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Production de céréales

Les gagnants et les perdants du changement climatique


TNC le 07/02/2020 à 10:00
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Isaac Hankes parlant du réchauffement climatique au Paris Grain Day 2020. (©Pixabay/Paris Grain Day)

Le changement climatique n'est plus à démontrer. Le climat évolue, ce qui va provoquer des bouleversements dans les différentes parties du monde. Menace ou opportunité ? Cela varie selon les régions, affirme Isaac Hankes, analyste en météorologie chez Refinitiv. Le changement climatique pourrait même, dans certains cas, favoriser l'expansion de nouvelles zones céréalières.

« Où est l’hiver ?? C’est la quatrième fois que je viens à Paris, il n’a jamais fait aussi chaud ! », s’est exclamé Isaac Hankes, analyste en météorologie chez Refinitiv (fournisseur mondial de données et d’infrastructures sur les marchés financiers), lors du Paris Grain Day 2020. « Nous sommes face à une année très intéressante : nous avons eu des inondations aux États-Unis, de la chaleur en Europe et en mer Noire, un hiver assez doux alors que l’année dernière un froid record s’abattait sur Chicago ». Selon l’expert, un réchauffement global de la planète est incontestable. Il observe également un changement dans les précipitations.

Face à ces bouleversements, comment vont évoluer les différentes régions céréalières à travers le monde ? Le meilleur moyen pour savoir de quoi l’avenir sera fait, c’est de « voir ce que nous enseigne l’histoire, en analysant les grandes tendances climatiques dans les zones productrices, sur plusieurs dizaines d’années ».

Alors que les régions céréalières de certaines parties du monde semblent être gagnantes face au changement climatique, d’autres, à l’inverse, paraissent nettement moins avantagées. C’est le constat qu’a fait l’expert, après avoir mené une vaste étude. 

Consultez les dernières tendances climatiques : Des prévisions de chaleur record pour les cinq prochaines années

Une méthodologie bien définie

Pour déterminer les grandes tendances climatiques, l’expert s’est appuyé sur les diagrammes de températures et de précipitations des 60 dernières années dans plusieurs zones clés, en analysant différents paramètres :

– l’évolution de la température moyenne ;

– l’évolution des précipitations moyennes ;

– la survenue d’évènements climatiques extrêmes (vagues de froid, vagues de chaleur, sécheresse, inondations) ;

– le nombre d’années avec des écarts de températures/précipitations supérieures à un écart type, considérés comme extrêmes ;

– la comparaison des tendances des températures et précipitations sur 30, 40, 60 ans.

En additionnant les différents résultats obtenus, Isaac Hankes estime être en mesure de définir les « winners » et les « losers » du changement climatique sur le marché des céréales.

À lire : Quels sont les impacts du réchauffement climatique sur la ressource en eau et les cultures en France ?

L’Europe fait partie des « losers »

En Europe, et plus largement en Eurasie, le climat a tendance à devenir plus chaud et plus sec dans les principales régions productrices de céréales, avec des vagues de froid et de chaleur extrêmes qui deviennent de plus en plus fréquentes. Les épisodes de sécheresse s’aggravent tandis que les inondations diminuent.

Moyennes sur 60 ans : Plus chaud – Plus sec– – 
Extrêmes sur 60 ans : Plus de froid – Plus de chaleur– –
Extrêmes sur 60 ans : Aggravation de la sécheresse – Diminution des Inondations– +
Tendances sur 30 ans : Réchauffement en Hiver – Été plus chaud – Précipitations en augmentation+-+
Verdict pour l’Europe/l’Eurasie : 6 tendances négatives et 3 positivesPerdant

Les États-Unis et l’Amérique du Sud sont des « winners »

Aux États-Unis, la climat devient plus chaud (-) et humide (+). Les épisodes de chaud (-) et de froid (-) extrêmes deviennent plus fréquents, comme c’est le cas en Europe. Ces tendances sont particulièrement observables dans la Corn Belt, la principale région productrice de maïs du pays. À l’inverse de l’Europe, la sécheresse diminue (+), mais les inondations s’aggravent (-). Le climat est plus doux en hiver (+), tandis qu’il reste stable en été (+), et les précipitations augmentent (+). En somme, les États-Unis sortent gagnants. 

En Amérique du Sud, le climat a tendance à devenir plus chaud et humide au Brésil, tandis qu’il devient plus sec en Argentine. Les vagues de froid deviennent plus rares, mais les épisodes de chaleur extrême s’aggravent au Brésil. La sécheresse diminue dans les deux pays, tandis que les inondations baissent en Argentine mais s’aggravent au Brésil. Le Brésil et l’Argentine sortent tous les deux gagnants du changement climatique. 

À lire : Brésil, Chine, Indonésie et UE, zones clés pour rester sous 1,5°C

L’expert en météorologie a procédé de la même manière pour toute une liste de pays et a partagé la synthèse de son étude sur les tendances à 60 ans : 

  • Europe : Perdant
  • Région de la mer Noire (Eurasie) : Perdant
  • États-Unis : Gagnant
  • Brésil : Gagnant 
  • Argentine : Gagnant 
  • Australie : Gagnant 
  • Chine : Perdant
  • Inde : Gagnant

Dans l’ensemble, le marché des céréales semble avoir profité du changement climatique sur la base des tendances de 30 à 60 ans, avec cinq gagnants, et « seulement » trois perdants.

Pourtant, les récents incendies dévastateurs en Australie auraient pu laisser croire que le pays était plutôt perdant face au réchauffement climatique. Mais pour le météorologue, « les incendies sont la conséquence de ce qui se passe depuis quelques temps dans le pays », qui a enchaîné trois ans de sécheresse, avec cette année une récolte de blé au plus bas depuis 11 ans ! « C’est El Niño qui a favorisé la sécheresse, mais également les fluctuations au niveau de l’Océan Indien. Mais la situation devrait rentrer dans l’ordre et un renversement de la situation devrait avoir lieu prochainement pour le pays ».

Le changement climatique pourrait même permettre une expansion des zones de production de céréales dans certains pays. C’est le cas en Russie. « Bien que la sécheresse puisse s’aggraver, la Russie est l’une des zones les plus susceptibles de se réchauffer considérablement, ouvrant de nouvelles zones potentielles pour la culture de céréales ». Des zones qui étaient trop froides jusqu’à présent pourraient ne plus l’être à l’avenir. C’est le cas également au Canada, qui devient globalement plus chaud et humide, malgré des épisodes froids (gel précoce/tardif) qui s’aggravent. De nouvelles régions pourraient là aussi, à terme, devenir davantage favorables aux céréales. 

À lire : Blé russe : « La production pourrait atteindre 100 Mt d’ici 7-8 ans »

Des variations selon l’échelle de temps choisie

Toutefois, l’expert a constaté des différences selon l’échelle de temps étudiée. Sur 40 ans, le bilan est différent :  

  • Europe : Gagnant
  • Région de la mer Noire (Eurasie) : Gagnant
  • États-Unis : Gagnant
  • Brésil : Perdant
  • Argentine : Perdant
  • Australie : Perdant 
  • Chine : Perdant
  • Inde : Gagnant

Sur une échelle de 40 ans, l’Europe et l’Eurasie deviennent alors des gagnants, tandis que le Brésil et l’Argentine deviennent des perdants. Le marché des céréales ne profite alors plus tellement du changement climatique. « Les tendances pourront changer facilement à l’avenir ! », et leurs évolutions seront à suivre de près. Le marché des céréales ne sera pas épargné par le réchauffement climatique, avec une volatilité climatique accrue. Il dépendra de façon conséquente de l’expansion de la production dans de nouvelles régions, pour compenser les pertes dans les zones qui seront les plus impactées négativement. 

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