la masse vivante des écosystèmes était constituée par les microbes, animaux et racines présents dans les sols. D’après lui, le dernier inventaire mené par le réseau Réseau de mesures de la qualité des sols (RMQS) a dénombré au total 115 000 espèces sur 2 200 sites suivis en France. D’un site à l’autre, la diversité des espèces oscille entre 800 et 2 000. « Les sols agricoles ont en général une faible biomasse microbienne comparés aux prairies et aux forêts, indique le professeur. Toutefois, la diversité demeure importante. On constate une lente érosion mais la bonne nouvelle est que la biodiversité n’est pas éteinte : il est encore temps d’agir. »

Une porosité tartinée de matière organique

En résumé, il rappelle que 10 % des sols de France présentent un mauvais état, 35 % un bon état, et 55 % sont entre les deux. Marc-André Selosse souligne que l’on retrouve des sols en agriculture biologique dans ces trois catégories.

Cela s’explique en partie par le temps nécessaire à restaurer la biodiversité suite à une conversion ; en partie aussi parce que « le cahier des charges de l’AB, bien qu’il encourage l’apport de matière organique, favorise le labour car il n’a pas de programme sur les sols ». Destructeur pour le développement filamentaire des champignons, le labour est en revanche moins nocif pour les bactéries qui peuvent même avoir tendance à prospérer grâce à la place laissée par les champignons.

Les racines des plantes créent des symbioses avec les microorganismes du sol : ici des nodosités avec des bactéries sur une plante légumineuse pour transformer l’azote atmosphérique ; les racines forment aussi des mycorhizes avec des champignons, réseaux d’échanges nutritionnels.  (©Nathalie Tiers)

Marc-André Selosse rappelle aussi l’impact du labour sur le tassement et l’érosion des sols, tout en admettant que ne pas labourer du tout pose problème dans certains cas. « Je ne suis pas contre de temps à autre, quitte à incorporer en même temps de la matière organique pour favoriser la porosité stable. Pour qu’un sol se tienne, il a besoin de porosité, mais de porosité tartinée de matière organique. Cette dernière va aussi contribuer à sa fertilité via sa dégradation, accélérée par la vie du sol. Le sol a également besoin des vers de terre, véritable usine à décompacter. Or on constate que leur activité diminue avec l’application de glyphosate. »

Réveiller la biodiversité plutôt qu’apporter un inoculum

D’après le biologiste spécialisé en mycologie, le glyphosate est toxique aussi pour les champignons mycorhiziens. Ceux-ci forment avec les plantes des associations réciproquement bénéfiques : ils apportent de l’eau et des minéraux, et puisent en échange dans la plante des sucres et des lipides. Outre leur rôle nutritionnel, les mycorhizes sont également susceptibles d’augmenter les défenses immunitaires des plantes. 90 % des plantes sont capables de générer des mycorhizes ; parmi les exceptions, on trouve notamment les crucifères.

Est-il opportun alors, en particulier en ACS, d’apporter des champignons mycorhiziens ? Ce n’est pas l’avis du scientifique. « La question est de savoir si vos cultures sont réellement en capacité de former des mycorhizes avec des souches commerciales dont on ignore la traçabilité. Il n’existe pas une souche de champignon adaptée à toutes les plantes, et pas non plus d’itinéraire technique. Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’acheter un inoculum. Des champignons indigènes sont déjà là : vous pouvez éventuellement les faire analyser si vous le souhaitez. Il n’y a pas d’extinction massive de la biodiversité des sols, nous l’avons vu. Il faut juste la réveiller. Que faire dans les champs ? À mon avis s’appuyer sur les cultures dérobées, car un couvert végétal qui s’interrompt est pénalisant pour les mycorhizes. Et éviter les crucifères seules en interculture. »